Выбрать главу

Cirocco regarda Gaby et ses yeux semblaient dire : « Mais où l’as-tu donc ramassée ? » Gaby haussa les épaules et sourit.

« Eh bien… euh… O. K. ! Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter à ça.

— Pourquoi ne pas continuer, Rocky ? Ça pourrait toujours l’intéresser.

— J’en doute, dit Robin en se levant. Je ne sais pas ce que vous voulez me proposer mais si c’est encore une de ces histoires d’aventures et d’“héroïsme”…» Elle eut l’air de chercher un endroit où cracher par terre, mais il y avait trop de tapis. «… ne comptez pas sur moi. Je ne veux pas me fourrer dans ce genre de jeu. J’ai un boulot à faire et je compte bien m’en charger et repartir ensuite, si je suis encore en vie.

— Donc, tu vas faire l’ascension du rayon.

— Parfaitement. »

Cirocco se tourna une nouvelle fois vers Gaby qui comprit son regard : « C’était ton idée, lui disait-elle. Maintenant débrouille-toi si tu tiens à elle. »

« Écoute, Robin, avança Gaby. Ton but est de retourner au moyeu, bien sûr, mais comme tu as déjà eu droit à une ascension gratis, l’ascenseur ne fonctionnera plus pour toi. Tu as une chance sur trente de parvenir vivante au sommet par tes propres moyens. En fait, moins encore, puisque tu es toute seule. Cirocco et moi, nous y sommes parvenues mais on a eu une sacrée chance.

— Je sais tout ça », commença Robin et Gaby s’empressa de poursuivre :

« Ce que je veux dire, c’est tout simplement qu’avec notre proposition, tu pourrais gagner le sommet avec moins de risques, et plus vite. Je ne te demande pas de jouer le jeu de Gaïa ; personnellement je suis à fond contre, moi aussi. J’estime que… enfin, bon ce n’est pas le problème. Mais considère ceci : elle ne te demande pas de blesser quiconque, ou d’agir de façon déshonorante. Elle t’a simplement suggéré de commencer un circuit de la couronne. C’est ce que nous nous proposons de faire.

— Absolument. J’ai un certain nombre de choses à voir, dit Cirocco.

— Exact. Il se fait que nous allons dans la même direction et Gaïa nous a prévenues de votre arrivée, à tous deux. Rocky et moi l’avons déjà fait, avec d’autres pèlerins, ensemble ou séparément. On essaie de leur éviter les ennuis en attendant qu’ils sachent se débrouiller.

« Ce que je veux te dire, c’est que vous pourriez venir avec nous. Tu pourrais apprendre des choses qui te seront utiles si tu es toujours décidée à grimper. Je ne dis pas qu’il n’y aura pas de danger. Sorti d’Hypérion, tout à Gaïa peut être dangereux. Eh ! bon sang, même une bonne partie d’Hypérion peut vous tuer ! Mais c’est la beauté de la chose. Il se pourrait qu’en chemin tu accomplisses quelque chose que Gaïa considère comme héroïque. Et sans pour cela que tu en aies honte, je peux te le promettre. Je dois lui concéder ceci : elle sait comment trouver ses héros. Tu comprends, ce n’est que si l’occasion se présente. Tu n’auras pas à y songer comme à une compromission dans son jeu ; tu n’auras rien à chercher en particulier. Viens simplement avec nous. Et à ton retour, tu auras un voyage gratuit pour le sommet. Ce que tu en feras, c’est ton affaire. » Elle se rassit. Elle aimait bien Robin, mais merde, elle ne pouvait guère faire plus pour la protéger. En un sens, Gaby se sentait comme Frédo-le-Gros, l’ange ; il y avait des gens qui auraient donné un bras ou une jambe en échange de l’aide qu’elle et Rocky lui proposaient et elle était là, à essayer de fourguer son idée à cette petite gamine orgueilleuse et butée.

Robin se rassit. Elle lui fit la grâce de paraître légèrement décontenancée.

« Je suis désolée, répondit-elle. Je vous remercie pour cette offre et c’est avec plaisir que je vous accompagnerai. Cela me paraît logique. » Gaby se demanda si Robin avait imaginé la même chose qu’elle : à deux ou trois cents kilomètres d’altitude à l’intérieur du rayon vertical, se voir brusquement prise de paralysie. Aucun de ceux qui avaient fait le Grand Plongeon n’était pressé de répéter l’expérience.

« Chris ?

— Moi ? Bien entendu. Je serais idiot de refuser.

— Voilà ce que j’aime, constata Cirocco : une approbation réaliste. » Elle se leva, ôta sa robe de chambre et passa son vieux poncho. « Faites comme chez vous. C’est la maison qui régale. Le Carnaval se termine dans à peu près quatre-vingts revs, alors, prenez du bon temps. Je vous retrouve dans cent revs à La Chatte Enchantée. »

14. Ameroso

« Eh, mon chou, si tu ne sors pas bientôt, c’est moi qui vais te rejoindre. »

Chris regardait l’eau dégoutter de son corps en éclaboussant ses pieds nus. Il avait un morceau de savon à la main. Il leva la tête et prit le jet en pleine figure.

Curieux, ces deux trous de mémoire successifs.

« Laisse-moi un peu d’eau, veux-tu ? » C’était une voix féminine, la voix d’une inconnue. Bon, où était-il allé ? Quel était son dernier souvenir net ?… Il coupa l’eau et sortit de la minuscule cabine de douche. Les cloisons et le plancher étaient de simples planches en bois. Par une fenêtre ouverte il distinguait le sol, trente mètres plus bas. Il était dans un arbre, probablement à l’Hôtel de Titanville.

Il jeta un œil prudent par l’entrebâillement de la porte : la petite pièce contiguë contenait un mobilier léger et un lit bien rembourré ; et sur le lit il y avait une femme nue, rembourrée également. Elle était étendue sur le dos dans une pose qui aurait pu être aguichante si elle n’avait pas été aussi totalement détendue. Était-ce avant, ou après ? Il se posa la question mais son corps connaissait la réponse : c’était après.

« Ah, quand même, dit-elle en levant la tête lorsqu’il sortit. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir encore dans cette chaleur. » Elle se leva et, debout devant la fenêtre de la chambre, souleva la masse de cheveux bruns qui lui retombaient sur les épaules et les attacha avec une épingle. Chris la trouva adorable et regretta d’avoir manqué ça. La plupart des choses qu’il manquait étaient aussi vite oubliées mais elle semblait être l’exception. Elle avait les jambes longues et le teint parfait. Les seins peut-être un poil trop gros mais il aurait aimé avoir l’occasion d’en juger sur pièces.

Elle lui jeta un coup d’œil. « Oh non, oh, que non ! Pas encore, pas maintenant, frangin. Tu n’en as pas eu assez ? » Et elle se rua dans la douche.

Il n’arrivait pas à retrouver son short. En furetant, il remarqua quelques accessoires bizarres et tout un tas de pots de crème et d’onguent. Il fronça les sourcils, regarda mieux autour de lui, et découvrit enfin ce qu’il cherchait, accroché au mur. Elle était jaunissante et déchirée mais c’était une licence de prostitution, délivrée cinq ans plus tôt par le comté de Jefferson, Texas.

« Qu’est-ce qui ne va pas, à présent ? » lui demanda-t-elle lorsqu’elle sortit, en se séchant les épaules et le cou. « Tu sais que tu es lunatique, toi ?

— Ouais. Ça, je le sais. Combien je te dois ?

— On en a déjà discuté, tu te rappelles ?

— Non, je ne me rappelle pas ; parce qu’il vaudrait mieux que tu saches que je ne me rappelle plus rien depuis… depuis je ne sais plus combien de temps. Depuis avant que je te rencontre. Et c’est comme ça et je n’ai pas envie d’en discuter mais je ne me souviens même plus de ton nom, je ne retrouve pas mes vêtements, et est-ce que tu voudrais bien me dire, oui ou non, combien je te dois, que je puisse me tirer et te laisser tranquille ? »

Elle s’assit près de lui au bord du lit, sans le toucher puis elle avança le bras et lui prit la main.