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— Si c’est un banal racket, Stewe Score ne nous intéresse pas. Petrus vit de ce genre d’expédient. Nous savions qu’il était un peu maquereau, joueur, maintenant il est maître chanteur. Après tout ça ne nous regarde pas et Stewe n’a qu’à s’adresser à la police. Ce qu’il fait à la clinique n’est pas illégal.

— Il a peur que le scandale ne finisse par rejaillir. Petrus, même arrêté, pourrait se venger. Faire envoyer des lettres anonymes ou quelque chose comme ça.

— Ce qu’il faudrait savoir c’est s’il connaît Diana Jellis. Il faut que je m’occupe de ça.

— Et Billie Ganaway ?

Kovask tira doucement sur sa cigarette. L’une des filles qui ne portait qu’un slip de bain s’approchait du petit plongeoir, roulant un peu des hanches. Elle était splendide. Brune avec de longs cheveux, des seins opulents mais fermes, un ventre à peine arrondi par une fine musculature.

— Vous avez entendu ma question ? demanda la Mamma avec indulgence. Ginger Machin ne vous suffit pas ?

— Ginger Manheim. Une brave fille. Vous irez chez Billie Ganaway.

— Elle travaille dans une boîte. Il faut que j’y aille le matin où attendre son jour de congé.

— Allez quand même faire un tour chez elle.

— J’ai l’impression que Petrus Lindson se doute de quelque chose. Hier il est sorti le premier du parking de la clinique. Or je me souviens que les fois précédentes la Ford bleue de Score démarrait la première. Il faut se méfier de ce type-là.

— Vous avez toujours votre arsenal ? demanda le Commander en désignant le grand sac de cuir qui ne quittait jamais la Mamma.

L’espèce de cabas contenait beaucoup d’objets insolites et inattendus. Une bombe à gaz lacrymogène, ce qui était assez normal pour une vieille femme seule pouvant devenir la victime de voleurs, mais il y avait aussi un vaporisateur plein de vitriol, un fume-cigarette pouvant projeter du poivre fin, très fin, puis dans le double fond un petit pistolet extraplat. Mais elle emportait aussi quelques lames de rasoir à tout hasard, un somnifère si puissant que quelques gouttes dans un liquide pouvaient assommer en quelques secondes un homme pour des heures.

— N’empêche que ce Petrus ne me plaît pas, dit-elle. Bon, je vais aller faire un tour chez cette fille, on ne sait jamais. Elle a une voisine bavarde qui me dira quand je peux la trouver.

— Pour ma part, dit Kovask, je vais essayer de rencontrer Stewe Score.

* * *

Stewe Score regardait ses enfants barboter dans la piscine sans les voir. A côté, Nelly, en maillot deux pièces, faisait griller des saucisses sur un barbecue. De temps en temps elle jetait un regard appuyé à son mari. Depuis son retour il ne paraissait pas dans son assiette. Elle l’avait interrogé en vain et maintenant elle respectait son mutisme. Elle réfléchissait que la morosité de Stewe remontait à deux mois environ. Parfois son naturel gai reprenait le dessus mais elle remarquait que c’était lorsqu’il se rendait à Los Angeles, une fois sur deux qu’il en revenait l’air contrarié. Peut-être qu’il avait de mauvais résultats aux courses ou au jeu.

— Tu veux une saucisse avec du ketchup ?

— Non, je n’ai pas faim. Redonne-moi un verre.

Il buvait beaucoup ces jours-là mais comme il se montrait sobre en général elle n’était pas inquiète. Elle lui prépara un Americano 505, ajouta une rondelle d’orange, de citron et même un peu de Bitter car il l’aimait plus corsé. Il but presque d’un trait, se leva soudain.

— Je vais faire un tour chez Joe.

C’était une cafétéria, avec des serveuses en mini. On y jouait aux boules car beaucoup d’Italiens s’y rencontraient pour disputer des parties à longueur de journée.

Il passa devant les pavillons identiques au sien, les mêmes pelouses. Mais lui avait planté quelques arbres fruitiers et tenait son jardin propre. Les voisins transformaient leur coin en véritable dépotoir, les gosses y construisaient des cabanes ou y creusaient des tranchées et ce spectacle le déprimait encore plus. Il avait l’impression d’habiter dans la zone. Vivement qu’ils puissent déménager pour le ranchito.

Lorsqu’il arriva chez Joe une voiture s’immobilisa derrière lui et un homme entra en même temps dans le bar. Il n’y prêta aucune attention, commanda une bière, la paya et passa dans la cour pour suivre les parties de boules. Il n’y comprenait pas grand-chose mais en général les attitudes et les disputes des joueurs l’amusaient. Un grand type blond tenant un verre de bière à la main vint se placer à côté de lui. Score lui jeta un regard indifférent. Il ne le connaissait pas et n’avait pas envie de lier connaissance.

Un joueur lança une boule qui vint prendre la place d’une autre près du but, projetant la précédente à quelques mètres. Il y eut des acclamations, des applaudissements et l’auteur d’un tel exploit, un gros Italien en bras de chemise, se pavana un peu.

— Intéressant, non, fit l’inconnu aux cheveux si blonds qu’ils en étaient blancs. Le regard lui-même était très décoloré.

— Oui, pas mal, dit sèchement Score.

— Je ne vous ai pas rencontré un jour ? continua Kovask d’un ton tranquille. Il me semble vous reconnaître.

— Possible, dit Score en faisant quelques pas pour s’éloigner mais l’autre se cramponnait.

— J’y suis, à Santa Monica… La clinique…

En même temps il avait fait claquer ses doigts. Score tourna vivement la tête vers lui et l’examina. Un « donneur » lui aussi ? Ou un infirmier.

— Il m’arrive d’aller dans les cliniques en effet.

— Pour votre métier ?

— Pour mon métier, dit Score pour en finir.

— Monsieur Score, dit doucement Kovask, je voudrais avoir une petite conversation avec vous. C’est pourquoi j’ai été heureux que vous quittiez votre domicile. Nous n’aurions pas pu discuter ainsi devant votre femme, n’est-ce pas ?

Stewe le regarda avec une telle expression qu’il crut à l’imminence d’une bagarre.

— Du calme, mon vieux. Je ne vous veux aucun mal. Juste discuter un peu et nous nous séparerons.

— Foutez-moi la paix ! Vous voulez me faire chanter ? Vous tombez mal. Je suis prêt à courir le risque que ma femme apprenne tout. J’en ai ras le bol.

— C’est ce que vous avez dit à Petrus Lindson ce matin ?

Stewe en resta la bouche ouverte, le regard flou. Comme s’il venait de recevoir un coup.

— Venez, dit Kovask. On sera plus tranquille là-bas.

Il y avait une table avec des chaises. Score se laissa entraîner par le bras.

— Je veux que vous soyez certain d’une chose, monsieur Score. Je fais une enquête officieuse sur Petrus Lindson. Je cherche à savoir quel genre d’individu il est.

Ils s’assirent, posèrent leur chope sur la table. Stewe était encore sous le choc. L’inconnu savait beaucoup de choses sur lui. Le Noir lui avait aussi parlé d’une vieille femme ressemblant à une Métisse ? Combien étaient-ils en train de fouiner dans la vie de Petrus Lindson et dans la sienne ?

— Petrus a mauvaise réputation, continua Kovask. Lors des événements de Watts en 65 il poussait les autres à la révolte, les dirigeait vers les boutiques à piller. Il raflait l’argent puis faisait mettre le feu.

— Ils n’avaient pas besoin de meneur, répondit Score. Vous croyez que c’est une vie pour eux ?

— Non, vous avez raison. La révolte était justifiée. Mais Petrus s’en moquait bien du sort de ses compatriotes. Maintenant il est tout à la fois maquereau et maître chanteur. Il vous fait chanter n’est-ce pas ?

Stewe regarda la mousse au fond de son verre. Il n’avait pas l’intention de répondre.