Sa chambre de travail était vraiment pleine de tablettes d'argile, et des messagers lui apportaient des lettres de toutes les villes de Syrie. Il recevait aussi des messages du roi des Hittites et de Babylone, mais il ne me permit pas de les lire, ce qui ne l'empêcha pas de s'en vanter. Il me questionna sur le pays des Hittites et sur Khattoushash, mais je constatai qu'il en savait autant que moi. Des envoyés hittites venaient le voir et s'entretenaient avec ses chefs et ses soldats, et en voyant tout cela, je lui dis:
– Le lion et le chacal peuvent fort bien s'entendre pour chasser en commun, mais as-tu jamais vu un chacal recevoir les meilleurs morceaux du butin?
Il rit de ses dents dorées et dit:
– J'ai un vif désir de m'instruire, comme toi, bien que je n'aie pas pu voyager comme toi qui n'as pas de soucis administratifs, mais qui es libre comme l'oiseau. Il n'y a rien de mal à ce que les officiers hittites enseignent l'art militaire à mes chefs, car ils ont des armes nouvelles et une grande expérience. Ce ne peut qu'être utile pour le pharaon, car s'il éclate une guerre, la Syrie sera de nouveau le bouclier de l'Egypte dans le nord, et ce bouclier a souvent été ensanglanté, ce dont on se souviendra en réglant les comptes entre l'Egypte et la Syrie.
Tandis qu'il parlait de guerre, je songeai de nouveau à Horemheb et je lui dis:
– Voici trop longtemps que j'abuse de ton hospitalité, et je désire rentrer à Simyra, si tu mets une litière à ma disposition, car je ne monterai plus jamais dans tes terribles chars de guerre. Mais Simyra ne me plaît plus et j'ai peut-être déjà trop sucé de sang dans la pauvre Syrie, si bien que je me propose de retourner en Egypte à la première occasion. C'est pourquoi nous ne nous reverrons peut-être pas de longtemps, car le souvenir de l'eau du Nil dans ma bouche est délicieux, et je me contenterai d'en boire durant le reste de mes jours, après avoir vu assez de mal dans le monde et en avoir reçu une leçon de toi aussi.
Aziru dit:
– De demain nul n'est certain, et la pierre qui roule n'amasse pas mousse, et l'inquiétude qui couve dans tes yeux ne te permettra de rester longtemps nulle part.
Mais prends une femme, n'importe laquelle, dans mon pays, je te ferai construire une maison dans ma ville, et tu n'auras pas à te repentir de pratiquer la médecine ici. En plaisantant je lui dis:
– Le pays d'Amourrou est le plus inique et le plus haïssable sur la terre, et son Baal m'est une horreur et ses femmes puent la chèvre à mes narines. C'est pourquoi je sème la haine entre moi et Amourrou et je trépanerai quiconque dit du bien d'Amourrou, et je ferai encore bien d'autres choses que je ne peux énumérer ici, parce que je ne m'en souviens plus, mais je compte écrire sur de nombreuses tablettes des récits variés prouvant que tu as violé ma femme et volé les bœufs que je n'ai jamais possédés, et que tu t'es livré à la magie, afin qu'on te pende aux murs la tête en bas, et je pillerai ta maison et emporterai ton or pour acheter cent fois cent cruches de vin, afin de boire à ta santé.
Le palais retentit de ses éclats de rire et ses dents dorées étincelèrent dans sa barbe frisée. C'est sous cet aspect qu'il me revint à l'esprit lors des mauvais jours, mais nous nous séparâmes en amis et il me donna une litière et de nombreux cadeaux, et ses soldats m'escortèrent jusqu'à Simyra, pour m'éviter tout incident en cours de route.
Près de la porte de Simyra, une hirondelle passa à tire-d'aile sur ma tête et mon cœur en fut inquiet et la rue me brûla les pieds. C'est pourquoi, aussitôt rentré, je dis à Kaptah:
– Vends cette maison et prépare nos bagages, car nous allons rentrer en Egypte.
Je ne m'étendrai pas sur le voyage de retour, car il fut comme une ombre ou un rêve inquiet. En effet, une fois à bord pour regagner le pays des terres noires et revoir Thèbes, la ville de mon enfance, je fus saisi d'une impatience si fébrile que je ne pouvais tenir en place, mais je me promenais sur le pont en contournant les bagages et les tas de marchandises, poursuivi par l'odeur de la Syrie, attendant plus ardemment de jour en jour de voir à la place de la rive montagneuse les vertes plaines basses bordées de roseaux. Pendant les longues escales dans les villes côtières, je n'eus pas la patience de les étudier ni de recueillir des renseignements.
Le printemps renaissait dans les vallées syriennes, et les montagnes vues de la mer rougeoyaient comme les vignes, le soir, le printemps peignait en vert pâle l'eau bouillonnante sur le rivage, les prêtres de Baal hurlaient dans les ruelles étroites en s'égratignant le visage, et les femmes aux yeux étincelants et aux cheveux défaits tiraient des chars de bois derrière les prêtres. Mais ces spectacles m'étaient familiers, et ces coutumes grossières et cette excitation brutale me répugnaient, à présent que j'entrevoyais presque ma patrie. Je croyais mon cœur endurci, habitué à toutes les mœurs et croyances, je pensais comprendre tous les gens, quelle que fût leur couleur, sans mépriser personne, car mon seul but était d'acquérir du savoir, mais le simple sentiment d'être en route vers les terres noires effaçait d'un coup toute cette indifférence froide. Tels des vêtements étrangers, les pensées étrangères tombaient de mon esprit et j'étais de nouveau, de tout mon cœur, un Egyptien, je m'impatientais de sentir à nouveau l'odeur du poisson frit dans les rues de Thèbes, à la tombée de la nuit, quand les femmes allument les feux devant leurs cabanes de pisé, j'aspirais au goût du vin égyptien sur ma langue, à l'eau du Nil avec son arôme de limon fertile. Je voulais entendre bruire les papyrus sous le vent printanier, revoir le lotus éclore au bord du fleuve, admirer les colonnes polychromes avec leurs images éternelles et les hiéroglyphes des temples, tandis que la fumée de l'encens monte entre les piliers de pierre. Telle était la folie de mon cœur.
Je rentrais chez moi, et pourtant je n'avais plus de domicile et j'étais un étranger sur la terre. Je rentrais chez moi, et les souvenirs n'étaient plus douloureux, mais le temps et le savoir les avaient recouverts du sable de l'oubli. Je n'éprouvais plus ni chagrin ni honte, mais le mal du pays me remplissait le cœur.
Nous quittions la riche et fertile Syrie, toute bruissante de haine et de passion. Notre bateau longeait les rivages rouges du Sinaï, et le vent du désert passait sec et brûlant sur nos visages, bien que ce fût le printemps. Puis vint le jour où la mer se teignit en jaune, et derrière elle apparaissait une mince ligne verte, et les marins plongèrent dans la mer une cruche qui ramena de l'eau presque douce, car c'était l'eau du Nil éternel qui sentait le limon d'Egypte. Et jamais vin ne fut aussi délicieux à mon palais que cette eau limoneuse sortie de la mer loin de la terre. Mais Kaptah dit:
– L'eau reste de l'eau même dans le Nil. Attends, ô mon maître, que nous soyons dans une taverne convenable où la bière est mousseuse et claire, et on n'a pas à la filtrer pour en sortir les grains. Alors seulement je me sentirai en Egypte.
Ces paroles impies et offensantes me blessèrent vivement, et je lui dis:
– Un esclave reste un esclave, même sous les vêtements les plus précieux. Attends que j'aie retrouvé une souple canne de jonc, comme on n'en trouve que dans les roselaies du Nil, et alors tu te sentiras vraiment à la maison.