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Ils discutèrent entre eux et me dirent:

– Osiris n'est qu'un mythe populaire dont l'homme n'a plus besoin en croyant à Aton. Alors même que le pharaon aspire ardemment à n'être qu'un homme, nous ne doutons pas que son essence ne soit divine, et c'est ce que prouvent ses visions pendant lesquelles il vit en quelques instants plusieurs existences. Mais seuls le savent ceux qu'il aime. C'est pourquoi l'artiste qui a sculpté les statues du temple l'a représenté à la fois comme un homme et comme une femme, parce qu'Aton est la force vivante qui anime la semence de l'homme et procrée l'enfant dans le sein maternel.

Alors je levai ironiquement le bras et me pris la tête à deux mains en disant:

– Je ne suis qu'un homme simple, comme la femme simple de tout à l'heure, et je n'arrive pas à saisir votre doctrine. Il me semble du reste que votre sagesse est bien confuse pour vous aussi, puisque vous devez discuter entre vous avant de me répondre.

Ils protestèrent vivement et dirent:

– Aton est parfait, comme le disque du soleil est parfait, et tout ce qui est et vit et respire en lui est parfait, mais la pensée humaine est imparfaite et elle est semblable à une brume et c'est pourquoi nous ne pouvons tout t'expliquer, parce que nous ne savons pas encore tout, mais nous apprenons chaque jour par sa volonté, et sa volonté est connue du seul pharaon qui est son fils et qui vit dans la vérité.

Ces paroles me frappèrent, car elles me prouvaient qu'ils étaient sincères, bien qu'ils fussent vêtus de lin fin, et en chantant ils jouissaient des regards admiratifs des femmes et riaient des gens simples. Leurs paroles éveillèrent en moi un écho, et pour la première fois je me dis que la pensée humaine était peut-être imparfaite et qu'en dehors de cette pensée pouvait exister quelque chose d'autre que l'œil n'apercevait pas et que l'oreille n'entendait pas et que la main ne pouvait toucher. Peut-être que le pharaon et ses prêtres avaient découvert cette vérité et qu'ils appelaient Aton cet inconnu au delà de la pensée humaine.

Je rentrai chez moi à la tombée de la nuit, et au-dessus de ma porte se trouvait une simple plaque de médecin, et quelques malades crasseux attendaient dans la cour. Kaptah était assis dans la véranda, l'air mécontent, et il s'éventait avec une branche de palmier et chassait les mouches amenées par les malades, mais pour se consoler il disposait d'une cruche de bière à peine entamée.

Je fis d'abord entrer une mère qui tenait un enfant décharné, car pour la guérir il suffisait d'un morceau de cuivre, afin qu'elle pût s'acheter assez de nourriture pour pouvoir allaiter son enfant. Puis je pansai un esclave qui avait eu le doigt écrasé par une meule à blé, et je lui donnai un remède à prendre dans du vin pour diminuer la douleur. Je soignai aussi un vieux scribe qui avait au cou une tumeur grosse comme une tête d'enfant, si bien qu'il avait peine à respirer. Je lui donnai un remède à base d'algues marines que j'avais appris à connaître en Syrie, bien qu'à mon avis il ne pût plus guère agir sur un goitre si gros. Il tira d'un chiffon propre deux morceaux de cuivre et me les tendit avec un regard implorant, car il avait honte de sa pauvreté, mais je ne les acceptai pas et je lui dis que je le ferais appeler quand j'aurais besoin de ses talents, et il partit tout content d'avoir économisé son cuivre.

Je reçus aussi une fille de la maison de joie voisine, dont les yeux étaient couverts de croûtes au point qu'elle en était gênée dans sa profession. Je la soignai et lui donnai une pommade à étendre sur ses yeux, et elle se dévoila timidement pour me payer de la seule manière qui lui était possible. Pour ne pas l'offenser, je lui dis que je devais m'abstenir des femmes à cause d'une opération importante, et elle me crut, parce qu'elle ne comprenait rien au métier de médecin, et elle me respecta beaucoup à cause de ma retenue. Pour que sa complaisance ne fût pas entièrement perdue pour elle, je lui ôtai deux verrues qui enlaidissaient son flanc et son ventre, après les avoir ointes avec une pommade anesthésiante, si bien que l'opération se fit presque sans douleur, et elle s'éloigna tout heureuse.

C'est ainsi qu'en cette première journée je n'avais pas même gagné du sel pour mon pain, et Kaptah se moqua de moi en me servant une oie grasse préparée à la mode de Thèbes, mets comme on n'en offre nulle part ailleurs. Il l'avait achetée dans un élégant restaurant du centre de la ville et gardée chaude dans le four, et il me versa le meilleur vin des vignobles d'Amon dans une coupe de verre bigarrée. Mais mon cœur était léger et j'étais content de ma journée, plus que si j'avais guéri un riche marchand et reçu une chaîne d'or. Je dois rapporter à ce propos que lorsque l'esclave vint quelques jours plus tard me montrer son doigt en bonne voie de guérison, il me remit un pot de semoule qu'il avait volé au moulin, si bien que j'eus tout de même un cadeau pour cette première journée.

Mais Kaptah me consola et dit:

– Je crois qu'après cette journée ta réputation se répandra dans tout le quartier et ta cour sera pleine de clients dès l'aube, car déjà j'entends les pauvres se dire à l'oreille: Va vite au coin de la ruelle du port, dans la maison de l'ancien fondeur de cuivre, car le médecin qui s'y est établi soigne les malades gratuitement et sans douleur et avec beaucoup d'habileté, et il donne du cuivre aux mères pauvres et opère gratuitement les filles de joie pour leur refaire une beauté. Va vite le trouver, car celui qui arrive le premier reçoit le plus, et bientôt il sera si pauvre qu'il devra vendre sa maison et déménager, à moins qu'on ne l'enferme dans une chambre obscure pour lui mettre des sangsues sous les genoux. Mais sur ce point ces idiots se trompent, car heureusement pour toi tu as de l'or que je vais faire travailler pour toi, si bien que tu ne connaîtras jamais le besoin, mais que, si tu le désires, tu pourras manger chaque jour une oie et boire le meilleur vin et pourtant t'enrichir, si tu te contentes de cette simple maison. Mais tu ne fais jamais rien comme les autres, et je ne serais pas étonné si un beau jour tu avais jeté tout ton or dans un puits et vendu ta maison et moi avec, à cause de ta maudite inquiétude. C'est pourquoi tu ferais sagement de déposer aux archives un papier attestant que je suis libre d'aller et de venir à ma guise, car les paroles volent et disparaissent, mais un écrit dure éternellement s'il est muni d'un sceau. J'ai mes raisons pour te demander cela, mais je ne veux pas abuser de ton temps et de ta patience pour te les exposer maintenant.

C'était une chaude soirée de printemps, et les feux de bouse brûlaient lentement devant les cabanes et le vent apportait du port l'odeur des cargaisons de cèdres et de parfums syriens. Les acacias embaumaient, et toutes ces senteurs se fondaient délicieusement dans mes narines à l'odeur des poissons frits dans l'huile rance, si particulière le soir au quartier des pauvres. J'avais mangé une oie préparée à la mode de Thèbes et bu du vin exquis, et je me sentais heureux, débarrassé de tout souci. C'est pourquoi je permis à Kaptah de se verser du vin dans une coupe d'argile et je lui dis:

– Tu es libre, Kaptah, et tu l'es depuis longtemps, comme tu le sais, car malgré ton effronterie tu as été pour moi un ami plutôt qu'un esclave depuis le jour où tu m'as remis ton modeste pécule, en pensant que tu ne le reverrais jamais. Tu es libre, Kaptah, et sois heureux, et demain nous ferons rédiger les papiers nécessaires que je munirai de mon cachet égyptien et aussi du syrien. Mais raconte-moi comment tu as placé mon or et mes biens, puisque tu dis que l'or travaillera pour moi, même si je ne gagnais rien. N'as-tu pas déposé mon or dans la caisse du temple, comme je te l'avais dit?

– Non, ô mon maître, dit gravement Kaptah en me regardant franchement de son œil unique. Je n'ai pas exécuté ton ordre, car il était stupide et jamais je n'exécute des ordres stupides, mais j'ai agi à ma tête, et je peux te le dire, maintenant que je suis libre et que tu as bu du vin modérément et que tu ne te fâcheras pas. Mais comme je connais ta nature emportée et irréfléchie, j'ai caché ta canne, pour toute sûreté. Je te le dis, pour que tu ne perdes pas ton temps à la chercher, pendant que je parlerai. Seuls les imbéciles confient leur argent au temple, car le temple ne paye rien pour l'argent déposé, mais il demande un cadeau pour le garder dans ses caves contre les voleurs. Et c'est bête déjà pour cette raison qu'ainsi le fisc connaît le montant de ta fortune, et il en résulte que ton or maigrit sans cesse en reposant, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus. La seule raison raisonnable d'amasser de l'or, c'est de le faire travailler, pendant qu'on reste assis les bras croisés en croquant des graines salées de lotus grillé pour se procurer une soif agréable. C'est pourquoi, toute la journée j'ai trotté avec mes pattes raides dans toute la ville à la recherche des meilleurs placements, pendant que tu visitais les temples et admirais les paysages. Grâce à ma soif, j'ai entendu bien des choses. Entre autres, j'ai appris que les riches ne placent plus leur argent dans les caves du temple parce qu'on dit qu'il n'y est plus en sûreté, et si c'est le cas, il ne sera nulle part en sûreté en Egypte. Et j'ai aussi appris que le temple d'Amon vend ses terres.