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— Il est mort assez seul, abandonné de presque tous, dans de grandes souffrances. Il ne voulait pas mourir. Il s’est révolté contre la mort, témoigne l’une des femmes qui l’a accompagné à la fin de sa vie.

Aujourd’hui, je pense à la souffrance de cet homme seul, rejeté par l’Église◦– sa seule famille –, nié par son diocèse et tenu à l’écart par son évêque. Tout cela se passait sous le pontificat de Jean-Paul II.

Le sida ? Un prêtre atteint du sida ? « J’ai dû simplement froncer les sourcils comme à l’énoncé d’un problème difficile. Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que j’allais mourir d’un mal qu’on ne rencontre que rarement chez les personnes de mon âge. » On se souvient de la réaction du jeune curé de campagne, apprenant qu’il est atteint d’un cancer à l’estomac, dans le beau roman de Georges Bernanos et dans le film, plus magnifique encore, de Robert Bresson. Le jeune homme dit aussi : « J’avais beau me répéter qu’il n’y [avait] rien de changé en moi [mais] la pensée de rentrer chez moi avec cette chose me faisait honte. » Je ne sais pas si Louis a pensé la même chose au cours de son propre calvaire. Je ne sais pas si, dans sa fragilité et sa détresse, il a cru et pensé, comme le prêtre de Bernanos : « Dieu s’est retiré de moi. »

Au vrai, Louis n’a jamais été un « curé de campagne », comme l’indique par facilité le sous-titre du recueil de ses homélies. La comparaison avec le curé de Bernanos, qui cherche le secours de la grâce, est donc un peu trompeuse. Louis n’a pas eu une vie banale, modeste. Il fut un prêtre aristocrate qui, chemin inverse de celui emprunté par tant de prélats officiels qui sont nés pauvres et finissent dans le luxe et la luxure vaticane, débuta sa vie dans l’aristocratie et la finit au contact des gens simples. Et je sais que, dans ce retournement, chez celui-ci, comme chez ceux-là, l’homosexualité a eu sa part.

Que l’Église soit resté insensible à son chemin de croix demeure pour moi incompréhensible. Que sa souffrance christique, sang mauvais, souillures, évanouissements, n’ait trouvé aucun écho au diocèse sera pour longtemps, à mes yeux, un scandale, un mystère. Je ne l’imagine qu’en tremblant.

Seules les sœurs de la chapelle Saint-Thomas, magnifiquement dévouées, l’ont entouré de leur affection anonyme jusqu’à sa mort au début de l’été 1994. Un évêque a finalement accepté de présider la célébration. Louis a ensuite été incinéré à Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence (les soins funéraires étaient alors interdits aux malades du sida et l’incinération privilégiée).

Quelques jours plus tard, comme il l’a souhaité, ses cendres ont été dispersées en mer, en toute discrétion, par quatre femmes, dont deux m’ont raconté la scène, depuis un petit bateau qu’il avait acheté à la fin de sa vie, à quelques kilomètres de Marseille, au large des Calanques, où nous étions allés ensemble quelquefois. Et dans cette région, ce « pays » magnifique, le sud de la France◦– qu’on appelle chez nous le Midi –, on dit que les seuls événements ce sont : les orages.

Sources

SODOMA EST UNE ENQUÊTE D’INVESTIGATION qui a été menée sur le terrain pendant quatre années, en Italie et dans plus de trente pays. Au total, 1 500 entretiens ont été réalisés pour cet ouvrage : parmi lesquels 41 cardinaux, 52 évêques et monsignori, 45 nonces apostoliques, secrétaires de nonciatures ou ambassadeurs étrangers, 11 gardes suisses, et plus de 200 prêtres catholiques et séminaristes. La plupart des informations de ce livre sont donc de première main, recueillies par l’auteur sur le terrain en personne (aucune interview n’a été réalisée par téléphone ni par e-mail).

Les 41 cardinaux que j’ai rencontrés, au cours d’un total de plus de 130 entretiens cardinalices, sont majoritairement des membres de la curie romaine. En voici la liste : Angelo Bagnasco, Lorenzo Baldisseri, Giuseppe Betori, Dario Castrillón Hoyos †, Francesco Coccopalmerio, Stanisław Dziwisz, Roger Etchegaray, Raffaele Farina, Fernando Filoni, Julián Herranz, Juan Sandoval Íñiguez, Walter Kasper, Dominique Mamberti, Renato Raffaele Martino, Laurent Monsengwo, Gerhard Ludwig Müller, Juan José Omella y Omella, Jaime Ortega, Carlos Osoro, Marc Ouellet, George Pell, Paul Poupard, Giovanni Battista Re, Jean-Pierre Ricard, Franc Rodé, Camillo Ruini, Louis Raphaël Sako, Leonardo Sandri, Odilo Scherer, Achille Silvestrini, James Francis Stafford, Daniel Sturla, Jean-Louis Tauran †, Jozef Tomko (sept autres cardinaux interviewés ne figurent pas ici et restent anonymes parce qu’ils m’ont explicitement réclamé de s’exprimer « off the record » ou en « deep background », selon les formules consacrées).

Pour réaliser cette enquête, j’ai vécu à Rome régulièrement, en moyenne une semaine chaque mois, entre 2015 et 2018. J’ai également pu séjourner à plusieurs reprises à l’intérieur du Vatican et loger dans deux autres résidences extraterritoriales du saint-siège, dont longuement à la Domus Internationalis Paulus VI (ou Casa del Clero) et à la Domus Romana Sacerdotalis. J’ai aussi enquêté dans une quinzaine de villes italiennes dont, à plusieurs reprises, à Milan, Florence, Bologne, Naples et Venise, ainsi qu’à Castel Gandolfo, Cortona, Gênes, Ostie, Palerme, Pérouse, Pise, Pordenone, Spoleto, Tivoli, Trente, Trieste et Turin.

Au-delà de l’État du Vatican et de l’Italie, j’ai mené mon enquête sur le terrain dans une trentaine de pays où je me suis rendu, souvent plusieurs fois : Allemagne (plusieurs séjours à Berlin, Francfort, Munich et Ratisbonne ; 2015-2018) ; Arabie saoudite (Riyad ; 2018) ; Argentine (Buenos Aires, San Miguel ; 2014, 2017) ; Belgique (Bruxelles, Mons ; plusieurs séjours en 2015-2018) ; Bolivie (La Paz ; 2015) ; Brésil (Belém, Brasilia, Porto Alegre, Recife, Rio de Janeiro, São Paulo ; 2014, 2015, 2016, 2018) ; Chili (Santiago du Chili ; 2014, 2017) ; Colombie (Bogotá, Carthagène, Medellín ; 2014, 2015, 2017) ; Cuba (La Havane ; 2014, 2015, 2016) ; Égypte (Alexandrie, Le Caire ; 2014, 2015) ; Émirats arabes unis (Dubaï ; 2016) ; Équateur (Quito ; 2015) ; Espagne (Barcelone, Madrid ; nombreux séjours en 2015-2018) ; États-Unis (Boston, Chicago, New York, Philadelphie, San Francisco, Washington ; 2015, 2016, 2017, 2018) ; Hong Kong (2014, 2015) ; Inde (New Delhi ; 2015) ; Israël (Tel-Aviv, Jérusalem, mer Morte ; 2015, 2016) ; Japon (Tokyo ; 2016) ; Jordanie (Amman ; 2016) ; Liban (Beyrouth, Bkerké ; 2015, 2017) ; Mexique (Guadalajara, Mexico, Monterrey, Puebla, Veracruz, Xalapa ; 2014, 2016, 2018) ; Palestine (Gaza, Ramallah ; 2015, 2016) ; Pays-Bas (Amsterdam, La Haye, Rotterdam ; plusieurs séjours en 2015-2018) ; Pérou (Arequipa, Lima ; 2014, 2015) ; Pologne (Cracovie, Varsovie ; 2013, 2018) ; Portugal (Lisbonne, Porto ; 2016, 2017) ; Royaume-Uni (Londres, Oxford ; nombreux séjours en 2015-2018) ; Suisse (Bâle, Coire, Genève, Illnau-Effretikon, Lausanne, Lucerne, Saint-Gall et Zurich ; nombreux séjours en 2015-2018) ; Tunisie (Tunis ; 2018) ; Uruguay (Montevideo ; 2017). (J’ai voyagé dans une vingtaine d’autres pays, notamment l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Canada, le Cameroun, la Chine, la Corée du Sud, le Danemark, l’Équateur, l’Indonésie, l’Iran, le Kenya, la Russie, Taïwan, la Thaïlande, le Venezuela, le Viêtnam, etc., avant le début de cette enquête, lesquels peuvent également la nourrir ponctuellement.)