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Beaucoup m’ont également dit avoir retrouvé dans l’Église « comme une seconde mère » : et l’on sait combien le culte, toujours irrationnel et auto-électif, de la sainte vierge est un grand classique pour cette confrérie. Maman ! Nombre d’écrivains homosexuels, de Marcel Proust à Pasolini, en passant par Julien Green ou Roland Barthes, et même Jacques Maritain, ont chanté l’amour passion de leur mère, effusion de cœur qui fut non seulement essentielle mais constitue souvent l’une des clés de leur autocensure (ils furent nombreux, parmi les écrivains et les prêtres, à n’avoir accepté leur homosexualité qu’après la mort de leur mère). Maman, qui est toujours restée fidèle à son petit garçon, lui rendant cet amour, et veillant sur son vieux fils comme si c’était sa propre chair, a souvent tout compris.

Francesco Lepore, lui, veut suivre la voie de son papa :

— Mon père était professeur de latin et j’ai voulu apprendre cette langue pour m’approcher de ce monde, poursuit Lepore. Savoir le latin à la perfection. Et, dès l’âge de dix ou onze ans, j’ai voulu entrer au séminaire.

Ce qu’il fait contre l’avis de ses parents : à quinze ans, il est déjà désireux d’« embrasser », comme on dit, la carrière ecclésiastique.

Chemin classique des jeunes prêtres en général : le séminaire dans un lycée catholique puis cinq années d’études supérieures en philosophie et en théologie, suivies par les « ministères », encore appelés en Italie « ordres mineurs » avec leurs lecteurs et acolytes, avant le diaconat et l’ordination.

— Je suis devenu prêtre à vingt-quatre ans, le 13 mai 2000, au moment du Jubilee et de la World Gay Pride, résume Francesco Lepore en un raccourci saisissant.

Le jeune homme a compris très vite que le lien entre sacerdoce et homosexualité n’était pas contradictoire, ni même contingent, comme il l’avait initialement pensé.

— J’ai toujours su que j’étais homosexuel. En même temps, j’avais une sorte d’attraction-répulsion pour ce type de désirs. J’évoluais dans un milieu qui considérait l’homosexualité comme intrinsèquement mauvaise ; je lisais des livres de théologie qui la définissaient comme un péché. Je l’ai longtemps vécue comme une culpabilité. La voie que j’ai choisie pour m’en sortir a été de nier cette attirance sexuelle en la reportant sur l’attirance religieuse : j’ai fait le choix de la chasteté et du séminaire. Devenir prêtre, c’était pour moi une sorte de solution pour expier une faute que je n’avais pas commise. Pendant ces années de formation à l’université de l’Opus dei à Rome, je me suis consacré très intensément à la prière, j’étais dans l’ascèse, en allant jusqu’à des punitions corporelles, en essayant même de devenir franciscain pour vivre ma religion plus intensément encore, et en réussissant à rester chaste pendant cinq ans, sans même me masturber.

Le parcours de Francesco Lepore, entre péché et mortification, avec ce besoin lancinant d’échapper aux désirs au prix des contraintes les plus éprouvantes, est presque ordinaire dans l’Italie du XXe siècle. La carrière ecclésiastique fut la solution idéale pour beaucoup de ceux qui n’assumaient pas leur orientation intime. Des dizaines de milliers de prêtres italiens ont cru sincèrement que la vocation religieuse était « la » solution à leur « problème ». Telle est la première règle de Sodoma : Le sacerdoce a longtemps été l’échappatoire idéale pour les jeunes homosexuels. L’homosexualité est l’une des clés de leur vocation. [https://www.bookys-gratuit.org/]

ARRÊTONS-NOUS UN INSTANT SUR CETTE MATRICE. Pour comprendre le parcours de la plupart des cardinaux et d’innombrables prêtres que nous allons croiser dans ce livre, il faut partir de ce processus de sélection presque darwinien qui a une explication sociologique. En Italie, ce fut même longtemps une règle. Ces jeunes hommes efféminés qui s’inquiétaient de leurs désirs, ces garçons qui éprouvaient de l’inclination pour leur meilleur copain et que l’on raillait pour l’affectation de leur élocution, ces homosexuels qui se cherchaient sans vouloir se déclarer, ces séminaristes qui n’étaient pas dans la bonne ornière, n’avaient pas beaucoup d’options dans l’Italie des années 1930, 1940 ou 1950. Certains ont compris précocement, presque par atavisme, comment faire de l’homosexualité subie une force, d’une faiblesse un atout : devenir prêtre. Ce qui leur permettait de reprendre le pouvoir sur leur propre vie en croyant répondre au double appel du Christ et de leurs désirs.

Avaient-ils d’autres options ? Dans une petite ville italienne de Lombardie, ou un village du Piémont, dont beaucoup de cardinaux sont issus, l’homosexualité est encore considérée à cette époque comme le Mal absolu. On comprend à peine cette « obscure infortune » ; on craint cette « promesse d’un amour multiple et complexe » ; on redoute ce « bonheur indicible, insupportable même », pour reprendre les mots du Poète. S’y adonner, même en restant discret, serait faire le choix d’une vie de mensonge ou de proscrit ; devenir prêtre, en revanche, apparaît comme une forme d’échappatoire. En rejoignant le clergé, tout devient plus simple pour l’homosexuel qui n’assume pas : il se met à vivre entre garçons et à porter des robes ; il cesse d’être interrogé sur ses petites amies ; ses copains d’école, qui déjà faisaient de mauvaises blagues, sont impressionnés ; il accède aux honneurs, lui qui était raillé ; il rejoint une race élue, lui qui appartenait à une race maudite ; et Maman, je le répète, qui a tout compris sans le dire, encourage cette vocation miraculeuse. Et surtout ceci : la chasteté avec les femmes et les promesses de célibat ne font pas peur au futur prêtre, bien au contraire ; il embrasse cette contrainte dans la joie ! Dans l’Italie des années 1930 à 1960, le fait qu’un jeune homosexuel choisisse l’ordination et cette sorte de « vœu de célibat entre hommes » était donc dans l’ordre, sinon dans la force des choses.

Un moine bénédictin italien, qui fut l’un des responsables de l’université Sant’Anselmo à Rome, m’explique la logique :

— Le choix du sacerdoce fut d’abord, pour moi, le résultat d’une foi profonde et vitale. Mais, rétrospectivement, je l’analyse aussi comme une manière de mettre sous contrôle ma sexualité. J’ai toujours su que j’étais gay, mais ce n’est que bien plus tard, passé quarante ans, que j’ai accepté cet aspect fondamental de mon identité.

Tous les parcours sont bien sûr singuliers. De nombreux prêtres italiens m’ont dit n’avoir découvert leur homosexualité qu’après leur ordination ou lorsqu’ils se sont mis à travailler au Vatican. Ils sont même nombreux à n’avoir franchi le pas que bien plus tard, au-delà de quarante ans, ou durant les années 1970.

À cette sélection sociologique des prêtres s’ajoute la sélection épiscopale, qui amplifie encore le phénomène. Les cardinaux homophiles privilégient les prélats qui ont des inclinations lesquels, à leur tour, choisissent des prêtres gays. Les nonces, ces ambassadeurs du pape chargés de la sélection des évêques, parmi lesquels le pourcentage d’homosexuels atteint des records, opèrent à leur tour une sélection « naturelle ». Selon tous les témoignages que j’ai recueillis, les prêtres partageant ces goûts seraient privilégiés, quand cette homophilie est perçue. Plus prosaïquement, il n’est pas rare qu’un nonce ou un évêque promeuve un prêtre qui fait partie de « la paroisse » parce qu’il en attend quelque faveur.

C’est la deuxième règle de Sodoma : L’homosexualité s’étend à mesure que l’on s’approche du saint des saints ; il y a de plus en plus d’homosexuels lorsqu’on monte dans la hiérarchie catholique. Dans le collège cardinalice et au Vatican, le processus préférentiel est abouti : l’homosexualité devient la règle, l’hétérosexualité l’exception.