— Nous lui avons bandé les yeux, mis une cagoule et nous l’avons fait monter dans une camionnette tôlée. Lorsque nous sommes arrivés à destination nous l’avons placé dans une caisse. Dessus il y avait des inscriptions indiquant qu’il s’agissait d’un appareil médical émetteur de rayons X.
— Bien, dit Kovask. Un instant.
Il se tourna vers Billie :
— Voulez-vous aller me chercher du café au bar ? Ils vous donneront une thermos pour le transporter. Faites-le mettre sur ma note.
Elle comprit qu’il voulait rester seul en tête à tête avec Petrus. Ce dernier eut un regard angoissé pour la jeune femme qui se dirigeait vers la porte. Il craignait le pire.
— Maintenant continuez, dit Kovask. Cette histoire nous concerne seuls. Je vous écoute.
— Nous avons monté la caisse chez sa sœur. Ella Ganaway la gynécologue. Déguisés en chauffeurs et livreurs. Moi je suis reparti avec la camionnette. Mais je suis revenu un peu plus tard. C’était le matin. Nous avons attendu dans la cuisine.
— Elle a une aide médicale ?
— Ce jour-là elle lui avait dit qu’elle pouvait prendre son jour de congé ainsi qu’à la femme de ménage.
— Ensuite.
— Diana Jellis avait rendez-vous au début de l’après-midi. Un peu avant Simon Borney a forcé la jeune femme à…
Il déglutit avec difficulté.
— A prélever la semence de Score ? demanda Kovask sèchement.
— C’est ça, murmura Petrus les yeux baissés.
— Vous surveilliez l’opération ?
— Oui… C’était très difficile pour Score… Il était gêné, ne pouvait pas.
— Continuez.
— C’est Borney qui a surveillé la suite de l’opération.
— Jusqu’au bout ?
— Oui… Il était caché dans un placard de la salle d’auscultation et jusqu’au bout il a veillé à ce que Ella Ganaway exécute fidèlement ses instruction.
Kovask alluma une cigarette. Il était écœuré, alla chercher un gobelet d’eau qu’il avala d’un trait lui aussi. Mais il surveillait étroitement Petrus.
— Comment savez-vous si l’expérience a réussi ?
— L’époque était favorable. Ella Ganaway avait un dossier très complet sur Diana Jellis. Elle la traite depuis longtemps et la connaît très intimement.
Kovask hocha la tête, froissa le gobelet en carton et le jeta dans la corbeille à papier.
— C’est elle qui vous a dit que Diana Jellis était enceinte ?
Petrus secoua la tête :
— Non. Borney m’a téléphoné.
— Comment l’avait-il appris ? Par Ella Ganaway ?
— Je l’ignore.
On frappa à la porte. Il fut ennuyé que Billie soit déjà de retour. Mais c’était simplement la Mamma. Il sourit parce que la courroie de son sac s’étant rompue elle avait dû la nouer. Elle fusilla Petrus du regard.
— Vous n’avez pas été surpris par ce type ?
— Non, Billie a très bien joué. Sans me connaître mais parce qu’elle en avait assez de Petrus Lindson. Il avait trop tiré sur la ficelle, trop exigé d’elle. Elle a fini par se révolter.
— Il a parlé ?
— Oui et c’est pire que tout ce que nous envisagions. Ils ont trouvé le moyen de déconsidérer Diana Jellis de façon irréversible. Du moins si nous n’avions pas mis la main sur lui. Mais il va falloir lui annoncer la vérité et celle-ci est moche.
Elle le regardait sans demander de précisions.
— Tout le travail effectué aurait été réduit à néant. Aucun Noir n’aurait pu accorder la moindre confiance à Diana Jellis par la suite. Tout le monde aurait pensé qu’elle avait entrepris ces négociations en fonction de ses problèmes personnels.
— Je comprends, dit-elle. J’ai réfléchi depuis que vous m’avez parlé de Stewe Score et je sais à quoi il a été mêlé à son corps défendant si j’ose dire. C’est écœurant.
— Mais habile. Tuer Jellis c’était en faire une martyre. Ils ne le voulaient pas.
— Pour qui travaille Petrus ?
— Un certain Simon Borney qui utilise certainement un faux nom. Il ignore le but de cette opération, à qui elle profitait.
— A beaucoup de monde non ? Des extrémistes de tous bords que l’influence grandissante de Diana Jellis embarrassait.
Il se dirigea vers le téléphone après avoir donné son revolver à la Mamma. Il trouva aisément le numéro de Diana Jellis et l’appela de suite.
— Qui êtes-vous ? demanda une voix d’homme peu aimable.
— Un collaborateur du sénateur Holden. Vous pouvez vérifier ma qualité auprès de lui. Appelez ce numéro à Washington et ensuite vous déciderez de ce que vous ferez.
— Pourquoi le ferions-nous ?
— Parce que le travail accompli à ce jour entre lui et Diana Jellis est menacé. Terriblement menacé.
— Bien nous vérifions.
Entre temps Billie revint avec le café et Kovask en porta une tasse à Petrus.
— Vous allez me livrer à eux n’est-ce pas ? Malgré vos promesses ?
— Je n’ai rien promis. J’ai remis à plus tard le coup de fil c’est tout. Je vous connais assez pour répugner à l’idée de vous mettre en liberté. Trop de vies seraient menacées.
La même voix rappela une demi-heure plus tard.
— Bien, nous avons vérifié. Qu’avez-vous à nous dire ?
— Un certain Petrus Lindson vous le dira mieux que moi, répondit Kovask.
Il y eut un court silence à l’autre bout du fil.
— Vous le tenez ?
— Oui. Je suis prêt à vous le remettre à condition que sa vie soit épargnée.
— Nous pouvons accepter difficilement.
— A votre guise mais je ne tiens pas à ce que le sang soit versé inutilement. C’est à prendre ou à laisser mais je vous le répète l’enjeu est considérable et non seulement au point de vue politique. L’avenir même de Diana Jellis est menacé. Son avenir de leader, de femme et de mère.
Ce fut une voix de femme mélodieuse mais légèrement inquiète qui lui répondit.
— Que voulez-vous dire ? Comment savez-vous que Diana Jellis pourrait désirer devenir mère ?
— Bonjour, Diana Jellis, nous allons parler de tout cela si vous le voulez bien. Venez prendre livraison de Petrus Lindson. Vous le trouverez au Hoom Motel, pavillon 17. Faites-le dans des conditions les plus discrètes possibles. Vous ne trouverez ici qu’une vieille dame charmante mais énergique. Où puis-je vous rejoindre dans une heure environ, une heure et demie ?
— Pourquoi ne pas venir avec nous ? demanda Diana Jellis.
— J’ai une vérification à faire.
— Très bien. Venez à mon adresse. Vous pourrez traverser le quartier de Watts sans crainte. Toutes les mesures seront prises pour que vous n’ayez pas d’ennuis.
Il raccrocha, se tourna vers Petrus. Ce dernier était effondré.
— J’ai obtenu la vie sauve pour vous. J’espère que vous saurez tirer un meilleur parti de ce sursis. Venez, Billie, je vous raccompagne chez vous. Vous avez besoin de vous reposer.
CHAPITRE XVI
A 5 heures, il se présenta devant l’immeuble de Diana Jellis, une vieille maison en briques sans beauté, noircie par les suies d’une usine : voisine. Deux types fumaient dans le hall du rez-de-chaussée mais ne parurent pas faire attention à lui. Il monta à l’étage et la porte fut ouverte par un Noir de grande taille.
— Mon nom est Mel Santos. Entrez.
C’était l’ami de Diana Jellis, l’homme avec lequel elle vivait depuis des années. La jeune femme arriva peu après. Elle portait un pantalon soyeux qui moulait ses longues jambes et une tunique brodée mais très simple. Elle était si belle, si attirante que le Commander éprouva une émotion fugace. De plus on devinait en elle une force et une volonté qui accroissaient encore son charme.