Elle pivota et regarda l’homme qui était sorti de la chambre silencieusement. Tout de suite elle ne le reconnut pas à cause de la barbe et des cheveux coiffés à l’afro. Puis le regard lui rappela quelqu’un, quelqu’un qui louchait terriblement et s’efforçait de le cacher.
— Petrus, dit-elle, Petrus Lindson.
Le garçon s’inclina.
— On n’a pas oublié les vieux amis ?
Un ami, Petrus ? Certainement pas. Un personnage trouble, excité et violent. Toujours prêt à lancer les autres dans des actions sanglantes. Elle se souvenait de son rôle durant les émeutes de 65. Il dirigeait les pillages, les incendiaires mais on ne l’avait jamais arrêté faute de preuves contre lui. Jamais elle n’avait pu savoir à quel groupe il appartenait.
— Toujours belle, Ella, dit-il. Tu n’as pas changé. On dit que tu es un bon médecin.
La jeune femme regarda sa sœur mais celle-ci détournait les yeux. S’était-elle débarrassée des enfants à cause de ce type ? Comment pouvait-elle lui trouver un attrait quelconque ? Quant à elle, il la dégoûtait profondément.
— Oui, toujours belle, dit-il en avançant.
Il avait les pouces dans la ceinture de son jean qui moulait son ventre de façon impudente. Effarée, elle découvrit la bosse que faisait son désir en attente, détourna les yeux profondément choquée. Elle ne comprenait plus rien à la situation.
— Billie, vas-tu m’expliquer enfin…
— Non. C’est moi qui vais le faire. Si tu veux bien. Ella, ta sœur ne pourrait pas dire deux mots de suite. Tu la connais ? Emotive en diable.
— Et toi, beau parleur, hein ? fit-elle acerbe en le fixant dans les yeux. Je me souviens des meetings de 65. Tu savais bien enflammer les foules puis te dérober au dernier moment.
Il ricana :
— Toujours courageuse, hein ? Tu n’as pas peur ?
— De qui, de toi ?
— Pourquoi pas ? demande à ta sœur si elle n’a pas peur de moi.
Pas la peine. La jeune gynécologue se rendait bien compte que Billie maîtrisait difficilement une terreur sans nom. A son tour elle commença à se sentir plus que mal à son aise sous le regard divergent de Petrus.
— Qu’as-tu fait des enfants ? demanda-t-elle doucement.
— Ah ! fit Petrus en frottant ses mains.
Il se laissa tomber sur le divan, écarta les bras et les jambes comme un homme qui veut se relaxer. A nouveau elle remarqua la protubérance du bas-ventre. Loin d’être dégoûtée elle en fut rassurée. Petrus la désirait et elle pouvait toujours composer avec un homme ainsi conditionné par le désir.
— Je ne suis pas obligé de te répondre, dit-il… Et même je pourrais te demander de me poser la question à genoux. Tout près de ce divan, tu vois ce que je veux dire ? Et si tu te comportes bien, peut-être que je te donnerai des nouvelles de leur santé. Oui, peut-être.
Il tendit la main, prit un paquet de cigarettes et puisa dedans.
— Billie, du feu.
Ella suivit des yeux sa sœur qui se précipitait dans le réduit servant de cuisine, revenait une boîte d’allumettes à la main. De ses doigts tremblants elle en craqua une, approcha la flamme de la cigarette.
Petrus tira sur la flamme, saisit le poignet de Billie dans sa main. Il souffla l’allumette sans la lâcher puis dirigea cette main vers son ventre. En même temps, il regardait Ella figée dans une stupeur sans nom.
— Tu vois comme elle est docile ? Si je le veux elle fera bien autre chose. Pas vrai, Billie ? Et même toi tu le feras. Parce que les deux petits enfants sont quelque part. Où ça ?
Il se mit à rire comme un fou tout en faisant opérer aux doigts de Billie un mouvement de va-et-vient sur le tissu de son jean.
— Les pauvres petits…
Soudain il repoussa brutalement Billie, plongea en avant. Ella avait ramassé un lourd cendrier en granit et venait de le lui lancer à la figure. L’objet passa à quelques centimètres de sa tête, roula sur le plancher avec fracas.
Petrus se releva d’un bond, le visage déformé par la rage :
— Ne recommence jamais… Jamais, tu entends ? Sinon je te fais ramper à mes pieds et je t’oblige à me faire tout ce que je voudrai. Et tu le feras sinon un des enfants mourra. La petite fille pour commencer, la plus grande. Puis le petit garçon. Et tu dois me croire.
— Je t’en prie, murmura Billie d’une voix rauque. Crois-le. Ça dure depuis ce matin…
Puis elle éclata en sanglots et vint vers sa sœur, appuya son front contre ses reins. Petrus ramassa la cigarette qui fumait sur le plancher, la porta à ses lèvres épaisses et crevassées :
— Ta sœur est raisonnable. Elle est arrivée à un stade où elle a compris ce qu’il fallait faire. Toi, tu n’as pas compris.
— Que veut-il ? dit Ella sans s’occuper de Petrus. Compte-t-il sur notre complaisance ? Il aurait enlevé les deux gosses uniquement pour ça ? Il y a des bordels un peu partout et des filles à deux dollars. Pas besoin de prendre de tels risques.
Dans un rire strident Petrus se pliait en deux comme si ce que disait la jeune femme était du plus grand comique. Billie renifla et parla doucement.
— Ils dormaient quand je suis allée faire les courses ce matin vers 10 heures. A mon retour Petrus était là mais pas les gosses. Puis il m’a demandé de te téléphoner. Je crois qu’il attend quelqu’un.
— Voilà, dit Petrus, j’attends quelqu’un. Il a un peu de retard mais c’est normal. En attendant j’ai passé le temps comme j’ai pu. Billie a été très gentille tout à l’heure. Juste avant qu’elle ne te téléphone. Tu devrais prendre exemple sur elle, mon petit. Ça nous occuperait. Et ne prends pas tes airs de madone outragée. Si tu veux que les petits aient leur lait ce soir tu ferais mieux de prendre ma demande en considération. D’ailleurs j’ai toujours eu envie de coucher avec toi.
Elle frissonna. Elle avait beau penser aux deux enfants, aux dangers qui les menaçaient, jamais elle ne pourrait accepter de consentir à ce qu’il demandait.
— Tu vois ? Moi, je n’attends que ça. Depuis que tu es rentrée. Tu es si belle, Ella. Depuis toujours j’ai un petit faible pour toi. Il y a longtemps que j’ai envie de coucher avec toi.
— Que veux-tu faire des enfants ?
Il eut un geste désinvolte :
— Oh ! ça c’est autre chose et celui qui doit venir te l’expliquera mieux que moi. Viens ici, nous allons faire l’amour. Sous les yeux de ta sœur. Ça ne vous est jamais arrivé, je parie. Oh, je suis sûr que Billie a souvent fait ça en compagnie, mais jamais devant toi. Et puis, tu vois, ça m’excite de savoir que chaque jour tu visites plusieurs dizaines de femmes. Oui, vraiment, ça me fait quelque chose.
Elle le toisa :
— Donc tu n’es qu’un exécutant ? Il y a quelqu’un au-dessus de toi ?
Il resta la bouche ouverte, interloqué, puis fit une grimace de dépit.
— Je suppose que, dans ce cas, cet inconnu n’aimerait pas apprendre que tu as abusé de la situation pour ton propre compte ? Je te prie de nous laisser tranquille.
Il la regarda avec des yeux un peu fous, oubliant de se concentrer et louchant abominablement.
— Tu le regretteras, dit-il.
— Possible mais en attendant je vais faire du café.
Entraînant Billie elle passa dans la cuisine et mit l’eau à chauffer sur le gaz.
— C’est lui qui t’a demandé de m’appeler ?
— Oui…, fit sa sœur ennuyée. Je crois que c’est à toi qu’ils en veulent. Je suis désolée de t’attirer des ennuis à cause de ces gosses. Si j’avais suivi tes conseils…
Elle ne montra aucune compassion :
— Je t’en prie. Ils auraient trouvé autre chose. Tu ne sais pas ce qu’ils me veulent exactement ?