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diminuendo. Mme de Cambremer me dit, dans cette première lettre, qu'elle avait vu Saint-Loup et avait encore plus apprécié que jamais ses qualités «uniques-rares-réelles», et qu'il devait revenir avec un de ses amis (précisément celui qui aimait la belle-fille), et que, si je voulais venir, avec ou sans eux, dîner à Féterne, elle en serait «ravie-heureuse-contente». Peut-être était-ce parce que le désir d'amabilité n'était pas égalé chez elle par la fertilité de l'imagination et la richesse du vocabulaire que cette dame tenait à pousser trois exclamations, n'avait la force de donner dans la deuxième et la troisième qu'un écho affaibli de la première. Qu'il y eût eu seulement un quatrième adjectif, et de l'amabilité initiale il ne serait rien resté. Enfin, par une certaine simplicité raffinée qui n'avait pas dû être sans produire une impression considérable dans la famille et même le cercle des relations, Mme de Cambremer avait pris l'habitude de substituer au mot, qui pouvait finir par avoir l'air mensonger, de «sincère», celui de «vrai». Et pour bien montrer qu'il s'agissait en effet de quelque chose de sincère, elle rompait l'alliance conventionnelle qui eût mis «vrai» avant le substantif, et le plantait bravement après. Ses lettres finissaient par: «Croyez à mon amitié vraie.» «Croyez à ma sympathie vraie.» Malheureusement c'était tellement devenu une formule que cette affectation de franchise donnait plus l'impression de la politesse menteuse que les antiques formules au sens desquelles on ne songe plus. J'étais d'ailleurs gêné pour lire par le bruit confus des conversations que dominait la voix plus haute de M. de Charlus n'ayant pas lâché son sujet et disant à M. de Cambremer: «Vous me faisiez penser, en voulant que je prisse votre place, à un Monsieur qui m'a envoyé ce matin une lettre en mettant comme adresse: «A son Altesse, le Baron de Charlus», et qui la commençait par: «Monseigneur».-En effet, votre correspondant exagérait un peu», répondit M. de Cambremer en se livrant à une discrète hilarité. M. de Charlus l'avait provoquée; il ne la partagea pas. «Mais dans le fond, mon cher, dit-il, remarquez que, héraldiquement parlant, c'est lui qui est dans le vrai; je n'en fais pas une question de personne, vous pensez bien. J'en parle comme s'il s'agissait d'un autre. Mais que voulez-vous, l'histoire est l'histoire, nous n'y pouvons rien et il ne dépend pas de nous de la refaire. Je ne vous citerai pas l'empereur Guillaume qui, à Kiel, n'a jamais cessé de me donner du Monseigneur. J'ai ouï dire qu'il appelait ainsi tous les ducs français, ce qui est abusif, et ce qui est peut-être simplement une délicate attention qui, par-dessus notre tête, vise la France.-Délicate et plus ou moins sincère, dit M. de Cambremer. Ah! je ne suis pas de votre avis. Remarquez que, personnellement, un seigneur de dernier ordre comme ce Hohenzollern, de plus protestant, et qui a dépossédé mon cousin le roi de Hanovre, n'est pas pour me plaire, ajouta M. de Charlus, auquel le Hanovre semblait tenir plus à coeur que l'Alsace-Lorraine. Mais je crois le penchant qui porte l'Empereur vers nous profondément sincère. Les imbéciles vous diront que c'est un Empereur de théâtre. Il est au contraire merveilleusement intelligent, il ne s'y connaît pas en peinture, et il a forcé M. Tschudi de retirer les Elstir des musées nationaux. Mais Louis XIV n'aimait pas les maîtres hollandais, avait aussi le goût de l'apparat, et a été, somme toute, un grand souverain. Encore Guillaume Il a-t-il armé son pays, au point de vue militaire et naval, comme Louis XIV n'avait pas fait, et j'espère que son règne ne connaîtra jamais les revers qui ont assombri, sur la fin, le règne de celui qu'on appelle banalement le Roi Soleil. La République a commis une grande faute, à mon avis, en repoussant les amabilités du Hohenzollern ou en ne les lui rendant qu'au compte-gouttes. Il s'en rend lui-même très bien compte et dit, avec ce don d'expression qu'il a: «Ce que je veux, c'est une poignée de mains, ce n'est pas un coup de chapeau.» Comme homme, il est vil; il a abandonné, livré, renié ses meilleurs amis dans des circonstances où son silence a été aussi misérable que le leur a été grand, continua M. de Charlus qui, emporté toujours sur sa pente, glissait vers l'affaire Eulenbourg et se rappelait le mot que lui avait dit l'un des inculpés les plus haut placés: «Faut-il que l'Empereur ait confiance en notre délicatesse pour avoir osé permettre un pareil procès. Mais, d'ailleurs, il ne s'est pas trompé en ayant eu foi dans notre discrétion. Jusque sur l'échafaud nous aurions fermé la bouche.» Du reste, tout cela n'a rien à voir avec ce que je voulais dire, à savoir qu'en Allemagne, princes médiatisés, nous sommes Durchlaucht, et qu'en France notre rang d'Altesse était publiquement reconnu. Saint-Simon prétend que nous l'avions pris par abus, ce en quoi il se trompe parfaitement. La raison qu'il en donne, à savoir que Louis XIV nous fit faire défense de l'appeler le Roi très chrétien, et nous ordonna de l'appeler le Roi tout court, prouve simplement que nous relevions de lui et nullement que nous n'avions pas la qualité de prince. Sans quoi, il aurait fallu le dénier au duc de Lorraine et à combien d'autres. D'ailleurs, plusieurs de nos titres viennent de la Maison de Lorraine par Thérèse d'Espinoy, ma bisaïeule, qui était la fille du damoiseau de Commercy.» S'étant aperçu que Morel l'écoutait, M. de Charlus développa plus amplement les raisons de sa prétention. «J'ai fait observer à mon frère que ce n'est pas dans la troisième partie du Gotha, mais dans la deuxième, pour ne pas dire dans la première, que la notice sur notre famille devrait se trouver, dit-il sans se rendre compte que Morel ne savait pas ce qu'était le Gotha. Mais c'est lui que ça regarde, il est mon chef d'armes, et du moment qu'il le trouve bon ainsi et qu'il laisse passer la chose, je n'ai qu'à fermer les yeux.-M. Brichot m'a beaucoup intéressé, dis-je à Mme Verdurin qui venait à moi, et tout en mettant la lettre de Mme de Cambremer dans ma poche.-C'est un esprit cultivé et un brave homme, me répondit-elle froidement. Il manque évidemment d'originalité et de goût, il a une terrible mémoire. On disait des «aïeux» des gens que nous avons ce soir, les émigrés, qu'ils n'avaient rien oublié. Mais ils avaient du moins l'excuse, dit-elle en prenant à son compte un mot de Swann, qu'ils n'avaient rien appris. Tandis que Brichot sait tout, et nous jette à la tête, pendant le dîner, des piles de dictionnaires. Je crois que vous n'ignorez plus rien de ce que veut dire le nom de telle ville, de tel village.» Pendant que Mme Verdurin parlait, je pensais que je m'étais promis de lui demander quelque chose, mais je ne pouvais me rappeler ce que c'était. «Je suis sûr que vous parlez de Brichot. Hein, Chantepie, et Freycinet, il ne vous a fait grâce de rien. Je vous ai regardée, ma petite Patronne.-Je vous ai bien vu, j'ai failli éclater.» Je ne saurais dire aujourd'hui comment Mme Verdurin était habillée ce soir-là. Peut-être, au moment, ne le savais-je pas davantage, car je n'ai pas l'esprit d'observation. Mais, sentant que sa toilette n'était pas sans prétention, je lui dis quelque chose d'aimable et même d'admiratif. Elle était comme presque toutes les femmes, lesquelles s'imaginent qu'un compliment qu'on leur fait est la stricte expression de la vérité, et que c'est un jugement qu'on porte impartialement, irrésistiblement, comme s'il s'agissait d'un objet d'art ne se rattachant pas à une personne. Aussi fut-ce avec un sérieux qui me fit rougir de mon hypocrisie qu'elle me posa cette orgueilleuse et naïve question, habituelle en pareilles circonstances: «Cela vous plaît?-Vous parlez de Chantepie, je suis sûr», dit M. Verdurin s'approchant de nous. J'avais été seul, pensant à ma lustrine verte et à une odeur de bois, à ne pas remarquer qu'en énumérant ces étymologies, Brichot avait fait rire de lui. Et comme les impressions qui donnaient pour moi leur valeur aux choses étaient de celles que les autres personnes ou n'éprouvent pas, ou refoulent sans y penser, comme insignifiantes, et que, par conséquent, si j'avais pu les communiquer elles fussent restées incomprises ou auraient été dédaignées, elles étaient entièrement inutilisables pour moi et avaient de plus l'inconvénient de me faire passer pour stupide aux yeux de Mme Verdurin, qui voyait que j'avais «gobé» Brichot, comme je l'avais déjà paru à Mme de Guermantes parce que je me plaisais chez Mme d'Arpajon. Pour Brichot pourtant il y avait une autre raison. Je n'étais pas du petit clan. Et dans tout clan, qu'il soit mondain, politique, littéraire, on contracte une facilité perverse à découvrir dans une conversation, dans un discours officiel, dans une nouvelle, dans un sonnet, tout ce que l'honnête lecteur n'aurait jamais songé à y voir. Que de fois il m'est arrivé, lisant avec une certaine émotion un conte habilement filé par un académicien disert et un peu vieillot, d'être sur le point de dire à Bloch ou à Mme de Guermantes: «Comme c'est joli!» quand, avant que j'eusse ouvert la bouche, ils s'écriaient, chacun dans un langage différent: «Si vous voulez passer un bon moment, lisez un conte de un tel. La stupidité humaine n'a jamais été aussi loin.» Le mépris de Bloch provenait surtout de ce que certains effets de style, agréables du reste, étaient un peu fanés; celui de Mme de Guermantes de ce que le conte semblait prouver justement le contraire de ce que voulait dire l'auteur, pour des raisons de fait qu'elle avait l'ingéniosité de déduire mais auxquelles je n'eusse jamais pensé. Je fus aussi surpris