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Le trajet prit presque une heure et durant tout ce temps il ne pensa à rien. Il émergea sous l’étonnant ciel courbe de Gaïa et, debout sur son terrifiant sol incurvé oublia totalement d’être terrifié ou étonné. Il avait franchi les limites de l’étonnement. Au-dessus de lui passait une saucisse longue de 1000 mètres. Il la considéra d’un regard vide en songeant à des pigeons. Il attendait.

6. Village de toile

Nasu était d’une humeur épouvantable. Robin avait sur l’avant-bras deux marques toutes fraîches qui attestaient du caractère de son démon. Les anacondas n’appréciaient guère le lavage et les manipulations ; le serpent était terrifié, affolé par les événements de ces deux derniers jours et la seule façon pour lui de l’exprimer était de s’attaquer à la cible la plus proche, Robin en l’occurrence. Depuis le temps qu’elles étaient ensemble, Nasu n’avait mordu Robin que trois fois jusqu’à présent.

Robin ne se sentait guère plus à l’aise, elle non plus. La plupart des dangers contre lesquels on l’avait mise en garde s’étaient révélés chimériques. La chaleur en revanche était terrible.

La température atteignait trente-cinq degrés. Elle avait pu vérifier ce fait étonnant – annoncé par le guide qui avait accueilli son groupe à la surface – en découvrant un thermomètre qu’elle avait consulté avec incrédulité. Il était inconcevable de contrôler un environnement de cette façon, pourtant les gens se contentaient de hausser les épaules ; ils se plaignaient mais ne montraient aucune velléité de faire quelque chose.

Elle n’avait qu’un seul désir : arracher ses vêtements. Elle le combattit aussi longtemps qu’il lui fut possible mais sa mère s’était trompée sur tellement d’autres points qu’elle jugea sans danger de lui désobéir sur celui-ci. Un grand nombre de gens qui parcouraient les rues poussiéreuses de Titanville étaient nus. Pourquoi pas elle ? Elle opta pour un compromis, gardant les reins couverts – comme un signal avertissant qu’elle lutterait contre toute tentative de viol. Quoique désormais elle ne craignît pas vraiment cette éventualité.

Le premier pénis qu’elle avait eu l’occasion de voir – durant les douches collectives de la quarantaine – l’avait fait éclater de rire, ce qui lui valut les regards courroucés de son digne propriétaire. Le reste avait été tout aussi drôle. Elle était incapable d’imaginer que la chose puisse enfler suffisamment pour devenir dangereuse mais elle réservait son jugement en ce domaine en attendant le moment où elle aurait l’occasion d’observer un homme en train de violer une de ses semblables.

Mais il n’y eut pas de viol la première nuit bien qu’elle fût restée éveillée un bon moment pour repousser d’éventuels assaillants. La seconde nuit, deux hommes pratiquèrent un viol dans un coin du dortoir. Les couchettes autour des couples étant vides, Robin s’assit sur l’une d’elles afin d’observer plus à l’aise. Les machins rigolos et ballottants avaient certes gonflé plus qu’elle ne l’aurait cru mais quand même pas tant que ça. Les femmes n’avaient pas l’air de souffrir. Elles n’avaient pas non plus été assommées ni jetées face contre terre. L’une des deux était même sur le dessus.

Une de ces femmes dit à Robin de s’en aller mais cette dernière en savait assez : si quelqu’un parvenait à l’assommer, l’expérience serait certes dégoûtante mais guère douloureuse. Elle se dilatait elle-même bien plus que cela pour ses examens vaginaux.

Elle observa la femme à l’issue du viol, guettant d’éventuels signes de honte : il n’y en avait, semblait-il, aucun. Ainsi donc, cela au moins était vrai : les femmes sauteuses avaient appris à traiter ces épreuves dégradantes par-dessus la jambe. Elle se souvint que les esclaves faisaient de même – en apparence du moins. Et elle se demanda quelles rébellions couvaient en elles.

Aucune femme ne fit l’amour pendant toute la durée de ses observations. Robin supposa qu’elles devaient sans doute se cacher des hommes.

* * *

Titanville était née sous l’abri d’un arbre énorme mais avec la fin – depuis de nombreuses années – du conflit entre les Titans et les Anges, elle s’était étendue vers l’est. La plupart des Titanides vivaient encore sous l’arbre ou dans ses branches. Quelques-unes avaient emménagé sous des tentes de toile multicolore situées dans cette zone centrale qui, sur Gaïa, était ce qui pouvait s’approcher le plus d’un piège à touristes : un quartier surencombré de saloons et de salons, d’hippodromes et de manèges, de jeux, d’attractions et d’attrape-nigauds, de buvettes et de bordels, de cabarets et de casinos. Les pieds foulaient la sciure et le crottin de Titanide, et le nez respirait une poussière lourde imprégnée d’une odeur épaisse de barbe à papa, de parfum, de maquillage corporel, de marihuana et de sueur. Ce quartier avait été conçu avec l’habituel dédain des Titanides pour l’urbanisme et le cadastre : un casino faisait face à l’église baptiste primitive intergalactique, laquelle voisinait avec un bordel interespèces, ces trois structures aussi fragiles que des promesses : les douces voix d’une chorale de Titanides en répétition se mêlaient donc aux cliquetis de la roulette ou aux gémissements de passion qui traversaient les minces cloisons de toile.

Par grand vent, tout cet incroyable bric-à-brac pouvait être balayé en un instant avant de réapparaître quelques heures plus tard selon une nouvelle disposition.

L’ascenseur d’accès au moyeu fonctionnait une fois par hectorev – ce qui, avait-elle appris, correspondait à cinq jours du Covent ou encore à quatre journées et demie terrestres –, aussi Robin se retrouvait-elle avec trente-six heures à tuer. Titanville lui semblait un lieu éducatif, même si elle ne savait pas au juste en quoi. Les notions professées au Covent vis-à-vis des loisirs ne l’avaient guère préparée à considérer ce genre de carnaval comme un lieu de distraction. Chez les sorcières, passer un bon moment était plutôt synonyme de compétitions d’athlétisme, de fêtes et de festivals même si, par ailleurs, elles savaient apprécier les canulars et la galéjade.

Sa mère lui avait donné plusieurs centaines de marks-onu. Debout sur le balcon de bois de sa chambre d’hôtel arboricole, Robin embrassa du regard tout ce bruit, cette poussière, ces couleurs bariolées et sentit une exaltation croissante l’envahir. Si elle ne trouvait pas là-dessous l’occasion de faire la bringue, elle n’avait plus qu’à rendre son troisième Œil.

* * *

Le jeu fut un fiasco : elle gagna un peu, perdit un peu, perdit un peu plus sans pour autant se sentir concernée. L’argent était un jeu dingue de sauteurs qu’elle ne prétendait pas comprendre. Sa mère lui avait expliqué que c’était un moyen de compter les points dans le grand jeu du pouvoir propre à la culture phallique. Voilà tout ce que Robin avait besoin de savoir.

Elle décida de garder l’esprit ouvert même si bien des choses lui semblaient peu engageantes, question distraction. Au début, elle suivait les gens qui avaient l’air de s’amuser le plus et les imitait ensuite. Pour un demi-mark elle se paya ainsi le droit de lancer trois couteaux sur un homme qui paradait avec de grands gestes devant une cible en bois. Ce type était très bon : elle ne parvint pas à l’atteindre. D’ailleurs, personne n’y arriva non plus pendant tout le temps qu’elle regarda.

Elle suivit un couple d’ivrognes dans le Zoo-Merveilleux-du-Professeur-Potter ! où l’on exhibait dans des cages quelques bizarreries de la faune gaïenne. Robin trouva cela passionnant et s’étonna de voir le couple ressortir après un seul coup d’œil blasé, pour aller chercher ailleurs un peu d’« action » – c’étaient les termes mêmes de l’homme. Eh bien, dans ce cas, elle aussi se trouverait de l’action.