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A nouveau il tira en silence son cigare. Kovask respecta cette rêverie, regarda la mer qui scintillait à perte de vue. Très loin un cabin-cruiser traçait une ligne blanche, très près de l’horizon. Il y avait aussi plusieurs voiliers qui cinglaient vers Key West.

— Serge, dit le sénateur à voix basse, j’ai peur.

— Peur ? Vous ?

— C’est une partie difficile. Je risque tout. Ma réputation, mon mandat, mon honneur.

— Vous sentez-vous menacé ?

— Oui. Constamment… Je fais des cauchemars et toute la journée je suis tracassé par ce problème. Je dois rencontrer cette jeune femme dans huit jours aujourd’hui. Nous sommes le 10 juillet ? Ce sera pour le 17. Dans un lieu secret évidemment.

— Vous craignez une indiscrétion ?

— Oui. Mais ce n’est pas tout. Je crains aussi pour Diana Jellis. Je sais que depuis qu’elle a accepté de me rencontrer elle est en danger de mort.

Il souleva ses épaules rembourrées, secoua la tête :

— Et surtout, surtout, Serge, je me demande si elle restera représentative jusqu’au bout. C’est difficile de traiter avec elle mais enfin j’ai de l’espoir. Mais imaginez au dernier moment qu’elle devienne l’objet d’un scandale, que tous ses admirateurs se mettent à la haïr ? Que deviendra notre entente ? Nous serons coulés l’un et l’autre. La première fois que nous nous sommes rencontrés, savez-vous ce qu’elle m’a dit ?

Kovask attendait, sa bouteille de bière vide à la main.

— J’ai accepté, a-t-elle dit, parce que vous êtes le moins dégueulasse parmi des dégueulasses. Vous voyez tout de suite la tournure qu’a pris notre discussion. J’ai voulu lui démontrer que d’autres sénateurs, d’autres représentants du peuple n’étaient pas des gens méprisables mais elle ne voulait pas m’écouter.

Kovask étira ses jambes nues. Il prenait soudain conscience de sa tenue sommaire face au sénateur dont le complet veston s’imbibait rapidement de sueur.

— Vous êtes un type que j’admire, dit Holden. Sinon je ne pourrais pas travailler avec vous. Elle aussi, je l’admire. Et j’ai pensé que vous deviez vous rencontrer.

Le sourcil froncé, Kovask ne comprenait pas.

— Vous serez à la hauteur, aussi intransigeant, aussi pur et dangereux qu’elle peut l’être. Kovask, il faut que vous partiez pour Los Angeles. Vous ferez une enquête sur elle, sur son milieu. Vous essayerez de prévenir les pièges qu’on est en train de préparer pour elle, les chausse-trapes dans lesquelles on veut la faire tomber. Car ils veulent sa peau. Tous. Le F.B.I., la C.I.A., les communistes, les gauchistes. Des tas de petits groupes révolutionnaires la haïssent. Je me demande même si les castristes l’aiment autant qu’ils le disent. Il y a aussi une machination des grands intérêts contre elle. Pensez, elle fait faire la grève aux manœuvres noirs et certaines entreprises sont au bord de la faillite à cause d’elle Non croyez-moi, elle vit sur un fil ténu. Et ils sont cinquante qui brandissent des ciseaux pour couper ce fil. Et en même temps ils auraient ma peau, vous comprenez ?

Mais bien qu’avouant sa peur il ne la montrait pas. Il souriait même un peu tristement et dans son regard vif passaient des lueurs pétillantes d’humour.

— Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez ? Que j’aille à Los Angeles dans le ghetto noir ? Je n’en ressortirai jamais si je réussis même à y pénétrer.

— Je sais, mais vous devez le faire. Je ne vois personne d’autre à qui confier une mission pareille.

— Pourtant vous avez des Noirs dans votre brain-trust.

— Oui, fit Holden avec une drôle de voix pleine de scepticisme, j’ai des Noirs. Je croyais les avoir bien choisis et je me suis aperçu qu’ils appartiennent soit à la grande bourgeoisie soit à l’élite intellectuelle et que dans le fond ils se foutent complètement du sort de leurs frères de couleur. Je dirai même qu’ils estiment que tout ce qui a été fait jusqu’à présent est bien suffisant. Oui, j’ai découvert ça, que j’étais très mal entouré.

— Vous pouvez les renvoyer.

— Non, pas tout de suite. Ils se douteraient de quelque chose et essaieraient de saboter mon entreprise. De plus si je trouvais des gars intéressants il me faudrait des mois pour les former et obtenir d’eux ce que je veux.

— Que voulez-vous que je fasse en fait ?

— Que vous furetiez partout. J’ai une méchante prémonition. On va essayer de saboter tout ce travail énorme que nous faisons, Diana Jellis et moi. Je dis bien énorme car elle parle comme une marxiste et moi comme un capitaliste libéral. Lorsque par exemple je propose un fonds de soutien aux entreprises noires elle me parle d’autogestion. Vous comprenez que nous devons aller jusqu’au bout de nos possibilités pour obtenir un terrain d’entente. Bon ; j’accepte le principe que certaines entreprises pourront être autogérées mais dans ce cas je ne peux pas promettre des fonds nationaux. Il faut trouver un financement ailleurs. Donc faire appel à l’investissement privé mais c’est elle qui saute au plafond et n’en veut pas. Mais je ne veux pas vous faire le bilan de nos rencontres. Sachez que nous sommes d’accord pour des hôpitaux, une université, des crèches et quelques autres choses. C’est quelque chose de tangible, ça.

— Mais comment le faire admettre au gouvernement ?

— Oh ! j’y parviendrai. Même si je dois me montrer conciliant sur quelques scandales mineurs. Il faut savoir composer pour obtenir le maximum. Voyez-vous, Serge, je serais vraiment au désespoir si nous devions encore connaître un été aussi chaud que celui de 65 par exemple. Si malgré tout cela devait se reproduire je crois que je me retirerais pour toujours de la vie politique.

— Mais vous n’allez pas me lâcher ainsi dans l’arène sans me donner quelques coordonnées ?

— Non, bien sûr, fit le sénateur. Je ne suis quand même pas aussi sadique que vous le pensez.

Il se retourna pour prendre une serviette en cuir noir, l’ouvrit et en sortit un dossier.

— J’ai des amis au F.B.I. qui me renseignent. Egalement à la C.I.A., à la D.I.A. et dans tous les services secrets et Dieu sait s’ils sont nombreux.

Kovask pensa qu’il avait été un ami intime de son ancien patron le commodore Gary Rice.

— Il y a un homme qui évolue dans l’entourage de Diana Jellis. Un drôle de type. Mais regardez sa photo.

Kovask vit le visage d’un Noir, coiffé à l’afro, portant la barbe, le regard incertain.

— Il louche ?

— Oui et à croire que ça influence sur son caractère car il loucherait aussi bien à droite qu’à gauche. Je veux dire que le personnage est douteux. Il a été accusé de provocation et d’incitation à la révolte lors de plusieurs émeutes. Mais jamais on n’a pu mettre la main sur lui ou prouver quoi que ce soit.

— C’est un ami de Diana Jellis ?

— Non, certainement pas, mais je sais par mes amis du F.B.I. qu’il s’intéresse à la jeune femme.

Il sortit plusieurs feuillets attachés ensemble :

— Vous lirez tout ça. Puis vous le détruirez. Ce n’est qu’une photocopie mais elle vous renseignera sur le personnage.

— Il habite Watts ?

— Oui, mais de temps en temps il disparaît pour de longues périodes comme s’il allait se recycler ou s’entraîner quelque part.

— Cuba ?

— Je ne sais pas. Il part en général pour l’Europe. Une fois à Paris il s’arrange pour perdre sa piste et le fait très habilement. Mais la présence de cet homme m’inquiète. Voyez-vous je ne dis pas que Diana Jellis est en train de se modérer. Non je ne le dirais pas et si elle se doutait que j’ai même pu le penser elle romprait nos relations. Mais enfin je lui trouve plus de bonne volonté depuis la dernière fois. Si nous continuons dans cet esprit-là nous pourrons faire de grandes choses. Mais elle doit se montrer prudente. Devant ses amis elle reste la fille révolutionnaire et ardente. D’ailleurs jamais elle ne se vantera des réalisations que nous ferons ensemble. Elle ne sera nullement mon obligée ni n’aura aucune espèce de considération à me montrer. Mais enfin elle devient plus accessible et je ne voudrais pas qu’un Petrus Lindson, c’est le nom de cet individu, vienne mettre tout en l’air.