— Des précautions ?
— Deux lettres. Une écrite par moi, une par elle. Ce matin elle les a déposées chez un solicitor. Si jamais tu nous tues ou si nous mourons il les ouvrira.
Durant une minute il lutta contre un instinct sauvage délirant. Il se voyait en train de lui ouvrir le ventre et de lui enrouler ses intestins autour du cou. Le rêve ne l’avait donc pas trompé, c’était bien un avertissement et il ne devait pas se laisser aller à commettre un acte dangereux pour lui.
— Deux lettres hein ? Sales putains !
Billie voulut se rebiffer :
— Ella n’est pas une putain.
Il se rua sur elle, commença à la gifler avec une violence telle qu’elle crut que sa tête allait se détacher et voler à travers la pièce. Mais elle évita de hurler ce qui n’aurait fait qu’exciter son bourreau. Il finit par la laisser tandis qu’elle s’écroulait en sanglotant.
— Salope !
Tournant les talons il se précipita dehors, remonta au volant de sa Chrysler jaune. Il lui fallait voir la gynécologue au plus vite. Il était peut-être temps de l’empêcher de remettre ces lettres. Et puis il voulait en savoir plus long sur cette vieille femme.
Satisfait il aperçut la petite Simca de la doctoresse devant sa porte. Il se précipita dans l’escalier, enfonça le bouton de la sonnette.
Le matin Ella Ganaway était seule chez elle. L’aide médicale ne venait que vers midi et aussi une femme de ménage qui mettait de l’ordre et préparait un peu de nourriture que la jeune femme trouvait dans le frigo.
Elle pensa qu’il s’agissait d’un mari affolé venant la chercher pour sa femme sur le point d’accoucher. Lorsqu’elle ouvrit et vit le visage convulsé de Petrus elle voulut lui pousser la porte au nez mais il la refoula avec force, la claqua d’un coup de talon.
— Les lettres, dit-il. Billie m’a raconté ce que vous vous apprêtiez à faire.
— Sortez, dit-elle, sortez ou j’appelle.
— Il n’y a plus que des femmes dans cette maison. Les hommes sont en train de palabrer devant le bar du coin.
C’était vrai.
— Je suis allée porter ces lettres ce matin.
Il la gifla à la volée, la projetant à terre. Sa robe de chambre s’ouvrit entièrement sur ses longues jambes, son ventre plat où brillait sa toison luxuriante. Il regretta d’avoir gaspillé ses forces avec Billie. Il aurait volontiers violé sa sœur qui était beaucoup plus belle que la petite dodue. Elle se releva, se hâtant de cacher sa nudité. Ce regard sur son ventre l’avait troublée et elle se sentait soudain en situation d’infériorité devant cette force brutale. Il ne fallait pas qu’il s’en doute. Et alors qu’il se croyait le plus fort elle le gifla dans un aller et retour très sec.
— Nous sommes quittes, dit-elle sèchement.
Mais elle venait de déchaîner Petrus qui se jeta sur elle, la frappa avec son poing au menton. A moitié groggy elle vacilla sur ses jambes. Il la saisit aux cheveux et la tira derrière lui, pénétrant dans la cuisine. Elle serrait les dents, les yeux pleins de larmes mais n’aurait crié pour rien au monde. Il ouvrit un tiroir, un autre, les jetant ensuite sur le carrelage jusqu’à ce qu’il trouve un long couteau de cuisine. Il le prit de la main droite, souleva sa victime par les cheveux à bout de bras. Puis il mit la pointe du couteau sur le ventre à nouveau découvert :
— Tu sais ce que c’est une césarienne, hein ? Où sont les lettres ?
— Je les ai remises au solicitor. Je suis sortie très tôt ce matin.
— Non.
D’un sourire méchant il désigna le collant et le slip qui séchaient sur le radiateur du chauffage central :
— Tu n’es pas sortie. Tu les laves chaque soir et les remets le lendemain. Où sont les lettres ?
Il la piqua avec la pointe du couteau un peu en dessous du nombril. Malgré ce qui s’était passé avec Billie il sentait renaître son désir et cette puissance sexuelle le rendait ivre de fierté. N’avait-il pas une fois fait l’amour six fois dans une seule journée ? Il se sentait le plus fort.
— Les lettres ?
Ella lut sa mort dans ces yeux mobiles et affolants. Elle y lut aussi la montée d’un désir forcené.
— Dans mon sac… Sur le lit de ma chambre… J’allais sortir.
Petrus la traîna derrière lui pour vérifier ses paroles, la lâcha avec un grognement de joie en voyant le sac. Il l’ouvrit, en sortit la grande enveloppe pliée en deux, la déchira, pour prendre les deux enveloppes plus petites.
Lorsqu’il se retourna Ella tenait à la main un scalpel effilé comme une lame de rasoir. Sans le savoir elle avait choisi l’arme qui seule pouvait faire reculer Petrus. Il avait peur des rasoirs, des couteaux lorsqu’un autre que lui les maniait. Dans sa jeunesse il avait failli être égorgé par un gang de jeunes, avait serré entre ses doigts la lame d’un rasoir à manche. Depuis il portait encore les cicatrices. Il se souvenait de ces quatre doigts à moitié sectionnés, de ce sang qui giclait et qui avait même affolé son agresseur. Il recula vers le mur.
— Sortez, sortez vite sinon je ne sais pas ce que je vais faire, dit-elle d’une voix retenue, rauque. Il eut l’impression d’entendre feuler une panthère.
— Ecoutez, dit-il en passant sa langue sur ses lèvres sèches…
Il pensait à son Colt mais c’était trop dangereux de tirer dans cette maison. Il n’en sortirait pas. Il avait les lettres et pour l’instant, c’était l’important.
— Je m’en vais, dit-il, mais ne recommencez jamais à vouloir écrire ce genre de lettre…
— Partez.
Elle s’approchait et le scalpel nickelé jetait des lueurs inquiétantes. Il reculait, s’embrouillait les jambes, faillit même tomber. Sans savoir comment il se retrouva dans le couloir, ouvrit la porte sans oser lui présenter son dos. Il savait qu’une personne exaspérée peut profiter d’un tel mouvement pour oser tuer.
La porte s’ouvrit et il continua de reculer jusqu’à ce qu’il soit sur le palier. Ella repoussa la porte, tourna le verrou. Puis elle jeta le scalpel avec dégoût. Jamais comme dans ces dernières minutes elle n’avait éprouvé le besoin de tuer, de tuer sauvagement en tranchant la gorge de cet homme. Il ne saurait jamais combien il avait été à deux doigts de mourir lorsqu’il était en train d’ouvrir son sac pour y prendre l’enveloppe. Elle se dégoûtait profondément et se dirigea avec accablement vers la salle de bains. Elle avait les yeux rouges parce qu’il lui avait tiré les cheveux et une petite douleur cuisante au-dessous du nombril. Elle y écrasa une petite goutte de sang. Son menton lui faisait mal et paraissait gonfler à la suite du coup de poing. Elle n’aurait jamais cru un homme capable de tant de sauvagerie, sauvagerie qui avait fini par trouver un écho en elle, ce qui la troublait encore plus. Comme l’avait troublée le désir de ce tueur.
Furieux, des idées de meurtre dans la tête, Petrus roulait à l’aveuglette. Il ne savait plus ce qu’il faisait et faillit griller un feu rouge. Un cop noir le menaça de son doigt levé et il se calma d’un seul coup. Ce n’était pas le moment de se faire interpeller. Il avait une arme et pas d’autorisation. Et puis aussi ces deux lettres qu’il n’avait pas encore détruites.
Il roula jusqu’à ce qu’il arrive dans la partie de Watts non reconstruite depuis 65. Il descendit de voiture, alluma une cigarette et regarda autour de lui. Les ruines étaient envahies par des clochards, des hippies, des chiens et des rats. Il s’enfonça entre les murs écroulés, trouva enfin un endroit tranquille. Il ouvrit les enveloppes. Chacune des femmes expliquait ce qui s’était passé au mois de mai, dans quelles conditions elles avaient été forcées d’obéir. Les dates étaient précises ainsi que le détail.