L’hôtesse de la réception dut la reconnaître et fronça ses sourcils bien dessinés. Que voulait encore cette vieille femme qui ressemblait tant à une Métisse ?
La Mamma arbora son sourire le plus sympathique, comptant sur ses fausses dents pour paraître encore plus aimable.
— Vous me reconnaissez ? J’enquête toujours sur la même personne. Or je viens de la voir discuter avec un homme jeune, blond, très beau, vêtu d’un ensemble blouson-pantalon en daim, l’air sportif. Il vient de sortir d’ici.
L’hôtesse prit un air très officiel.
— Je ne suis pas autorisée à vous renseigner sur les gens qui viennent dans l’établissement.
— Ecoutez, c’est très important. Vous me rendriez un grand service. Ce que je vous demande n’est pas illégal. Ne voulez-vous pas m’aider ?
— Je regrette, dit sèchement la fille. Tout ce que je peux vous dire c’est que je ne connais pas l’homme dont vous parlez. Il s’agit peut-être d’un représentant.
La Mamma pinça ses lèvres et prit un air si inquiétant que la fille chercha de l’aide autour d’elle d’un regard effrayé.
— Très bien. Je me débrouillerai autrement. Mais ne me prenez pas pour une idiote. Un représentant ne serait pas venu ici mais directement à l’entrée de service. Je souhaite que ce que vous venez de faire ne vous tombe pas sur la tête un jour.
La fille en resta muette et vaguement inquiète.
CHAPITRE XI
Kovask écouta la Mamma tout en réfléchissant, nota le numéro de la Ford bleue sur son calepin.
— On pourrait connaître l’inconnu de cette façon, du moins l’adresse. Petrus lui parlait comme à un domestique.
— Il faudrait demander à la police locale à quoi correspond le numéro. Nous n’appartenons pas à un service officiel mais travaillons pour un sénateur, ne l’oubliez pas. Cela change tout.
Elle soupira :
— C’était quand même plus facile avant.
— Oui, dit-il sèchement, mais souvent beaucoup moins honorable. La profession de barbouze : n’a rien de bien enthousiasmant. Non, pour en revenir à ce type une seule solution.
Il faut que je me rende à cette clinique mais je dois trouver un prétexte.
— La petite garce de la réception sera peut-être sensible à votre charme, dit la Mamma, mais moi, je renonce. Elle me considère comme une vieille sorcière.
Au début de l’après-midi malgré la canicule, Kovask pénétra dans le hall de la clinique. Le climatiseur était poussé si bas qu’il frissonnait de froid. La fille en question était rousse, avec un visage agréable, une jupe courte qui laissait voir ses jolies jambes sous sa table de verre. Détail que la Mamma avait oublié de signaler.
— Bonjour, monsieur, que puis-je pour vous ?
— Voici, dit-il en souriant. Je suis un industriel et j’habite Santa Monica. Ma sœur et mon beau-frère doivent venir passer quelques mois chez moi. Ils arrivent du Chili. Ma sœur est enceinte de huit mois et très fatiguée. Je cherche une bonne clinique pour qu’elle puisse se reposer quelque temps avant l’accouchement dans les meilleures conditions possibles. Vous êtes bien une clinique obstétrique ?
— Mais bien sûr, monsieur. Nous sommes surtout spécialisés dans les accouchements. Je vais d’ailleurs vous remettre une documentation et nos tarifs.
Il parcourut ces derniers, s’intéressa aux prix les plus élevés, voulut savoir ce qu’il obtiendrait pour sa sœur pour une somme aussi coquette. La fille rousse se mit en quatre pour le renseigner. Elle trouvait cet industriel de plus en plus sympathique. Il ne portait pas d’alliance et d’après ce qu’elle comprenait il paraissait célibataire. D’ailleurs très effrayé de ses responsabilités de frère et ayant grande hâte de résoudre le problème que lui causait le retour de sa sœur. Et surtout une sœur qui attendait un enfant.
— C’est parfait, dit-il en examinant les photographies des différentes chambres proposées, véritables suites de palace international. Ma sœur sera très bien et mon beau-frère sera heureux.
Il sourit à la jeune fille.
— Voulez-vous me donner votre nom et adresse ? fit-elle. Pour la réservation.
— Je ne suis pas encore décidé. Il faut que ma sœur voie cette documentation mais par contre je suis bien décidé à vous inviter dîner ce soir.
Elle prit un air très sage :
— Et croyez-vous que je dois accepter ?
— Pourquoi pas ? Que diriez-vous du Tropicana ? On y mange bien, on y danse et on peut même se baigner la nuit.
C’était une boîte fabuleuse et elle pensa qu’il allait gaillardement balancer deux ou trois cents dollars pour sa soirée.
— Mon nom est Serge Kovask, dit-il, mais c’est uniquement pour votre usage personnel.
— Moi, Ginger Manheim.
Elle s’excusa avec une légère rougeur :
— Ma mère était une admiratrice de Ginger Rogers.
— Elle avait beaucoup de goût. Ils formaient un couple merveilleux elle et Fred Astaire. J’aime beaucoup ce prénom. Il a quelque chose d’enivrant.
— Hé, fit-elle, vous êtes toujours aussi lyrique ?
— Non. D’accord pour ce soir ? Je passe vous prendre ? Chez vous ?
Elle lui donna son adresse puis accompagna sa silhouette d’un regard ravi. Etait-ce la chance de sa vie ? Un garçon magnifique riche industriel et ayant plus de la trentaine ? Tout à fait le genre d’homme qu’elle aimait.
Lorsqu’il la vit descendre après son coup de sonnette, Kovask ne regretta pas de l’avoir invitée. Elle portait une robe d’un vert agréable, très simple mais qui moulait ses formes à la perfection. Tout de suite, il devina qu’elle ne portait rien en dessous. Il avait loué une Cadillac pour faire bonne mesure et elle apprécia les fermetures électriques, les sièges en cuir, la chaîne stéréo.
Au Tropicana, un peu effarée, elle accepta caviar, foie gras et homard. Plus le Champagne dont les bouteilles défilaient à en perdre le compte.
Elle finissait par danser avec beaucoup de lascivité, comme toutes les femmes présentes d’ailleurs. De la plus jeune à la plus vieille toutes paraissaient en rut dans cet endroit raffiné et elle surprit dans les bosquets fleuris des scènes dignes de revues danoises. A plusieurs reprises tout en dansant ils aperçurent une vieille célébrité de l’écran qui se comportait comme une véritable chienne en compagnie d’un jeune garçon aux cheveux longs.
— C’est dégoûtant, murmura-t-elle sans conviction dans ses bras.
— Vous le pensez vraiment ? fit-il en mordillant son oreille.
Elle roucoula, se serra encore plus contre lui, projetant son ventre contre le sien :
— Oui quand il s’agit d’une vieille peau. Autrement…
Elle accompagna ces paroles d’un regard noyé d’alcool et de désir levé vers lui. Il l’embrassa longuement et elle noua ses bras autour de son cou.
Vers minuit ils remontèrent en voiture.
— Tu m’amènes où ? Chez toi ?
— Hélas, dit-il, ma sœur est assez prude et je ne voudrais pas…
— Allons chez moi… On boira un gin-tonic. J’en ai toujours, forcément, avec mon nom.
Elle riait bêtement mais faisait très bien l’amour. Une fois dans son petit studio elle se déchaîna et voulut à toute force lui prouver qu’elle avait autant de science érotique que la vieille actrice sur le déclin. D’ailleurs elle avait une bouche pulpeuse très douce, très experte et n’en était pas à sa première tentative.