La paye des ouvriers c’est faite tous les dimanches en présence des architectes et inspecteurs, par leurs Sous-chefs quand il n’y avoit pas de retard à éprouver. Il est arrivé plusieurs fois que dans des momens detroubles que la Révolution suscitoit il y avoit un retard dans les payemens faute de ne pouvoir obtenir les ordonnances ainsi que les signatures ou par des contestations qui s’élevoient qu’il faloit débatre et mettoient ces opérations nécessiteuses en instance ce qui m’a plus d’une fois forcé défaire les avances de mes propres fonds plustôt que de faire languir les ouvriers après leurs dus.
Messieurs Devilleneuve trésorier de la ville, Trudon administrateur et Hunoult brave et riche citoyen de cette capitale m’ont plusieurs fois avancé des payes entières dans des momens de crises causées par des ouvriers étrangers pour commettre une insurrection. Personne n’a été plus que moy exposé dans ces momens de troubles, et sans des hommes de confiance j’aurai perdu la vie menacée de toutes parts. Je puis attester que beaucoup de scélérats se sont introduits dans les ateliers sous le titre d’ouvriers, que des particuliers connus qui n’avoient point besoin y sont venus travailler.
Je n’ai été remboursé qu’au bout de six mois des avances et payes que j’avois fait aux ouvriers pour la première quinzaine qui a suivie la prise. Pour l’intelligence de mon compte et pour que la nation entière n’ignore pas quelle a été mon opération je l’ai fait imprimer afin que tous citoyens qui composent cet empire qui ont des droits de savoir et de s’instruire— [4] comment on a administré l’argent qu’ils ont donné juge les comptables sur leurs administrations.
Vous trouverez dans la masse de ce mémoire les titres qui m’ont autorisé à placer, les ouvriers en les envoyant dans différens atelliers pour cet objet, j’ay par un tableau classé les résultats de toutes les opérations dont j’ai été chargé dans le cours de deux années entières, vous trouverez aussi les autres nottes de dépenses qui ne sont pas de mon ressort, au du moins ce qui no m’a pas été confie j’en ai pris un état le plus exact, je desire que les entrepréneurs soient qui sincères que moy, si fai suivi leurs travaux, pris connoissance de leurs acquisitions c’étoit pour donner une idée des dépenses immenses, que necessitoient les circonstances et pour faire savoir au juste ce qu’a pu coûter l’attaque de la Bastille, prise démolition, gratifications, recompenses et autres objets analogues à la defuncte Bastille. J’y ai aussi joint toute la correspondance que ces travaux m’ont fait avoir avec la Municipalité, les entraves que j’ay essuyé, les epoques nécessaires à la Révolution, le tout par ordre de datte, les demandes, les sollicitations, les interruptions, les pièges, qui m’ont été tendus enfin tout se qui est venu jusqu’a moy, et dont j’ai été témoin pendant le cours de cette démolition, en un mot j’ay pris avec le plus grand soin les nottes qui peuvent un jour être d’une grande utilité.
Je ne crois obligé de rendre un compte détaillé de toutes les opérations qui ont été faites pour la démolition de la Bastille. Je desire en mettant ma conduite à découvert satisfaire la juste curiosité de mes concitoyens qui verront ma franchise et les circonstances bien marquées qui leur étoient inconnues jusqu’alors.
Il est bon d’observer qu’après la prise de la Bastille, la démolition de cette forteresse fut ordonnée par le Peuple qui m’en confia l’exécution qui me fut confirmée par les électeurs.
Après la retraite de M-rs les Electeurs l’assemblée des représentans de la commune ordonna le vente des bois, fers, tuiles, ardoises et généralement tous les matériaux provenants de cette démolition. Il fut [no]mmé des commissaires qui procédèrent á cette vente.
Il fut proposé au mois de septembre de mettre cette démolition par entreprise. En conséquence il fut pris l’arêté ci-apres.
1. Que la démolition et les entrisages de la Bastille se feroient dorénavant par entreprise conformément aux devis dressés par les architectes chargés de cette démolition et conformément, aux clauses et conditions portés par les cahiers des charges.
2. Que l’adjudication de cette entreprise sera fait au rabais.
3. Qu’il sera nommé des commissaires pris dans l’assemblée qui seront chargés de faire procéder à cette adjudication et en outre de traites tant avec les Dames S-te Marie qu’avec le locataire occupant la maison qui appartient à la Ville pour l’ouverture des passages nécessaires à l’exploitation de manière qu’en s’occupant de l’intérêt public — ceux particuliers ne fussent point lézés. Cette arrêté rendu avec sagesse, dicté par l’esprit d’économie occasionna un mécontentement général qui se manifesta dans l’atelier. Ce fut avec beaucoup de peines que je parvins à rappeler les ouvriers à l’ordre.
Peu de tems après l’on fit des efforts pour essayer de mettre l’economie à la place du gaspillage qui faisoit des progrès rapides malgré toute la surveillance possible, cependant je réussis à ramener le calme qui ne fut pas long.
Le prix des journées de trente six sous fut réduit à trente sous a cause des jours courts. Cette diminution fut cause d’un trouble qui dura quelques jours. Mais comme les ouvriers de Bâtiments y sont accoutumés annuellement ils engagèrent les autres à la paix et travaillèrent.
L’arrêté pris par l’assemblée des représentants de la commune tendante à mettre la démolition par entreprise occasionna une rumeur si violente que des lettres anonimes furent adressées de toutes les ateliers contre les administrateurs qui leur firent prendre le parti d’accepter la soumission que je leur avoit, présenté. Me connaissant aimé d’une grande partie de mes ouvriers sachant, que cette soumission étoit pour les intérêts de la municipalité je leur en fit part en leur démontrant que les bons sujets ne pouvoient que gagner à cette honnête proposition. Mais comme je l’ai dis cy-dessus, des hommes payés par le parti contraire que j’ai connu trop tard detournoient ces braves gens de la proposition que je leur faisois. Je ne pus rien obtenir.
Il fut proposé d’hâter en ma faveur celte soumission; mais l’adjudication publique parut à la municipalité des moyens propres à garantir l’administration des soupçons qu’elle presumoit pouvoir s’éléver contre elle et cette décision fut adoptée, ce qui occasionna parmi les ouvriers un soulèvement qui se propagea avec une telle violence que le district de Saint-Louis-la-Culture fut obligé d’être intermédiateur. Plusieurs membres se présentèrent aux mutins et eurent toutes les peines imaginables à les appaiser. La garde fut quadruplée. Je fis de mon côté tous mes efforts et a force d’arguments de pacification, le calme succédât à l’orage. Tous ces débats oiseux firent ralentir l’ouvrage, et mettoient ces travaux dans l’inactivité pendant un long tems.
Le département des travaux publics rendit une ordonnance pour arrêter les soulèvement si multipliés dont plusieurs chefs ont manqué d’être les victimes. Elle a produit quoiqu’effet.
Le dix-sept décembre adjudication de la démolition de la Bastille fut affichée et colle définitive fut fixée au 22 dudit c’est-à-dire un mois après, ma soumission.
La première enchère fut portée à 30 000 1., elle tomba de 50 1. à 50 1. jusqu’a 28. 600 environ, mais sur une proposition dés députés des ouvriers de la Bastille qui se présentèrent comme représentant leurs camarades se rendirent adjudicataires pour 28. 600 environ; les autres enchérisseurs se retirèrent et le tribunal municipal adjugeât à ces ouvriers sous le nom de Rogier la démolition de la Bastille.