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– Les dieux ont fixé que nous nous séparions maintenant, car Minea n'est pas revenue et je crois qu'elle ne reviendra que si je vais la chercher. Mais aucune personne entrée dans cette maison n'en est ressortie, et c'est pourquoi il est probable que j'y resterai moi aussi. Dans ces conditions, il vaut mieux que tu te caches dans la forêt, et si je ne suis pas revenu à l'aube, tu rentreras seul en ville. Si on te questionne à mon sujet, dis que je suis tombé des rochers dans la mer ou invente ce que tu veux, car tu es plus habile que moi dans cet art. Mais je suis certain de ne pas revenir, c'est pourquoi tu peux partir tout de suite, si tu 1e veux. Je t'ai écrit une tablette d'argile et l'ai munie de mon sceau syrien, pour que tu puisses aller à Simyra et toucher mon argent dans les maisons de commerce. Tu peux aussi vendre ma maison, si tu veux. Et alors tu seras libre d'aller où tu voudras, et si tu crains qu'on ne t'inquiète en Egypte comme esclave marron, reste à Simyra et habite chez moi et vis à ta guise de mes revenus. Et tu n'auras pas à t'inquiéter de la conservation de mon corps, car si je ne trouve pas Minea, il m'est indifférent que mon corps soit conservé ou non. Tu as été un serviteur fidèle, bien que souvent tu m'aies lassé de tes sempiternels bavardages, et c'est pourquoi je regrette les coups que je t'ai donnés, mais je crois que ce fut tout de même pour ton plus grand bien, et je l'ai fait dans de bonnes intentions, si bien que je compte que tu ne m'en garderas pas rancune. Que notre scarabée te porte chance, car je te le donne, puisque tu y crois plus que moi. En effet, je ne pense pas avoir besoin du scarabée là où je vais.

Kaptah resta longtemps silencieux et ne me regarda pas, puis il parla ainsi:

– O mon maître, je ne te garde aucune rancune, bien que parfois tes coups aient été un peu trop forts, car tu l'as fait dans de bonnes intentions et selon ta jugeotte. Mais le plus souvent tu as écouté mes conseils et tu m'as parlé plutôt comme à un ami qu'à un serviteur, si bien que parfois j'ai été inquiet pour ton prestige, jusqu'au moment où le bâton rétablissait entre nous la distance fixée par les dieux. Or, maintenant, il se trouve que cette Minea est aussi ma maîtresse, puisque j'ai posé son petit pied béni sur ma nuque, et je dois répondre d'elle aussi, puisque je suis son serviteur. Du reste, je refuse de te laisser partir seul dans cette maison obscure, pour bien des raisons qu'il serait vain d'énumérer ici, de sorte que puisque je ne peux te suivre en qualité de serviteur, maintenant que tu m'as renvoyé et que je dois obéir à tes ordres, même quand ils sont stupides, je t'accompagnerai en ami, parce que je ne veux pas t'abandonner seul et surtout pas sans le scarabée, bien que je pense, tout comme toi, que dans cette affaire il ne nous sera pas d'une bien grande utilité.

Il parlait avec tant de bon sens et de réflexion que je ne le reconnaissais plus, et il ne geignait pas comme d'habitude. Mais je trouvais insensé de l'envoyer ainsi à la mort, puisqu'un seul suffisait, et je le lui dis et je lui ordonnai de s'en aller et de ne pas dire des bêtises. Mais il était buté et dit:

– Si tu ne me permets pas de t'accompagner, je te suivrai et tu ne peux m'en empêcher, mais je préfère aller avec toi, car j'ai peur dans l'obscurité. Du reste, cette sombre maison m'effraye à un tel point que mes os se fondent rien que d'y penser, et c'est pourquoi j'espère que tu me permettras d'emporter une cruche de vin pour me restaurer en cours de route, car sans cela je risquerais de hurler de peur et ainsi de te déranger. Il est inutile que je prenne une arme, parce que j'ai le cœur tendre et ai horreur de voir couler le sang, et j'ai toujours eu plus confiance dans mes jambes que dans les armes, c'est pourquoi si tu veux lutter avec le dieu, c'est ton affaire, moi je regarderai et t'assisterai de mes conseils. Mais je l'interrompis:

– Cesse de bavarder et prends une cruche, si tu veux, mais partons, car je pense que les gardes dorment sous l'empire du soporifique que je leur ai donné avec le vin.

En effet, les gardes dormaient profondément, et le prêtre aussi dormait, si bien que je pus prendre la clef de la petite porte. Nous emportâmes aussi une lampe et des torches. Au clair de lune, il nous fut facile d'ouvrir la porte et d'entrer dans la maison du dieu, et dans les ténèbres j'entendais les dents de Kaptah claquer contre le bord de la cruche.

Après s'être ragaillardi en buvant, Kaptah dit d'une voix éteinte:

– O mon maître, allume une torche, car d'ici la lumière ne sort pas et cette ombre est pire que l'obscurité des enfers que personne ne peut éviter, mais ici nous sommes de notre plein gré.

Je soufflai sur les braises et allumai la torche et je vis que nous étions dans une caverne fermée par les portes de bronze. De cette caverne partaient dans des directions différentes dix couloirs aux parois de briques. Je n'en fus pas surpris, ayant entendu dire que le dieu de la Crète habitait dans un labyrinthe, et les prêtres de Babylone m'avaient appris que les labyrinthes se construisaient sur le modèle des intestins des victimes animales. C'est pourquoi je comptais bien trouver la bonne voie, car dans les sacrifices j'avais très souvent vu des intestins de taureau. C'est pourquoi je montrai à Kaptah le couloir le plus écarté et je lui dis:

– Passons par là. Mais Kaptah dit:

– Nous ne sommes pas pressés et la prudence est la mère des vertus. C'est pourquoi il serait sage de s'assurer de pouvoir revenir ici, si nous le pouvons, ce dont je doute fort.

A ces mots il sortit de sa besace un peloton de fil et en fixa un bout à une cheville de bois qu'il inséra solidement entre deux briques. Dans toute sa simplicité cette idée était si sage que jamais je ne l'aurais trouvée, mais je ne lui en dis rien, afin de ne pas perdre mon prestige à ses yeux. C'est pourquoi je lui ordonnai rageusement de se dépêcher. Je m'avançai dans le couloir, en gardant à l'esprit l'image des intestins d'un taureau, et Kaptah déroulait la pelote au fur et à mesure de notre marche.

Nous errâmes sans fin par des couloirs obscurs, et de nouveaux couloirs s'ouvraient devant nous et parfois nous revenions sur nos pas, lorsqu'une paroi nous barrait le passage, et nous nous engagions dans un autre couloir, mais soudain Kaptah s'arrêta et flaira l'air et ses dents se mirent à trembler et la torche se balança dans sa main, puis il me dit:

– O mon maître, ne sens-tu pas l'odeur des taureaux?

Je perçus en effet une odeur fade qui rappelait celle des taureaux, mais plus affreuse encore, et qui semblait suinter des murs entre lesquels nous marchions, comme si tout le labyrinthe avait été une immense écurie. Mais j'ordonnai à Kaptah d'avancer sans flairer l'air, et quand il eut avalé une bonne rasade, nous repartîmes rapidement, jusqu'au moment où mon pied heurta un objet et je vis en me baissant que c'était une tête de femme en putréfaction, et on voyait encore les cheveux. C'est alors que je sus que je ne retrouverais pas Minea vivante, mais une soif insensée de connaître toute la vérité me poussa en avant, et je bousculai Kaptah et lui interdis de geindre, et le fil se déroulait à mesure que nous avancions. Mais bientôt une paroi se dressa devant nous, et il fallut revenir sur nos pas.

Soudain Kaptah s'arrêta et ses rares cheveux se dressèrent sur sa tête et son visage devint gris. Je regardai aussi et je vis dans le couloir une bouse sèche, mais elle était de la grosseur d'un corps humain, et si elle provenait d'un taureau, cette bête devait être de dimensions si prodigieuses qu'on ne pouvait se les figurer. Kaptah devina mes pensées et dit:

– Ce ne peut pas être une bouse de taureau, car un tel taureau ne pourrait passer par ces couloirs. Je crois que c'est la fiente d'un serpent géant.