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Tranquillement Ella sortit des médicaments de sa trousse.

— Tu en as bien pour quelques jours à te remettre. Tu prendras ça, mais garde le lit. Qui s’occupe des enfants ?

— La voisine qui les garde d’habitude. Avec un supplément elle consent à ce qu’ils restent la nuit. Mais ils ne sont pas contents. Surtout Flossie qui voudrait bien revenir ici.

On frappa et tout de suite une jolie fille entra portant un plateau. Ella la reconnut comme étant une locataire de l’immeuble habitant au-dessus de sa sœur.

— Voilà un peu de potage. Et puis un jus d’orange. Il paraît que ça fait du bien quand on est mal fichu. Mon mari qui est égoutier en boit beaucoup. Avec ce temps il paraît que les égouts sont remplis de fumée.

— Je te présente Marina, dit Billie d’une voix mourante, elle s’occupe bien de moi.

— Oh ! c’est la moindre des choses, dit la jeune femme. Je reviendrai avant de me coucher.

Billie but son jus d’orange mais regarda le bouillon d’un air dégoûté :

— Ça ne me dit rien. Mais elle est si gentille, Marina… Tu sais ce qu’elle m’a raconté ? Qu’il y a plusieurs jours une bonne femme est venue. Elle cherchait Petrus Lindson.

— Une fille jalouse ?

Malgré son mal de crâne Billie se mit à rire :

— Non. Une vieille femme, une métisse certainement. Elle racontait que Petrus devait de l’argent à une de ses amies et qu’elle le cherchait. Marina lui a dit qu’il venait chez moi parfois et elle voulait en savoir davantage.

— Une vieille femme métisse ? Avec un grand cabas qui pend de son épaule ?

— Ça, je n’en sais rien. Tu la connais ?

Ella ne répondit pas. Billie n’était pas très au courant de l’affaire. Elle savait qu’on avait enlevé ses enfants pour obliger Ella à faire quelque chose. Puis on lui avait rendu ses gosses et elle n’avait pas osé demander à sa sœur ce qu’elle avait dû accepter. D’ailleurs elle préférait certainement n’en rien savoir. Toujours la politique de l’autruche chez elle.

— Tu as l’air ennuyé. C’est à cause de cette bonne femme ? Tu sais Petrus doit avoir des tas de gens à ses trousses, il doit faire des dupes chaque jour.

Ella s’assit à son chevet et la regarda dans les yeux :

— N’oublie pas que nous sommes sous une menace constante. J’ai eu cette bonne femme dans mon cabinet.

— Tu es sûre que c’était la même ?

— Il y a de grandes chances. Elle est venue se faire ausculter alors qu’elle était en excellente santé. Elle peut passer pour une métisse mais en fait elle a la peau blanche. C’est une Italienne. Lorsque je l’ai interrogée elle ne l’a pas caché. D’ailleurs à la fin de la visite elle était assez décontenancée. Elle voulait me faire dire des choses assez inattendues pour une simple malade.

— Tu crois qu’elle va revenir ?

— Pas chez moi.

— Ici ? s’effraya Billie.

— Pourquoi pas.

— Tu crois que c’est dangereux ?

— Oui.

Billie regarda ailleurs pour proposer :

— Peut-être faudrait-il prévenir Petrus. Moi, je pense surtout à mes gosses. Ce type est à moitié cinglé. S’il se doute de quelque chose c’est à moi qu’il s’en prendra. Je préfère prendre les devants.

— Il dira que tu as commis des indiscrétions.

— Pas forcément. Qu’en penses-tu ?

— Je n’aime pas Petrus, pas plus que son compagnon. Mais nous avons accepté un marché contraintes et forcées. A la moindre erreur nous risquons de le payer cher. Ces gens-là ne plaisantent pas. Ils n’auront aucune pitié et Petrus malgré ses airs de fanfaron est capable de la plus grande cruauté, sois-en certaine. Je ne veux ni ne peux te mettre dans la confidence mais j’ai compris que l’enjeu était très important et que durant des mois nous devrons nous conformer à leurs conditions.

Billie se souvint de ce que Petrus avait dit. Lui aussi avait parlé de mois. Il avait même précisé que jusqu’au début de l’année prochaine elles seraient toujours sous surveillance.

— Alors j’ai raison de vouloir le prévenir ?

— Je ne sais pas, dit Ella… Il faudrait rechercher qui est cette vieille femme, ce qu’elle veut. Je n’en ai pas le temps et il est impossible de demander l’aide de quelqu’un.

— Je ne vais pas faire chercher Petrus mais s’il vient je lui raconterai l’histoire.

Sa sœur avait encore des scrupules mais après tout il s’agissait des enfants de Billie. Elle n’avait pas peur pour elle, se moquait de ce qui pouvait lui arriver mais ces enfants qu’elle avait mis au monde étaient un peu les siens.

— Faisons ainsi, soupira-t-elle. Ça ne m’emballe pas de jouer les mouchardes, mais nous vivons dans un monde sans pitié. Il nous faut essayer de survivre en évitant de trop réfléchir.

— S’il s’agissait de la police ? Le F.B.I. ? Tu crois qu’ils utilisent des auxiliaires de cette sorte ?

— C’est possible.

— Si nous prévenons Petrus ne vont-ils pas nous faire disparaître toutes les deux ? Une fois mortes nous ne pourrons plus rien dire.

— Tu as raison, dit Ella. Il faudrait quand même prendre nos précautions.

— Comme dans les polars, écrire chacune une lettre qui raconte ce qui s’est passé et confier cette lettre à quelqu’un. Un homme de loi par exemple, un solicitor.

— C’est une bonne idée, dit Ella. Tu vas rédiger la tienne, et moi, je ferai ensuite la mienne. Je les placerai dans deux enveloppes différentes que je glisserai dans une plus grande. Je connais un solicitor. Dès que tu rencontreras Petrus tu le mettras au courant. Nous lui montrons ainsi notre bonne volonté mais aussi que nous ne sommes quand même pas des idiotes.

Billie ferma les yeux. Elle haletait autant d’appréhension que sous l’effet de la fièvre.

— Je ne sais pas si j’oserai. Si tu pouvais être là… Je pourrai te téléphoner dès qu’il se montrera.

Une fois de plus elle devait prendre toutes les responsabilités. Billie serait toujours une enfant incapable de s’affirmer. Elle devait s’y résigner.

— Bien. C’est entendu. Mais tu vas écrire cette lettre, donner des précisions sur l’enlèvement des enfants, sur les détails qu’ils ont pu te donner lorsqu’ils sont revenus.

— Les pauvres choux ils ne savaient pas grand-chose. J’ai compris qu’ils étaient dans une maison avec un bassin dans lequel ils pouvaient se baigner sans danger, que c’était une femme blanche qui s’occupait d’eux avec gentillesse. On leur a fait manger beaucoup de fruits et j’ai pensé que la maison devait être entourée de vergers.

— Ecris tout cela.

— Je suis si fatiguée.

— Fais un effort.

Lorsqu’elle eut écrit deux feuillets Ella les enferma dans une enveloppe qu’elle cacheta.

— Il faut que je parte maintenant. J’ai quelques visites à faire.

Elle l’embrassa et quitta la maison. Tout en roulant elle songeait à la vieille dame. Elle n’avait aucune haine contre elle et pensait que c’était une brave femme mais elle ne pouvait prendre le risque au sujet des enfants.

* * *

Lorsqu’il se réveilla ce matin-là, Petrus Lindson resta quelques minutes hébété. Il avait fait des rêves désagréables auxquels Diana Jellis était mêlée. Il se souvenait mieux maintenant et frissonna. Diana lui crevait les yeux avec des aiguilles à tricoter tandis que Moron et Mel Santos le tenaient. Il grimaça et quitta son lit pour se raser. Au début de l’opération il avait eu affaire à Moron et à ses hommes. Un soir du mois de mai ils l’avaient coincé dans un quartier désert pour lui poser quelques questions. Pourquoi il était revenu dans le quartier, comment il gagnait sa vie. Il avait prétendu qu’il jouait aux courses. Puis on l’avait interrogé sur ces hommes inconnus mais très élégants qu’on avait signalés dans le ghetto noir.