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Malheureusement elle s’endormit tout de suite après la deuxième reprise, vaincue par la fatigue et le Champagne. Il dut attendre son réveil pour obtenir ce qu’il était venu chercher.

De le découvrir près d’elle à son réveil, alors qu’elle avait l’habitude de se réveiller seule, les hommes qu’elle ramenait chez elle s’éclipsant comme des mufles au cours de la nuit, la rendit follement heureuse et elle pensa qu’il était vraiment épris d’elle.

— Tu as dû me trouver un peu nymphomane hier au soir mais tu ne peux savoir l’effet que tu m’as fait, dit-elle en le caressant tendrement. Sa main glissait le long du corps musclé de Kovask.

— Non, j’ai trouvé que tu étais formidable, dit-il. Je suis heureux d’être avec toi.

— C’est vrai ?

Elle en béait de joie. Il amena habilement la conversation sur la clinique mais elle l’interrompit pour recommencer des jeux plus intimes. Enfin elle alla préparer du café tandis qu’il prenait une douche.

— Tu vas être en retard pour ton travail.

— Je ne commence qu’à midi aujourd’hui. J’avais prévu le coup.

Tout en déjeunant il lui demanda si la clinique était vraiment aussi sensationnelle que le laissait entendre la documentation.

— Oui, c’est parfait, dit-elle. D’ailleurs nous avons des clientes si exigeantes.

— Si par exemple je connaissais une fille ayant certains ennuis, tu crois que là-bas…

Elle pouffa :

— Bien sûr. C’est trois ou quatre fois par jour que l’on pratique des avortements. Parfois même plus. Mais il faudrait que la fille soit aussi riche que toi car c’est cher. Entre mille et deux mille dollars.

— Bigre ! C’est la seule spécialité ?

Ginger se versa du café et parut ne pas avoir entendu. Il fut intrigué par ce silence, se demandant comment présenter sa question plus subtilement.

— Au fait accepte-t-on les Noirs ? Ma sœur est assez stricte là-dessus.

— Tu peux être tranquille. Il n’y a pas un seul Noir. Pas même une fille de salle ou un homme de peine.

— Bigre, les salaires des Blancs sont bien plus élevés pourtant.

— C’est une question de confiance.

Il prit un air surpris :

— Pourtant je connais d’autres établissements aussi sélects où il y a du personnel de couleur.

Elle chipotait le fond de sa tasse avec sa cuillère.

— C’est une question de confiance, répéta-t-elle.

— Tiens ? pourquoi ?

— Je ne peux pas te le dire, fit-elle en le regardant en face. Oh ! ce n’est rien de répréhensible ou d’illégal mais lorsque nous sommes engagés nous prenons nos responsabilités. D’ailleurs nous sommes très bien payées et j’ai donné ma parole.

— Ah, fit-il en consultant ostensiblement sa montre.

Elle se rendit compte qu’il était fâché, craignit de ne plus jamais le revoir. Elle avait été fascinée par sa situation mais maintenant il lui aurait avoué être sans argent qu’elle s’en serait moqué. Elle le trouvait merveilleux et se sentait prête à l’aimer.

— Tu m’en veux ?

Il lui sourit gentiment comme si elle n’était qu’une enfant.

— Non. C’est très bien de tenir ses paroles. Le secret professionnel est quelque chose de sacré.

— Tu te moques de moi, fit-elle les larmes aux yeux.

— Pas du tout. Maintenant, ma chérie, il faut que je parte. J’ai un rendez-vous important dans une heure.

Rapidement il se leva, enfila son veston, vint l’embrasser sur le front.

— Mais quand se revoit-on ? fit-elle.

Elle paraissait éperdue. Il finit par avoir pitié d’elle, la prit dans ses bras. C’était le bon moment car d’un seul coup elle n’eut plus qu’un désir, lui dire ce qui se passait discrètement dans certaines chambres de la clinique de Santa Monica. Kovask l’écouta avec une indifférence feinte mais dans le fond de lui-même il était stupéfait et vaguement inquiet.

CHAPITRE XII

La Mamma gardait un vieux fond chrétien de morale stricte sur la famille, les relations entre époux et les perversions sexuelles, et si elle se montrait assez libérale avec les jeunes elle regrettait parfois le temps de ses vingt ans, la virginité des filles, la galanterie respectueuse des hommes et le sens de l’honneur. La contraception, la libéralisation des mœurs ne la choquaient pas vraiment mais elle restait souvent perplexe. Pour elle une famille c’était d’abord les enfants. Les problèmes du mari et de la femme venaient ensuite. Mais elle ne comprenait pas que des femmes mariées à des maris stériles aient recours à des donneurs anonymes pour procréer.

Kovask venait de lui raconter dans le détail ce qui se passait dans la luxueuse clinique de Santa Monica :

— Il y a une dizaine de donneurs. Tous beaux garçons, âgés de vingt-cinq à trente ans car on estime qu’ensuite, c’est trop vieux pour fournir un produit sans défaut.

La Mamma baissa pudiquement les yeux.

— Ces garçons sont tous blonds, bien bâtis, faisant au moins un mètre quatre-vingts, et ont subi des examens approfondis. D’ailleurs ils sont soumis chaque trimestre à un check-up complet. Au moindre signe suspect on les élimine. C’est d’ailleurs pourquoi aucun Noir ne travaille là-bas malgré les salaires ridicules qu’on leur donne. Pour inspirer la confiance aux femmes qui viennent se faire féconder. Certaines veulent voir la photographie du futur père. Elles payent alors un supplément car le directeur estime que le donneur peut être ennuyé par la suite. Les photographies sont intégrales afin que la cliente : se rende compte que l’individu est parfait.

— Vous pourriez dire l’étalon, fit la Mamma avec son franc-parler habituel. Notre conducteur de la Ford bleue serait l’un de ces donneurs ?

— Il se nomme Stewe Score. J’ai également son adresse à Jefferson City, une banlieue populeuse de Los Angeles. Ce garçon est très sérieux. Il est marié, père de deux enfants.

— Mais comment peut-il ?…

— Il a perdu sa situation il y a cinq ans. Il était représentant en boutons et sa maison a dû restreindre le nombre de ses employés. Il a trouvé ce job et vit très bien.

— Drôle de façon de travailler.

— Deux fois par semaine et une matinée chaque fois. En comptant le trajet bien sûr, fit Kovask goguenard.

— Et sa femme est au courant ?

Le Commander redevint plus sérieux :

— Non. Et c’est ce qui devient intéressant. Stewe Score aime sa femme et ses enfants au point que contrairement aux autres donneurs il… Comment dirais-je ?… Il n’a pas besoin d’une intervention étrangère pour donner satisfaction.

Le visage de la femme exprima une indignation très forte :

— Parce que, par dessus le marché, les autres ont besoin de quelqu’un pour cela ?

— Une hôtesse ou une infirmière pas trop bégueule. Pourquoi pas après tout ?

— C’est de la prostitution.

— Mais non. Pour en revenir à Stewe il est catégorique. Et c’est ce qui me fait penser que Petrus le fait chanter en le menaçant de tout révéler à sa femme.

— Un racket ?

— Pourquoi pas ? Avez-vous vu s’il donnait de l’argent à Petrus ?

— Placée comme je l’étais je n’ai pas pu m’en rendre compte. Mais c’est possible.

Kovask alluma une cigarette, l’air préoccupé. Ils étaient auprès de la piscine du motel. Quelques filles splendides plongeaient, nageaient ou se faisaient bronzer. Deux d’entre elles ne portaient pas de soutien-gorge et avaient des seins splendides. La Mamma leur jetait parfois un regard songeur, comme si elle se demandait ce qu’elle aurait fait en supposant qu’elle ait eu entre vingt et trente ans en 1974.