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— Ils sont de Petrus ?

— Non, sûrement pas mais si elle continue il lui en fera un le salaud. Pour un salaud c’est un salaud. Il la prend n’importe où. Elle me l’a dit un jour. Comme une bête.

Cette jeune femme devait canaliser tous les potins de l’immeuble. La Mamma pensa qu’avec sa gentillesse et sa spontanéité elle devait être l’âme de ce coin du quartier.

— Vous ne savez pas où il habite ?

— Non. Il doit se planquer dans un endroit sûr. Mais vous savez votre amie peut faire son deuil de son argent.

— Oui, je le crois aussi, dit la Mamma. Je vous remercie beaucoup. Billie rentre tard ?

— Pas avant minuit. Elle travaille dans une boîte du côté de Santa Monica mais je ne me souviens pas du nom.

— Ça ne fait rien. Que fait-elle des enfants ?

— Elle les fait garder. Par une voisine. Il paraît que ce matin lorsqu’elle est allée les chercher Petrus était en train de besogner Billie debout dans le living. Vous parlez d’un sauvage. Mais il paraît qu’il est insatiable. Toujours prêt à faire ça.

Elle eut un rire trouble :

— Vous le croyez, vous ? Moi, mon bonhomme il rentre tellement crevé le soir qu’il ne faut rien lui demander.

— Que fait-il ?

— Egoutier. Il en faut.

La Mamma la laissa à son étage et descendit jusqu’à la rue. S’il le fallait elle reviendrait voir cette Billie Ganaway, essaierait de la faire parler sur Petrus Lindson.

Elle quitta Watts pour le motel où Kovask et elle avaient retenu chacun un bungalow mais comme le Commander n’était pas de retour elle en profita pour commander quelques sandwiches, un chianti de Californie et compulsa l’annuaire du téléphone. Elle trouva aisément le nom de la clinique de Santa Monica mais sans autres précisions. L’endroit paraissait s’entourer de discrétion. Peut-être y pratiquait-on des avortements pour la haute société.

Kovask regagna le motel vers 5 heures mais ne lui téléphona que lorsqu’il eut pris une douche et avalé plusieurs Coca-Cola prélevés dans le réfrigérateur de son bungalow. Lorsqu’il arriva chez la Mamma elle lisait sur la petite terrasse de sa chambre, un cigarillo entre les dents.

— Ça a marché ?

— Pas tellement et je me méfie. Ils sont sur leurs gardes et je crains d’être repéré. Alors Petrus Lindson ?

Elle fit part de ses découvertes. Il l’écouta avec attention jusqu’au bout. Quelque chose l’avait frappé dans le récit de sa vieille amie mais il ne retrouvait pas quoi. Il avait l’impression d’avoir laissé échapper un détail important.

— Que peut-il faire dans cette clinique ? D’après ce que je comprends il ne pénètre pas dans l’établissement mais reste dans sa voiture sur le parking des visiteurs ?

— Peut-être a-t-il rendez-vous avec quelqu’un mais cela ne doit pas durer bien longtemps puisqu’il n’est resté qu’un quart d’heure à l’intérieur au maximum.

— Cette fille qu’il rencontre fait-elle le trottoir ?

— Je n’en sais rien. Elle travaille dans une boîte.

— Il en serait le souteneur ?

— C’est fort possible. On ne m’a pas tellement vanté le personnage. Il est bien capable de maquer cette pauvre Billie.

Kovask tressaillit :

— Billie comment m’avez-vous dit ?

— Ganaway, je crois.

— Oui, c’est bien ça. Ganaway. Et elle a une sœur qui est gynécologue et qui se nomme Ella. C’est chez elle que Diana Jellis a passé une heure cet après-midi.

Très excitée la Mamma en oublia de tirer sur son cigarillo qui s’éteignit.

— Mais alors voilà enfin un lien entre le personnage et Diana Jellis ? Il connaît la sœur de la doctoresse chez laquelle notre amie la révolutionnaire se rend.

— Attendez avant de conclure trop vite, fit le Commander prudent. Il y avait bien la plaque de cette doctoresse mais j’ignore si Diana Jellis s’est vraiment rendue chez elle. Ce qui me le laisse supposer c’est qu’elle était seule. En général une femme, même très évoluée, n’aime pas trop se faire accompagner par l’homme de sa vie.

— De mon temps c’était ainsi, fit la Mamma, mais les mœurs changent si vite de nos jours.

— Ne jouez pas les grand-mères scandalisées. Donc il pourrait y avoir un lien. Mais lequel ?

La Mamma ralluma son cigarillo et considéra son patron avec une certaine indulgence :

— Vous savez les femmes vont au moins une ou deux fois dans leur vie chez un gynécologue. Il n’y a peut-être là qu’une coïncidence.

— Peut-être mais elle est étonnante, ne trouvez-vous pas ? On nous signale que ce Petrus Lindson s’intéresse à Diana Jellis, que le personnage est si suspect qu’il n’a certainement pas de bonnes intentions à son égard. Et notre Petrus est l’ami de la sœur de la doctoresse qui soigne Diana Jellis. C’est étrange.

Il alluma une cigarette et soudain ses yeux se plissèrent et il examina la Mamma avec une attention soutenue. Celle-ci n’y prenait pas garde, s’éventant avec la revue qu’elle avait cessé de lire lorsqu’il l’avait rejointe.

— Mamma, comment vous sentez-vous ?

— Moi, fit-elle innocemment en ouvrant de grands yeux, mais je me porte comme un charme. Il fait un peu trop chaud pour mon goût et j’ai les jambes un peu lourdes. Autrement ça va.

— Justement vos jambes… Vous ne pensez pas que vous devriez vous en inquiéter.

Enfin elle réalisa où il voulait en venir et le foudroya du regard :

— Si vous comptez m’envoyer chez cette doctoresse, je vous dis carrément qu’il n’en est pas question. J’ai atteint un âge canonique et ces petites contingences féminines n’existent plus pour moi. D’ailleurs, j’ai toujours détesté ce genre d’examen.

— Vous pourriez inventer quelque petit malais, dit-il avec gêne. Mais je n’ai pas de conseil à vous donner.

— Ne trouvez-vous pas que vous exagérez ? Bon et puis ? Je ne vais quand même pas fouiller dans ses dossiers, non ?

— Vous êtes assez maligne pour lui tirer les vers du nez, toute gynécologue qu’elle soit. Allez n’oubliez pas que les consultations commencent à 1 heure. Soyez-y longtemps avant car son cabinet ne désemplit pas.

* * *

On avait remplacé les chaises par des bancs de jardin public en bois et à la peinture verte écaillée. La Mamma était coincée entre une grande fille excessivement nerveuse et une grosse « doudou » qui buvait de temps en temps un peu de rhum coupé d’eau contenu dans un petit flacon qu’elle sortait de son sac. Elle en avait proposé à la Mamma et à ses voisines. Seule la Mamma avait refusé.

Il y avait en tout une quinzaine de femmes dans la salle d’attente dont la moitié étaient enceintes. La Mamma s’était présentée vers midi mais déjà sept personnes avaient été plus prudentes qu’elle. Une aide-médicale avait rempli sa fiche. Elle avait donné un faux nom, prétendu qu’elle éprouvait quelques malaises. Depuis elle attendait son tour mais les visites n’avaient pas encore commencé. Il faisait une chaleur abominable et de cet entassement humain montaient des bouffées encore plus chaudes au parfum poivré.

— Je sais ce qu’elle va me dire, dit la grosse Doudou qui buvait son rhum. Que je me fasse recoudre. C’est depuis Louis que je suis déchirée. Il faisait près de douze livres le petit monstre et ensuite j’en ai eu quatre, non cinq. Elisa, Boris, Fidel et Angela. Mais moi je ne veux pas. Si je dois encore en avoir d’autres ils passent plus facilement. Alors bien sûr elle me place un pessaire.

Elle se tourna vers la Mamma :

— Et vous c’est pourquoi ? Pas pour un accouchement, pas vrai ?

Il y eut des rires mais la Doudou resta très sérieuse :