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— C’est merveilleux, dit-il. Il en faudrait souvent comme cette dame. Je peux y aller ?

— Oui…

Elle prit la carte, lui tendit en échange un petit sachet de cellophane.

— Vous n’avez pas besoin de partenaire ?

— Non… Vous connaissez mes habitudes ?

A grand-peine elle retint un soupir. Elle regrettait qu’il soit aussi intransigeant. Elle aurait aimé accomplir elle-même ce qu’il désirait faire seul.

— Les revues ont été changées ?

— Oui. Nous avons tenu compte de vos observations, fit-elle avec un petit sourire complice.

Il lui sourit :

— Je connais le chemin. Je suis un vieil habitué.

Tout au fond du couloir il ouvrit une porte avec la clé que la jeune femme venait de lui remettre, entra dans la chambre. Une simple chambre de clinique avec une salle de bains attenante, un lit et des revues sur la table. Il referma soigneusement la porte, commença de se déshabiller.

Les persiennes étaient discrètement baissées et il alla jeter un coup d’œil au parc. Puis il prit les revues et s’allongea complètement nu sur le lit, se souvint qu’il avait oublié le sachet en cellophane. Il le disposa sur la table à côté de lui, ouvrit la première revue. Tout de suite il se trouva en excellente compagnie. Une jolie fille noire nue chevauchait un jeune garçon blanc en pleine pâmoison. Les détails de leur accouplement étaient particulièrement mis en valeur. Il tourna la page. La même fille gratifiait son compagnon de cette caresse délicieuse que les Américains appellent French Kiss. Cette fois Stewe avait trouvé son affaire. Il tendit la main pour prendre le sachet de cellophane, en sortit le préservatif spécial, aseptisé, en revêtit son membre tendu. Les yeux sur la revue il n’eut aucune difficulté à accomplir sa tâche. Tout de suite après il se leva, plaça le préservatif utilisé dans le petit coffret d’un réfrigérateur mural. Puis il alla prendre une douche, se rhabilla et alla rendre la clé à l’infirmière en chef. Celle-ci avait rempli sa fiche.

— Vous n’avez qu’à passer à la caisse, fit-elle le regard trouble.

En général les donneurs de cette banque du sperme ne refusaient pas l’aide d’une fille, trouvant honteux et désagréable de se masturber pour produire leur semence. Stewe avait souvent été tenté mais l’amour qu’il portait à Nelly avait toujours été le plus fort. Lorsqu’il avait décidé de gagner sa vie ainsi il avait pris toutes ses responsabilités. Il ne voulait pas transformer l’opération en une sorte de trahison dont il aurait beaucoup plus souffert que du fait de porter la main sur lui.

— A vendredi ? demanda l’infirmière en chef.

— Bien sûr.

— Il n’y aura certainement pas de « photo ».

— Tant pis.

Certaines clientes exigeaient les plus hautes garanties, désiraient avoir la certitude que l’enfant qu’elles allaient porter serait issu d’un homme beau et sain. D’où les photographies. On en avait pris plusieurs de Stewe, sous toutes les coutures même. En couleurs et en blanc et noir. Beaucoup de femmes redoutaient les tares physiques mais un certain nombre craignaient qu’on ne leur inocule de la semence de Noir ou d’Indien. Il fallait les rassurer à tout prix. D’autant plus que la plupart ne venaient dans la clinique qu’avec une extrême répugnance. Souvent conseillées par leur psychiatre qui leur promettait un meilleur équilibre dès qu’elles seraient enceintes. Mais il y avait bon nombre de célibataires qui répugnaient à tout contact sexuel mais n’en possédaient pas moins des instincts maternels inassouvis. Mais en général Stewe ne se posait jamais de questions sur la destination de cette partie de lui-même ainsi négociée. Jamais lorsqu’il voyait une femme enceinte ne lui venait la pensée qu’il s’agissait peut-être d’une de ses receveuses. Il était suffisamment équilibré pour supporter aisément la responsabilité de son intervention. Il gardait toute sa sérénité et, lorsqu’il faisait l’amour avec Nelly, ce n’était pas un handicap.

Dans la cour de la clinique il alluma une cigarette, tâta l’enveloppe qu’on venait de lui remettre à la caisse. Trois cents dollars. Une bonne affaire. A ce train-là l’achat du modèle « Acapulco », le ranch qui faisait rêver sa femme, ne serait pas une charge trop lourde.

— Pardon, monsieur.

Il se retourna. Un Noir élégant lui souriait. Il louchait mais avait une bonne tête sympathique.

— Pouvez-vous me ramener en ville ? J’ai loupé le car et je dois me trouver au centre rapidement.

— Bien sûr, montez.

Mais lorsqu’il fut dans le gros de la circulation il ne fut pas peu surpris que son passager l’interpelle par son nom :

— Monsieur Stewe Score, voulez-vous gagner mille dollars ?

Il sursauta :

— Vous me connaissez ?

— Oui, monsieur Score, mais c’est sans importance. Voulez-vous gagner cette somme ?

Stewe lui jeta un regard méfiant.

— Que dois-je faire pour cette somme, tuer quelqu’un ?

— Oh ! non monsieur. Je ne vous demanderai pas quelque chose de pareil.

Justement, Score pensa que le Noir était bien capable de payer quelqu’un pour un meurtre et même, au besoin, de se faire payer lui-même pour tuer.

— On ne vous demande qu’une chose. Faire ce que vous venez de faire dans cette clinique.

Pour la première fois un inconnu faisait allusion à sa façon de gagner sa vie. Il crut que tout s’écroulait, que Nelly apprendrait, que ses enfants seraient montrés du doigt et que désormais jamais il ne pourrait plus rencontrer quelqu’un sans le voir ricaner.

— Ne vous inquiétez pas, monsieur Score. Nous n’avons pas l’intention de trahir votre petit secret si vous acceptez de nous aider. Et de plus vous toucherez mille dollars.

Sortant un portefeuille en croco de sa veste il l’ouvrit, y prit deux billets de cent dollars qu’il déposa sur les genoux de Stewe Score.

— Voici une avance.

— Je n’ai pas dit que j’acceptais. D’ailleurs je n’ai pas l’intention de le faire.

— Si, vous accepterez, dit le Noir en riant silencieusement. Sinon votre famille, vos voisins seront avertis de la façon dont vous gagnez votre argent.

— Et alors ? C’est tout à fait légal.

— Oui, comme le métier de bourreau. Vous êtes-vous demandé un jour dans quelle estime on pouvait tenir la famille du bourreau officiel ?

Stewe ne répondit pas. Ce diable d’homme avait parfaitement raison. Mais il était révolté par toute forme de chantage et le lui dit :

— Je vais vous débarquer au premier feu rouge et vous ferez ce que vous voudrez. Je ne marche pas.

— Très bien, mon vieux. Mais vous avez tort. A votre place je marcherais. Vous n’entendrez plus jamais parler de nous ensuite. Et vous aurez mille dollars de plus.

Stewe s’arrêta à un feu rouge. Le Noir ne bougea pas de son siège et il ne fit rien pour l’en chasser.

CHAPITRE V

Le loueur de bateaux lui avait conseillé un Ponant de fabrication française, lui désignant le dériveur couleur rouge qui attendait sur le sable de la plage.

— Vous verrez que vous en serez très satisfait. Le vent est juste ce qu’il faut pour que vous le manœuvriez seul. La météo est bonne. Vous pouvez en profiter largement.

Kovask loua le voilier pour la demi-journée, alla se changer dans l’une des cabines mises à la disposition des clients par le loueur de bateaux. Il ne garda qu’un slip de bains, un polo en cas de rafraîchissement soudain et retourna vers son bateau que l’on venait de pousser dans l’eau. Le préposé avait hissé la grand-voile et le foc en choquant les écoutes. Le tout battait joyeusement par vent de côté. Un peu goguenard le jeune garçon voulut assister au départ du client mais comprit tout de suite qu’il avait à faire à un barreur expérimenté. Rapidement le Ponant fila vent de côté, dérive basse. Le Commander régla ses écoutes avec soin et le bateau léger et rapide prit rapidement de la vitesse droit au large du golfe du Mexique.