Avec un sourire espiègle elle glissa sa main sous les draps, rencontra les jambes de son mari et nicha ses doigts entre elles. Elle y trouva ce qu’elle cherchait, dressé comme chaque matin par le repos nocturne. Doucement elle commença d’animer ses doigts d’une caresse subtile.
Stewe soupira, ouvrit les yeux et sursauta en découvrant le visage de sa femme. Il s’assit brusquement, échappant à sa main tandis qu’elle poussait un petit cri de déception.
— Non, dit-il. Tu sais bien, jamais quand je dois aller travailler.
Depuis des années elle aurait dû le savoir.
— Cela m’empêche de me concentrer, donnait-il comme seule explication.
Au début elle avait eu des soupçons. Elle avait supposé que son mari était le gigolo d’une vieille femme à laquelle il réservait ses forces intactes. Puis à cause de la beauté de Stewe elle avait cru qu’il était homosexuel et qu’il rencontrait régulièrement un partenaire très riche pour lui monnayer ses faveurs. C’était cinq années plus tôt et au bout de quelques mois elle lui avait fait une scène terrible. Stewe en avait été le premier surpris et il lui avait juré sur ce qu’il avait de plus cher qu’il ne la trompait pas et qu’il ne la tromperait jamais.
— Je t’aime trop pour cela et je te jure que je n’ai jamais fait l’amour avec quelqu’un d’autre que toi. Ni avec une femme ni avec un homme.
Elle l’avait cru. Au début de leur mariage Stewe travaillait vraiment comme représentant en boutons mais avec la multiplication des fermetures automatiques sa productivité avait baissé dans des proportions inquiétantes. La fabrique qui l’employait s’était tournée vers les boutons de luxe et cette reconversion avait encore éliminé de ses tournées bon nombre de petits commerçants, couturières, tailleurs modestes, petits fabricants de prêt-à-porter. Il avait perdu sa place, s’était inscrit au chômage. Ils avaient connu des moments difficiles avec leurs trois enfants, le loyer du pavillon et tous les frais. Et puis un beau jour le miracle. Stewe était revenu avec quatre billets de cinq dollars. Les lui avait donnés avec émotion.
— Tu peux faire un bon repas. Après-demain j’en toucherai autant.
— Tu as retrouvé une situation ?
— Non, mais je me débrouille. Tout ce que je peux te dire c’est que mon travail est très honnête et que tu n’auras jamais à rougir de moi, pas plus que les enfants. Mais je te demande de me faire confiance, de ne pas me poser des questions et de ne jamais essayer de savoir.
D’abord elle avait cru qu’il était devenu un agent secret. Cela ne lui plaisait guère mais enfin… Peut-être correspondant local du F.B.I. ou quelque chose comme ça. Mais lorsqu’elle avait remarqué que les jours où il sortait il refusait de faire l’amour elle était devenueférocement jalouse avant d’accepter non sans peine cette étrange situation. Depuis elle avait retrouvé son équilibre ancien et ne manifestait plus de mauvaise humeur.
— Ton café va refroidir, dit-elle.
Elle plaça le plateau sur ses genoux, lui mit du sucre. Il but avec satisfaction.
— Que veux-tu manger ? J’ai des côtelettes de porc, ou bien le temps que tu te rases je peux faire des crêpes…
— Une côtelette ira très bien. Avec le reste de tarte aux pommes d’hier soir.
— Il fait très beau, dit-elle. Tu rentres à midi ? Nous pourrions aller nous baigner avant le retour des gosses.
— Si tu veux. J’espère que l’eau ne sera pas trop froide.
Sous la douche il sifflota joyeusement faisant sourire sa femme dans la cuisine. Les cloisons du pavillon était minces, mais ils avaient fait le projet d’acheter, dans un autre lotissement mais beaucoup plus luxueux, un de ces ranchitos merveilleux qu’on construisait là-bas. Sur un terrain quatre fois plus grand que celui du pavillon. Il leur fallait donner quatre mille dollars au départ et ensuite ils paieraient sur vingt ans deux cents dollars par mois. Le lotissement comportait plusieurs piscines d’hiver et d’été, un club hippique, des cafétérias et même une rivière à truites artificielle.
— Ça fait du bien, dit Stewe en pénétrant dans la cuisine en robe de chambre pour s’installer devant la table où l’attendait son repas.
Il dévorait toujours avec appétit et ne grossissait pas. Il faisait beaucoup de gymnastique et même de la bicyclette sur une machine française importée. Il l’encourageait pour qu’elle en achète une et le suive mais elle était d’un naturel plus paresseux et préférait se dorer au soleil dans le jardin.
— Tu vas rentrer à midi ?
— Certainement avant. Tout dépend des embouteillages.
Sa femme alla chercher la brochure glacée et illustrée du ranchito.
— Tu sais, je crois que nous devrions vraiment songer au modèle Acapulco. Il y a une pièce de plus que nous pourrions transformer en bureau et le patio est beaucoup plus abrité.
— Oui, mais il faut compter mille dollars de plus au départ, plus des mensualités plus élevées.
— L’emplacement est meilleur et nous avons droit à un pin parasol dans le patio. Ceux qui n’ont pas été arrachés par les bulldozers sont réservés à cette catégorie.
— C’est intéressant, fit-il sérieusement.
— Et puis ça sent si bon, le pin.
— On va essayer. Nous avons jusqu’à quand pour rendre notre réponse ?
— La fin de la semaine. Le vendeur m’a promis de me réserver un Acapulco jusque-là. Mais si jamais il avait un acheteur pressé il me téléphonerait. Que dois-je faire s’il le fait durant ton absence.
Stewe sourit :
— Tu es maligne, hein ? Bon, c’est d’accord.
— Oh ! tu es chou… Tu verras comme nous serons bien là-bas. Dans le fond pourquoi attendre ? Je peux téléphoner tout de suite ?
— D’accord mais pour les meubles que tu voulais acheter il faudra peut-être attendre un peu.
— Ça ne fait rien. La maison d’abord.
Il alla s’habiller, l’embrassa tendrement avant de monter dans sa Ford. Elle le suivit du regard tant qu’elle vit la tache bleue de la voiture puis rentra chez elle.
Trois quarts d’heure plus tard son mari immobilisait sa voiture dans le parc d’une somptueuse résidence de Santa Barbara transformée en clinique privée. Il passa par l’entrée principale, sourit à l’hôtesse de la réception, une jolie fille, rousse, très sexy, qui lui faisait les doux yeux et paraissait toujours lui reprocher sa réserve. Il prit la carte qu’elle lui tendait au bout de ses longs doigts fuselés. Parfois elle s’arrangeait pour toucher les siens et il avait l’impression de se brûler. Cet attouchement ne lui déplaisait pas d’ailleurs et l’aidait pour la suite de sa visite.
Il prit l’ascenseur jusqu’au second étage, pénétra dans le bureau de l’infirmière en chef.
— Bonjour monsieur Score. Vous allez bien ?
— Très bien.
Une jolie femme brune, la quarantaine bien sonnée mais encore très attirante. Il avait l’impression qu’elle était toujours nue sous sa blouse blanche. Jamais il n’avait aperçu la marque d’un soutien-gorge ou d’un slip. Etait-ce voulu justement pour créer un climat érotique subtil ? Il n’en savait rien.
— J’ai une photo pour vous, dit-elle.
— Oh ! parfait. Il y a longtemps que je n’en ai pas eu.
— Les clientes n’aiment pas en général. Mais celle-ci était trop inquiète au sujet du donneur. Il a fallu lui prouver que vous n’étiez ni un avorton ni un Noir ni un Indien. Elle avait vraiment très peur. Non seulement elle a voulu voir votre visage mais aussi votre corps.
Stewe rougit légèrement.
— Vraiment ?
— Oui. De plus les prix ont un peu augmenté et cette « photo » vous rapportera trois cents dollars.