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Prêtres et homosexuels : deux faces d’une même pièce ? Une autre figure du mouvement gay italien, Gianni Delle Foglie, fondateur de la première librairie spécialisée de Milan, qui s’intéressait aux écrivains catholiques homosexuels, a eu ce mot fameux : « Les gays ont été laissés presque seuls face au Vatican. Mais c’est peut-être bien ainsi : laissez-nous ensemble ! La bataille entre les gays et le Vatican est une guerre entre pédés [una guerra tra froci] ! »

C’EST À ROME que Francesco Lepore vit ses premières aventures sexuelles. Comme pour beaucoup de prêtres italiens, la capitale, celle d’Hadrien et de Michel-Ange, a été le révélateur de ses attirances singulières. Il y découvre que le vœu de chasteté est peu respecté et que les homosexuels sont majoritaires parmi les prêtres.

— Je me suis retrouvé seul à Rome et c’est là que j’ai découvert le secret : les prêtres menaient fréquemment des vies polissonnes. C’était un monde totalement nouveau pour moi. J’ai commencé une relation avec un prêtre qui a duré cinq mois. Lorsque nous nous sommes séparés, j’ai traversé une crise profonde. Ma première crise spirituelle. Comment pouvais-je être prêtre et, en même temps, vivre mon homosexualité ?

Lepore évoque le sujet avec ses confesseurs ainsi qu’avec un prêtre jésuite (à qui il raconte tous les détails) puis avec un évêque (à qui il les épargne). Tous l’encouragent à persévérer dans le sacerdoce, à ne plus parler d’homosexualité et à ne pas se sentir coupable. On lui fait comprendre, sans détour, qu’il peut très bien vivre sa sexualité, à condition de rester discret et de ne pas en faire une identité militante.

C’est à ce moment-là que son nom est proposé pour un poste à la prestigieuse secrétairerie d’État au palais apostolique du Vatican, un équivalent des services du Premier ministre du pape.

— Ils étaient à la recherche d’un prêtre parlant parfaitement le latin et comme la rumeur avait circulé que j’étais en crise, quelqu’un a proposé mon nom. Mgr Leonardo Sandri, devenu depuis cardinal, a contacté mon évêque et il m’a invité à rencontrer les gens de la section latine. Ils m’ont fait passer un test de latin et j’ai été admis. Je me souviens qu’ils m’ont quand même mis en garde, ce qui prouve qu’ils savaient que j’étais gay : d’une formule pleine de sous-entendus, ils m’ont dit que « si j’avais le niveau pour être qualifié pour le poste », il fallait que je me mette « à dédier ma vie au pape et oublier tout le reste ».

Le 30 novembre 2003, le prêtre napolitain rejoint Domus Sanctæ Marthæ, la résidence des cardinaux au Vatican◦– et le domicile actuel du pape François.

ON NE VISITE DOMUS SANCTÆ MARTHÆ que sur autorisation spéciale et seulement les mercredi et jeudi matin, entre 10 heures et midi, lorsque le pape est à Saint-Pierre de Rome. Mgr Battista Ricca, le célèbre directeur de la résidence, qui a un bureau sur place, me fournit l’indispensable permis. Il m’indique minutieusement comment franchir le contrôle des gendarmes puis celui des gardes suisses. Je croiserai souvent ce prélat aux yeux liquides, un franc-tireur proche de François qui a connu la gloire et la chute. C’est à lui que je devrai, comme on le verra, de pouvoir loger dans l’une des résidences du Vatican.

Avec ses cinq étages et ses cent vingt chambres, Domus Sanctæ Marthæ pourrait être un motel quelconque des suburbs d’Atlanta ou de Houston si le pape n’y résidait pas. Moderne, impersonnelle et terne, cette résidence tranche par rapport à la beauté du palais apostolique.

Lorsque je visiterai, avec le diplomate Fabrice Rivet, la fameuse IIIe Loggia de l’imposant palais, je serai émerveillé par les mappemondes peintes sur les murs, les bêtes sauvages raphaéliques et les plafonds d’art miroités dans les costumes des gardes suisses. Rien de tel à Sainte-Marthe.

— C’est un peu froid, c’est vrai, reconnaît Harmony, une jeune femme d’origine sicilienne qui a été missionnée pour me faire découvrir les lieux.

Sur un panneau à l’entrée, je lis : « Tenue correcte exigée. » Et un peu plus loin : « Pas de short ni de jupe. » J’aperçois aussi plusieurs sacs Gammarelli, la marque de luxe des vêtements pontificaux, qui attendent à la réception de Sainte-Marthe. La salle des audiences et la salle de presse en enfilade sont assez ternes elles aussi, et tout est à l’avenant : le triomphe du mauvais goût.

Dans la salle de réunion du pape, je tombe sur une immense œuvre représentant la vierge de Guadalupe qui symbolise toute la religiosité d’Amérique latine : un cadeau offert au pape par le cardinal et archevêque de Mexico, Norberto Rivera Carrera, qui tentait peut-être ainsi de se faire pardonner ses fréquentations. (Le cardinal a été critiqué pour ne pas avoir dénoncé le célèbre prêtre pédophile Marcial Maciel, et il a finalement été mis à la retraite par François.)

À quelques mètres, une chapelle est réservée au pape : il y célèbre la messe en petit comité, tous les matins, à 7 heures. Elle est vilaine, comme la salle à manger, bien plus vaste, mais qui ressemble à un restaurant d’entreprise Sodexo. Harmony me montre la table, située un peu à l’écart, où François prend ses repas, avec six personnes au maximum.

Au deuxième étage se trouve l’appartement privé du saint-père, qui ne se visite pas ; on m’en montre une réplique exacte, dans l’aile opposée : c’est une suite modeste qui comprend un petit séjour et une chambre avec un lit à une place. Un des gardes suisses qui protègent le pape et passent fréquemment la nuit devant la porte de sa chambre me confirmera ces informations. Je le reverrai souvent à Rome et nous aurons même nos habitudes au café Makasar, dans le Borgo, un bar à vin à l’écart du Vatican, où je rencontrerai tous ceux qui préféreront que nos entretiens restent discrets. Le jeune homme deviendra au fil des mois, comme nous le verrons, l’un de mes informateurs sur la vie gay du Vatican.

Nous voici maintenant dans la lingerie. Anna est une petite femme douce, serviable, et Harmony me la présente comme « la blanchisseuse du pape ». Dans deux pièces situées à gauche de la chapelle papale, cette religieuse s’occupe, avec une dévotion impeccable, des tenues de François. Elle déplie minutieusement, comme s’il s’agissait du saint suaire, chasubles et aubes pour me les montrer (François refuse de porter, contrairement à ses prédécesseurs, le rochet et la mosette rouge).

— Vous voyez là les différents habits de sa sainteté. Blanc en général ; vert pour une messe ordinaire ; rouge et violet pour des occasions particulières ; argent enfin, mais cette couleur, le saint-père ne l’utilise pas, me dit Anna.

Alors que je m’apprête à quitter Domus Sanctæ Marthæ, je croise Gilberto Bianchi, le jardinier du pape, un Italien jovial, serviteur dévoué du santo padre, et visiblement soucieux pour les agrumes de sa sainteté qui ont été plantés à l’extérieur, juste devant la chapelle pontificale.

— À Rome, on n’est pas à Buenos Aires ! me dit, inquiet, Gilberto, avec un air entendu.

Tout en arrosant des orchidées, le jardinier ajoute :

— Il a fait trop froid cette nuit pour les orangers, les citronniers, les mandariniers, je ne sais pas s’ils vont tenir le coup.

J’observe, inquiet à mon tour, les arbres adossés à un mur, espérant qu’ils réussissent à passer l’hiver. Eh oui, on n’est pas à Buenos Aires !

— Ce mur que vous voyez, à côté de la chapelle, là où sont les orangers, marque la frontière, me dit soudain Harmony.