Выбрать главу

Dans une tente, elle put assister au spectacle d’un homme en train de violer une femme et trouva cela des plus ennuyeux. Elle l’avait déjà vu et ce n’étaient pas les contorsions qui pouvaient y ajouter le moindre intérêt. Puis deux Titanides vinrent répéter le même numéro et là, ça valait le coup d’œil même si c’était troublant du point de vue sémantique. Elle crut que l’une des Titanides violait l’autre mais ensuite le violeur se retira pour se faire pénétrer par la violée. Comment cela pouvait-il être possible, en toute logique ? Si les deux sexes étaient capables de violer, était-ce encore du viol ? Certes le problème ne s’appliquait qu’aux Titanides. Chacune avait à la fois des organes mâle et femelle à l’arrière et l’un ou l’autre à l’avant.

Le présentateur annonçait l’attraction comme un « spectacle éducatif » en expliquant que les Titanides ne voyaient aucun inconvénient à pratiquer en public des relations sexuelles antérieures mais qu’elles réservaient à l’intimité les rapports frontaux. En passant, il permit à Robin d’apprendre un nouveau verbe : baiser.

Le pénis antérieur des Titanides étonna Robin. Normalement rétracté dans son fourreau et caché en partie par les jambes arrière, il se trouvait être une fois découvert, un instrument formidable. Il était exactement semblable au modèle humain mais long comme le bras de la jeune fille et deux fois plus épais. Elle se demanda si sa mère n’avait pas fait une confusion en gratifiant le mâle humain de cet effrayant attribut.

Il y avait aussi d’autres spectacles éducatifs et scientifiques. Bon nombre d’entre eux affichaient un caractère violent. Robin n’en fut pas surprise, elle qui n’attendait rien de plus d’une société de sauteurs et restait personnellement étrangère à toute violence. Dans une petite tente, une femme démontrait les pouvoirs de quelque forme de yoga en s’enfonçant des aiguilles sous les yeux, en se transperçant le corps avec un long sabre puis en s’amputant du bras gauche à l’aide d’un scalpel et d’une scie. Robin était certaine que la femme n’était qu’un robot ou un hologramme, mais l’illusion était trop bonne pour être démasquée. En tout cas, à la présentation suivante la femme était comme neuve.

Elle prit un billet pour assister à une représentation purement titanide de Roméo et Juliette mais elle dut quitter la salle tellement elle riait. Il aurait fallu donner à la pièce un titre plus adéquat du genre : Les Capulets et les Montaigus s’engagent dans la cavalerie. Il était également manifeste que le scénario avait été modifié. Si Robin doutait que la dramaturge se fût émue de voir ses rôles joués par des Titanides, elle était sûre qu’elle aurait détesté voir Roméo transformé en homme par ces révisionnistes sauteurs.

Attirée par la musique, elle pénétra dans une tente de taille moyenne et s’assit avec plaisir sur l’une des longues banquettes qui la garnissaient.

Devant elle, une rangée de Titanides chantaient sous la direction d’un homme en manteau noir. Il lui sembla que c’était encore un nouveau spectacle malgré l’absence d’une ouvreuse. Quoi qu’il en soit, il était bien agréable de souffler un peu.

Quelqu’un lui tapa sur l’épaule. En se retournant, elle découvrit un autre homme en noir. Derrière lui se tenait une Titanide arborant des lunettes à monture d’acier.

« Excusez-moi, mais voudriez-vous enfiler ceci, je vous prie ? » Il lui tendit une chemise blanche. Son sourire était amical, tout comme celui de la Titanide.

« Pourquoi ? s’enquit Robin.

— C’est la coutume ici, dit l’homme en manière d’excuse. Nous croyons qu’il est inconvenant de nous dévêtir. »

Robin nota que la Titanide portait elle aussi une chemise : c’était la première fois qu’elle voyait une de ces créatures se couvrir les seins.

Elle se glissa dans la tunique, prête à admettre les croyances les plus tordues pourvu qu’on la laisse écouter cette adorable musique. « Au fait, quel est cet endroit, au juste ? »

L’homme s’assit à côté d’elle en arborant un sourire entendu.

« Vous faites bien de le demander, soupira-t-il. Il y a parfois de quoi entamer la foi des plus dévots. Nous sommes ici pour apporter la bonne Parole aux planètes extérieures. Les Titanides ont une âme, tout comme les hommes. Il y a douze ans maintenant que nous sommes installés. Les services sont très suivis, nous avons célébré quelques mariages, donné quelques baptêmes. » Il grimaça et jeta un œil vers le groupe de chanteurs. « Mais, tout bien pesé, je crois bien que nos ouailles ne viennent ici que pour les répétitions de la chorale.

— C’est pas vrai, frère Daniel, s’exclama la Titanide, en anglais. Je-crois-en-Dieu-le-Père-tout-puissant-créateur-du-ciel-et-de-la-terre-et-en-jesucrison-filsuniqu’notre-seign…

— Des chrétiens ! » glapit Robin. Et elle bondit sur ses pieds, d’une main fit le signe des cornes protecteur, de l’autre brandit Nasu et se mit à battre en retraite, le cœur palpitant. Elle ne cessa de courir que lorsque l’église eut disparu derrière le rideau de poussière.

Elle était entrée dans une église ! C’était sa seule grande terreur, l’unique croque-mitaine de son enfance sur lequel elle n’avait aucun doute : les chrétiens étaient les fondements même de toute la structure du pouvoir vorace. Une fois tombée entre leurs mains, toute joyeuse païenne se voyait bourrée de drogues et soumise aux plus hideuses tortures physiques et mentales. Il n’y avait pour elle nulle issue, nul espoir. Leurs rites effroyables ne tardaient pas à lui déformer l’esprit au-delà de toute possibilité de rédemption et bientôt la convertie se voyait infectée par un mal innommable qui lui pourrissait les entrailles : désormais elle serait contrainte à enfanter dans la douleur jusqu’à la fin de ses jours.

* * *

La cuisine gaïenne était intéressante et Robin s’était découvert un endroit qui sentait bon ; elle y avait commandé quelque chose du nom de Big Mac. Ce mets semblait composé essentiellement d’hydrates de carbone enveloppant un hachis de graisse. C’était absolument délicieux. Elle le dévora jusqu’à la dernière miette et avec un appétit apparemment insatiable.

Elle était affairée à saucer la moutarde avec ses doigts lorsqu’elle s’aperçut qu’une femme, à la table voisine, l’observait. Elle lui rendit d’abord son regard puis sourit.

« J’admirais votre travail de peinture », dit la femme tout en se levant pour se glisser près de Robin. Elle s’était parfumé le corps et portait un assortiment savamment négligé de minces foulards qui lui couvraient juste l’aine et révélaient plus qu’à moitié sa poitrine. Son visage semblait trahir la quarantaine jusqu’à ce que Robin s’aperçoive qu’en fait les rides et les ombres n’étaient qu’un maquillage destiné à la vieillir.

« Ce n’est pas de la peinture, dit Robin.

— C’est…» Des rides, bien réelles celles-ci, se dessinèrent sur son front. « Qu’est-ce donc ? Une nouvelle technique ? Je suis FAScinée.

— Une technique bien ancienne, à vrai dire : le tatouage. On se sert d’une aiguille pour insérer de l’encre sous la peau.

— Ce doit être douloureux. »

Robin haussa les épaules. C’était effectivement douloureux, mais il n’y avait aucun labra à en parler. On pleurait, on criait sur le moment, puis on n’en reparlait plus.

« Au fait, appelez-moi Trini. Comment faites-vous pour l’enlever ?