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Une morale à deux vitesses ? En Amérique, où tout est plus grand, plus extrême, plus hypocrite, j’ai découvert une morale à dix vitesses. Je vivais à Boston au moment des premières révélations de l’immense scandale de pédophilie Spotlight et j’ai été sidéré, comme tout le monde, par ce qui s’est passé. L’enquête du Boston Globe a libéré la parole dans l’ensemble du pays, faisant apparaître au grand jour un véritable système en matière d’abus sexuels : 8 948 prêtres ont été accusés et plus de 15 000 victimes recensées (à 85 % des garçons de onze à dix-sept ans). L’archevêque de Boston, le cardinal Bernard Francis Law, est devenu le symbole du scandale : sa campagne de « cover-up » et sa protection de multiples prêtres pédophiles l’ont finalement contraint à la démission (avant une exfiltration réussie à Rome, opportunément diligentée par le cardinal secrétaire d’État Angelo Sodano, pour lui permettre de bénéficier de l’immunité diplomatique et, ainsi, d’échapper à la justice américaine). [https://www.bookys-gratuit.org/]

Fin connaisseur de l’épiscopat américain, Burke ne peut ignorer que la hiérarchie catholique de son pays, les cardinaux, les évêques, sont majoritairement homosexuels : le célèbre et puissant cardinal et archevêque de New York, Francis Spellman, était un « homosexuel sexuellement vorace », si l’on en croit ses biographes, le témoignage de l’écrivain Gore Vidal ainsi que des confidences de l’ancien patron du FBI, Edgar Hoover. De même, le cardinal Wakefield Baum de Washington, récemment décédé, vivait depuis de nombreuses années avec son assistant particulier◦– un classique du genre.

Le cardinal Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington, est lui aussi un homosexuel très pratiquant : il est connu pour ses « sleeping arrangements » avec des séminaristes et de jeunes prêtres qu’il appelait ses « neveux » (finalement accusé d’abus sexuels, il a été interdit de tout ministère public par le pape en 2018). L’archevêque Rembert Weakland a été « outé » par un ancien boyfriend (il a décrit depuis dans ses mémoires son parcours homophile). Un autre cardinal américain a, quant à lui, été limogé du Vatican et renvoyé aux États-Unis pour sa conduite inappropriée avec un garde suisse.

Un cardinal américain encore, évêque d’une grande ville des États-Unis, « vit depuis des années avec son boyfriend, un ancien prêtre », alors qu’un archevêque d’une autre ville, partisan du rite ancien et dragueur endurci, « vit entouré d’une nuée de jeunes séminaristes », comme me le confirme Robert Carl Mickens, un vaticaniste américain familier de la vie gay de la haute hiérarchie catholique aux États-Unis. L’archevêque de Saint Paul et Minneapolis, John Clayton Nienstedt, serait lui aussi homosexuel : il a fait l’objet d’une enquête pour « sexual misconduct with men » (il a nié les faits), avant de devoir se retirer pour avoir couvert des abus sexuels◦– une démission acceptée, elle aussi, par le pape François.

La vie privée des cardinaux américains, dans un pays où le catholicisme est minoritaire et a depuis longtemps mauvaise presse, fait souvent l’objet d’enquêtes approfondies dans les médias, qui ont moins de scrupules qu’en Italie, en Espagne ou en France, à révéler la double vie des prélats. Parfois, comme à Baltimore, c’est l’entourage du cardinal qui a été pointé du doigt pour ses mauvaises habitudes et ses comportements agités. Le cardinal en question, Edwin Frederick O’Brien, l’ancien archevêque, n’a pas souhaité répondre à mes questions sur les amitiés particulières de son diocèse. Il vit désormais à Rome où il porte le titre et les attributs de grand maître de l’ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem◦– cela ne s’invente pas. Il m’a fait recevoir par son adjoint, Agostino Borromeo, puis par son porte-parole, François Vayne, un Français sympathique, qui a pris soin, durant nos trois rendez-vous, de démentir toutes les rumeurs.

Selon mes informations toutefois, recoupées par mes researchers dans une dizaine de pays, un nombre significatif de lieutenants, de grands prieurs, de grands officiers et de chanceliers de l’ordre équestre, dans les pays où ils sont représentés, seraient « closeted » et « pratiquants ». Au point où certains s’amusent de cet ordre équestre dont la hiérarchie serait une « armée de folles à cheval ».

— La présence de nombreux homosexuels pratiquants dans les structures hiérarchiques de l’ordre équestre n’est un secret pour personne, m’assure un grand officier de l’ordre, lui-même ouvertement gay.

Le cardinal américain James M. Harvey, devenu préfet de la Maison pontificale au Vatican, poste sensible, a fait l’objet d’une procédure d’éloignement accélérée, « promoveatur ut amoveatur », par Benoît XVI. On lui aurait reproché d’avoir recruté Paolo Gabriele, le majordome du pape, à l’origine des fuites de Vatileaks. Harvey aurait-il joué un rôle dans ce scandale, dont on a dit qu’il était également lié à un « lobby gay » ?

Plus anecdotique : le célèbre cardinal Levada, préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi sous le pape Benoît XVI, un Américain lui aussi, fut arrêté en état d’ivresse un soir de 2015, vers minuit, par la police d’Hawaï. La presse à scandale fit alors remarquer que l’endroit de cette arrestation spectaculaire, Hina Lani Street, se trouve à proximité du quartier gay de Big Island (le cardinal Levada a reconnu les faits et a affirmé, dans un communiqué officiel, y avoir été en vacances avec des « amis prêtres »).

Que pense le cardinal Burke de ces scandales à répétition, de ces étranges coïncidences et de ces cardinaux si nombreux à faire partie « de la paroisse » ? Comment peut-il s’ériger en défenseur de la morale quand l’épiscopat américain est à ce point discrédité ?

Rappelons aussi, bien que ce soit un autre sujet, qu’une dizaine de cardinaux américains ont été impliqués dans des affaires d’abus sexuels, soit qu’ils en aient été les auteurs (comme Theodore McCarrick, démissionné), soit qu’ils aient protégé des prêtres prédateurs en les mutant de paroisse en paroisse (Bernard Law et Donald Wuerl, démissionnés), soit encore qu’ils aient été insensibles au sort des victimes, en minorant leurs souffrances pour protéger l’institution (les cardinaux Roger Mahony de Los Angeles, Timothy Dolan de New York, William Levada de San Francisco, Justin Rigali de Philadelphie, Edwin Frederick O’Brien de Baltimore ou Kevin Farrell de Dallas). Tous ont été critiqués par la presse, soupçonnés par des associations de victimes ou « outés » par Mgr Viganò dans sa « Testimonianza ». Le cardinal Burke a lui-même été cité par l’association américaine de référence Bishop Accountability, pour avoir eu tendance à minimiser les faits et s’être montré peu sensible au sort des plaignants dans le cadre d’affaires dans les diocèses du Wisconsin et du Missouri, où il a été évêque puis archevêque. (Burke a nié toute erreur.)

Le pape François, visant explicitement les cardinaux américains, a eu des mots sévères dans l’avion de retour de son voyage aux États-Unis en septembre 2015 : « Ceux qui ont couvert ces choses [les abus sexuels] sont aussi coupables, y compris certains évêques. »

François, exaspéré par la situation américaine, a d’ailleurs nommé en 2016 trois cardinaux de rupture : Blase Cupich à Chicago, Joseph Tobin à Newark et Kevin Farrell, appelé à Rome comme préfet pour s’occuper du ministère en charge des laïques et de la famille. Aux antipodes du profil réactionnaire et homophobe de Burke, ces nouveaux cardinaux sont des pasteurs plutôt sensibles à la cause des migrants ou des personnes LGBT, et des partisans d’une tolérance zéro sur la question des abus sexuels. Si l’un d’entre eux pourrait être homosexuel (Mgr Viganò les accuse tous les trois de défendre une « idéologie pro-gay »), il semble que ce ne soit pas le cas des deux autres◦– ce qui tendrait à confirmer la quatrième règle de Sodoma : Plus un prélat est pro-gay, moins il est susceptible d’être gay ; plus un prélat est homophobe, plus il y a de probabilité qu’il soit homosexuel.