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– Crois-tu vraiment anéantir Aton dans mon cœur si tu me trépanes?

– Je n'entends nullement te trépaner, Akhenaton, lui dis-je vivement. Je ne le ferais pas, même si tu l'ordonnais, car tes symptômes ne l'exigent pas et un médecin ne procède à une trépanation que lorsque c'est absolument inévitable et que rien d'autre ne pourrait sauver le malade.

Le visage du pharaon s'éclaira et il dit:

– Le vieux Ptahor est mort et la Maison de la Vie n'a pas encore désigné son successeur. C'est pourquoi je te nomme, Sinouhé, trépanateur royal, et à partir du jour de l'Etoile du chien tu jouiras de tous les avantages attachés à cette charge, comme tu en seras informé par la Maison de la Vie.

Après cela Horemheb m'emmena dans la salle du festin où les invités s'étaient réunis et où les courtisans se disputaient les meilleures places près du pharaon. Je pris place avec Horemheb tout à côté de la famille royale, à la droite du pharaon, et je constatai avec une vive surprise que le prêtre Aï en faisait aussi partie, puis je me rappelai que sa fille Nefertiti était la grande épouse royale après la princesse de Mitanni qui était morte peu après son arrivée en Egypte.

Pour toute nourriture, le pharaon prit du gruau cuit au lait, et le manche de sa cuillère portait une tête d'antilope. Puis il rompit du pain et le mangea et il ne but pas de vin, mais on versa de l'eau pure dans sa coupe d'or. Après s'être restauré, il s'écria d'une voix forte:

– Racontez au peuple que le pharaon Akhenaton vit dans la vérité et que sa nourriture est de l'eau et du pain et le gruau du pauvre, et que son repas ne diffère pas de celui d'un pauvre.

Plus tard j'appris que le pharaon ne méprisait pas le vin, et qu'il s'en réjouissait souvent le cœur quand tout allait à sa convenance. Et il ne méprisait pas non plus l'oie grasse ou la chair d'antilope, mais il éprouvait de la répulsion pour la viande seulement quand il désirait se purifier avant ses visions. Il était très capricieux pour le manger et le boire, et je crois que cela provenait de ce qu'il n'attachait pas grande importance à la nourriture, lorsque son esprit était absorbé et que les pensées affluaient si rapides à son esprit qu'il avait peine à les dicter à ses scribes.

Les invités se levèrent et allèrent d'une table à l'autre pour y saluer des amis et pour échanger des potins. Un homme trapu, au visage large, s'approcha de moi. C'est seulement à ses yeux malicieux et bruns que je reconnus Thotmès et je poussai un cri de joie et je me levai pour l'embrasser. Je lui dis que je l'avais cherché au «Vase syrien», mais il dit:

– Il ne convient plus à ma dignité de fréquenter d'obscurs cabarets, et j'ai fort à faire à boire tout ce que m'offrent mes amis et protecteurs dans leurs maisons. C'est que Lui, le transfiguré, m'a nommé sculpteur royal, comme tu peux le lire sur ma chaîne. C'est moi qui lui ai dessiné le disque d'Aton et les innombrables mains qui sortent des rayons pour offrir la croix de vie à quiconque désire la recevoir.

– Thotmès, mon ami, lui dis-je. Est-ce toi qui as sculpté l'Aton du roi sur les colonnes du temple, car je n'ai encore rien vu de pareil?

Il répondit évasivement et dit:

– Le pharaon a de nombreux sculpteurs et nous travaillons ensemble et notre seule loi est notre œil. Nous ne profanons pas le pharaon, mais nous l'aimons et nous voulons exprimer son être dans nos œuvres. En vérité, Sinouhé mon ami, aujourd'hui nous voici installés dans la maison dorée et nous buvons dans des coupes en or, nous qui du temps du faux dieu subissions les persécutions et les railleries et qui buvions de la mauvaise bière. Nous connaissons la liberté de l'art crétois et nous avons trouvé notre propre liberté, et tu auras de quoi t'émerveiller, car maintenant la pierre vit entre nos mains, bien que nous ayons encore bien des choses à apprendre.

Ma joie était grande de revoir Thotmès, et Horemheb aussi en fut ravi, bien que sa dignité lui interdît de trop le manifester. Mais Thotmès l'observa attentivement et dit qu'il voulait faire de lui une sculpture pour le temple, puisqu'il avait libéré Thèbes du joug du faux dieu et puisque sa prestance et son visage se prêtaient à la sculpture, si le pharaon lui octroyait pour cela l'or et la pierre nécessaires. Horemheb en fut très flatté, car personne n'avait fait son portrait.

Soudain il se leva et s'inclina profondément, la main à la hauteur des genoux, et Thotmès et moi suivîmes son exemple, car la reine Nefertiti s'approchait de nous, et elle nous parla en tenant la main sur sa poitrine. Ses doigts ne portaient pas une seule bague et elle n'avait pas de bracelet, pour mieux faire ressortir la beauté de ses mains et la finesse de son poignet. Elle s'adressa aussi à moi et dit:

– Le grain d'orge a de nouveau germé de mon eau, et mon attente est impatiente, car le pharaon désire un fils, un héritier, et son pouvoir n'est pas assuré tant qu'un descendant de son sang ne sera pas solidement devant lui, car le faux dieu guette dans l'ombre et nous n'avons pas à nous le dissimuler, parce que nous le savons tous. Toi, Sinouhé, qui as accumulé du savoir dans maint pays, on m'a dit que tu avais comme médecin fait des prodiges. Dis-moi si j'aurai un fils.

Je la regardai d'un œil de médecin, en cherchant à oublier sa beauté, car par sa volonté cette beauté affluait vers moi comme si quelque chose en elle m'avait appelé, et elle produisait le même effet sur tous ceux qu'elle regardait.

– Nefertiti, dis-je, grande épouse royale, ne souhaite pas un fils, car tes hanches sont étroites et la naissance d'un fils pourrait mettre ta vie en danger. Seul Aton peut déterminer le sexe d'un enfant dans le sein maternel, et aucun homme n'en a le pouvoir. Certes, dans différents pays, j'ai appris bien des croyances populaires et vu bien des talismans à l'aide desquels les femmes croyaient mettre au monde des garçons, mais elles se trompaient une fois sur deux, puisque les chances sont égales. Toutefois, puisque tu as eu deux filles déjà, il est vraisemblable que tu auras un fils maintenant, mais ce n'est pas sûr, car je veux être honnête avec toi, sans chercher à te tromper avec des pratiques magiques parfaitement inefficaces.

Ces paroles ne lui plurent point, et elle ne souriait plus en me regardant de ses yeux clairs et inexpressifs.

Thotmès intervint hardiment dans la conversation et dit:

– Nefertiti, la plus belle des belles, enfante seulement des filles qui héritent ta beauté, afin que le monde soit plus riche. La petite Meritaton est déjà une beauté et les femmes de la cour cherchent à copier la forme de sa tête à l'aide de leur coiffure. Mais je veux faire de toi un portrait qui gardera éternellement ta beauté.

Le lendemain matin, j'emmenai Merit voir le cortège du pharaon, et elle était très belle, dans sa robe à la dernière mode, bien qu'elle fût née dans un cabaret, et je n'avais pas du tout honte d'elle en m'installant avec elle aux places réservées aux favoris du pharaon.

L'avenue des béliers était pavoisée d'oriflammes et bordée de gens accourus pour voir le pharaon, et des gamins avaient grimpé sur les arbres et Pepitaton avait disposé au bord de la route de nombreuses corbeilles de fleurs pour que le peuple pût selon la coutume en parsemer le chemin du roi. J'avais l'esprit léger et radieux, en songeant à un avenir de liberté et de lumière pour l'Egypte. A mes côtés se tenait une belle femme mûre qui était mon amie et avait la main sur mon bras, et autour de nous on ne voyait que des visages joyeux et souriants. Mais il régnait un silence impressionnant, si complet que le croassement des corbeaux au faîte du temple planait sur la ville, car les corbeaux et les oiseaux de proie accourus à Thèbes étaient si gavés qu'ils ne voulaient plus regagner leurs montagnes.

Ce fut une erreur de faire escorter la litière royale par des nègres peints, car leur seule vue irrita le peuple. En effet, il n'y avait guère de spectateur qui n'eût subi quelque dommage durant les troubles récents. Bien des gens avaient eu leur maison incendiée, les larmes des femmes n'étaient pas encore sèches, les blessures des hommes brûlaient toujours, et aucun sourire ne montait aux lèvres. Et Akhenaton parut, balancé dans sa litière bien au-dessus des têtes de la foule. Il portait la double couronne, celle de lys et celle de papyrus, et il avait les bras croisés sur la poitrine et ses mains serraient le sceptre et le fouet royal. Il se tenait immobile comme une statue, selon la coutume des pharaons en public, et le silence était effrayant sur son passage, comme si ce spectacle avait rendu le peuple muet. Mais les soldats postés le long de la route levèrent leurs lances et poussèrent des acclamations, et les riches et les nobles suivirent l'exemple, en lançant des fleurs devant la litière. Mais dans le silence impressionnant du peuple ces acclamations paraissaient faibles et grêles comme le bourdonnement d'un moustique isolé dans la nuit hivernale, et bientôt on se tut en échangeant des regards consternés.