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Et l’archevêque de curie de conclure :

— Viganò ne s’intéresse guère à la question des abus sexuels, et son mémo est très peu utile sur ce premier point. En revanche, ce qu’il a voulu faire, c’est lister les homosexuels du Vatican ; c’est dénoncer l’infiltration des gays au saint-siège. C’est son objectif. Et s’il se cache aujourd’hui dans un lieu secret ce n’est pas pour avoir dénoncé un système d’abus sexuels, ce qui serait tout à son honneur ; mais bien parce qu’il a « outé » tout le monde ! Disons alors que sur ce second point, sa lettre est sans doute plus proche de la vérité que sur le premier. (Dans ce livre, j’utiliserai la « Testimonianza » de Viganò avec prudence, car elle mêle des faits avérés ou probables, avec de pures calomnies. Et même si ce document a été jugé crédible par des dizaines de cardinaux et d’évêques ultraconservateurs, il ne faut ni le prendre au pied de la lettre ni le sous-estimer.)

Nous voici donc à Sodoma. Cette fois, le témoin, quels que soient ses excès, est irréfutable : un éminent nonce et archevêque émérite vient de révéler sans ambages la prégnance massive des homosexuels au Vatican. Il vient de nous livrer un secret bien gardé. Il vient d’ouvrir la boîte de Pandore. François est bien parmi les Folles !

3.

Qui suis-je pour juger ?

« CHI SONO IO PER GIUDICARE ? » Giovanni Maria Vian répète cette formule dont il semble encore chercher le sens profond. « Qui suis-je pour juger ? » : est-ce une nouvelle doctrine ? Une phrase improvisée un peu par hasard ? Vian ne sait pas trop quoi penser. Qui est-il pour juger ?

La formule, en forme interrogative, a été prononcée par le pape François, dans la nuit du 28 juillet 2013, dans l’avion qui le ramenait du Brésil. Elle est devenue, aussitôt médiatisée dans le monde entier, la phrase la plus célèbre du pontificat. Par son empathie, elle ressemble à François, le pape gay-friendly qui veut rompre avec le langage « homophobe » de ses prédécesseurs.

Giovanni Maria Vian, dont le métier ne consiste pas tant à commenter la parole du pape qu’à la relayer, reste prudent. Il me donne la transcription officielle de la conférence improvisée au cours de laquelle François a lâché son bon mot. Si l’on s’attache au contexte, à l’ensemble de la réponse de François, il n’est pas certain, me dit-il, qu’on puisse en faire une lecture gay-friendly.

Un laïc, Vian, et un universitaire : il se fait appeler « professeur » et il est le directeur de l’Osservatore Romano, le journal du saint-siège. Ce quotidien officiel est édité en huit langues et son siège est situé au sein même du Vatican.

— Le pape a beaucoup parlé ce matin, m’explique Vian lorsque j’arrive.

Son journal publie toutes les interventions du saint-père, ses messages, ses textes. C’est la Pravda du Vatican.

— On est un journal officiel, c’est évident, mais on a aussi une partie plus libre, avec des tribunes, des articles sur la culture, des textes plus autonomes, ajoute Vian, qui sait que sa marge de manœuvre reste étroite.

Pour se libérer peut-être des contraintes du Vatican, et montrer un esprit espiègle, il s’est entouré de figurines de Tintin. Son bureau est envahi par les bandes dessinées de L’Île noire, Le Sceptre d’Ottokar, les miniatures de Tintin, Milou et du capitaine Haddock. Étrange invasion d’objets païens au cœur du saint-siège ! Et dire qu’Hergé n’a pas eu l’idée de faire un Tintin au Vatican !

J’ai parlé trop vite. Vian me reprend en me signalant un long article de l’Osservatore Romano sur Tintin qui attesterait, en dépit de ses personnages mécréants et de ses mémorables jurons, que le jeune reporter belge serait un « héros catholique » animé d’un « humanisme chrétien ».

— L’Osservatore Romano est aussi bergoglien sous François qu’il était ratzinguérien sous Benoît XVI, relativise un diplomate en poste auprès du saint-siège.

Un autre collaborateur de l’Osservatore Romano confirme que le journal est là pour « déminer tous les scandales et recaser les placardisés du Vatican ».

— Les silences de l’Osservatore Romano parlent aussi, relativise Vian, non sans humour.

Je visiterai souvent, au cours de mon enquête, les locaux du journal. Le docteur Vian acceptera d’être interviewé « on the record » à cinq reprises, et « off the record » plus souvent encore, comme six autres de ses collaborateurs en charge des éditions en espagnol, anglais ou français.

C’EST UNE JOURNALISTE BRÉSILIENNE, Ilze Scamparini, correspondante au Vatican pour la chaîne TV Globo, qui a osé poser frontalement au pape la question sur le « lobby gay ». La scène se passe dans l’avion de retour, reliant Rio à Rome. On est à la fin de la conférence de presse improvisée et le pape est fatigué, toujours flanqué de Federico Lombardi, son porte-parole. « Une dernière question ? » lance Lombardi, pressé de conclure. C’est alors qu’Ilze Scamparini lève la main. Je cite, ici longuement, ce dialogue à partir de la transcription originale que me donne Giovanni Maria Vian :

— Je voudrais demander la permission de poser une question un peu délicate. Une autre image aussi a fait le tour du monde : celle de Mgr Ricca, ainsi que des informations sur sa vie privée. Je voudrais savoir, Saint-Père, ce que vous comptez faire à ce sujet. Comment Votre Sainteté compte-t-Elle aborder ce problème et comment entend-Elle affronter la question du lobby gay ?

— En ce qui concerne Mgr Ricca, répond le pape, j’ai fait ce que le droit canonique recommande de faire : une investigatio prævia [enquête préliminaire]. De cette investigation, il ne ressort rien de ce dont on l’accuse. Nous n’avons rien trouvé. Voilà ma réponse. Mais je voudrais ajouter autre chose là-dessus : je vois que souvent dans l’Église, au-delà de ce cas mais dans ce cas aussi, on va chercher par exemple les « péchés de jeunesse » et on les publie. Pas les délits, hein ? Les délits, c’est autre chose, l’abus sur les mineurs est un délit. Non, les péchés. Mais si une personne laïque, ou un prêtre, ou une sœur, a commis un péché et s’est ensuite converti, le Seigneur pardonne… Mais revenons à votre question plus concrète : vous parlez du lobby gay. Eh bien ! On écrit beaucoup sur le lobby gay. Je n’ai encore trouvé personne au Vatican qui me donne sa carte d’identité avec écrit dessus « gay ». On dit qu’il y en a. Je crois que lorsqu’on se trouve avec une telle personne on doit distinguer le fait d’être « gay » de celui de constituer un lobby. Parce que, les lobbies, ils ne sont pas tous bons. Celui-ci est mauvais. Si une personne est gay et cherche le Seigneur, si elle fait preuve de bonne volonté, qui suis-je pour la juger ?… Le problème n’est pas d’avoir cette tendance [mais] de faire de cette tendance un lobby. Voilà le problème le plus grave pour moi. Je vous remercie beaucoup d’avoir posé cette question. Merci beaucoup !

TOUT DE NOIR VÊTU, UN PEU ENRHUMÉ, le jour où je le rencontre pour la première fois, le père Federico Lombardi se souvient très bien de cette conférence de presse. En bon jésuite, il a su admirer l’art de la formule du nouveau pape. Qui suis-je pour juger ? Jamais peut-être une phrase de François n’a été un si parfait chef-d’œuvre de dialectique jésuite. Le pape répond à une question… par une question !