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« C’est donc ça, hein ? dit-elle calmement. Tu m’en as parlé mais tu as raconté tellement de choses que je ne savais plus que croire.

— Cette partie-là était vraie. Tout le reste était sans doute des mensonges. Si je t’ai dit que j’avais plein d’argent dans un coin, c’était un mensonge. J’en avais à mon arrivée mais depuis ma dernière absence, tout ce qu’il me reste, c’est une paire de shorts. »

Elle noua la serviette autour de sa taille et se dirigea vers un bureau de bois pour prendre dessus quelque chose. « Tu as balancé ton short juste après m’avoir embarquée : tu retournais à la nature. » Elle lui sourit, sans taquinerie, et lui lança un objet.

C’était une petite pièce d’or. Sur une face étaient gravés les mots : « CHÈQUE EN BLANC » avec quelques symboles en titanide. Sur l’autre, il y avait une signature : « C. Jones ». Quelque chose lui revenait en mémoire et il ferma les yeux pour se concentrer.

« Tu disais que ça te permettait de tout faire à Titanville : “Exactement comme de l’argent.” Je n’en avais jamais vu jusque-là mais tu étais parti dans une frénésie de dépense et tout le monde semblait l’honorer.

— Je t’ai trompée, dit-il, sachant que c’était vrai. Seules les Titanides sont tenues de l’honorer. J’étais censé m’en servir pour… m’en servir pour… pour m’équiper en vue d’un voyage que je suis censé faire. » Il se redressa, soudain paniqué. « J’ai acheté tout un tas de choses, je m’en souviens maintenant. J’étais supposé… je veux dire, où sont…

— Du calme, du calme. Tout est arrangé. Je les ai fait transporter à La Gata, selon tes instructions. Tout est en sûreté. »

Il se rassit lentement. « La Gata…

— C’est l’endroit où tu es supposé retrouver tes amis », lui souffla-t-elle. Elle consulta l’horloge gaïenne gyroscopique posée sur le bureau. « D’ici une quinzaine de minutes.

— C’est vrai ! Il faut que je…» Il se rua vers la porte puis s’immobilisa, avec la sensation d’avoir oublié quelque chose.

« Tu aurais un peignoir à me prêter ? »

Sans un mot, elle lui tendit le sien.

« Je… euh, je suis désolé de ne rien avoir à te donner. Je ne sais pas quelle promesse j’ai pu te faire, mais je suis quand même surpris que tu n’aies pas demandé…

— L’argent d’abord ? Je ne suis pas née d’hier. Je savais dans quoi je me fourrais. » Elle alla vers la fenêtre et, les mains posées sur l’appui, considéra la ville en dessous d’elle. « Je suis ici depuis un sacré bout de temps. La Terre ne m’avait jamais réussi. Ici, j’aime bien les gens. Au moins, je les considère comme des gens. Je suppose que je commence à devenir autochtone. » Elle le regarda comme si elle s’attendait à le voir rire. Il ne rit pas et elle esquissa un sourire. « Bon sang, c’est que moi aussi je me partage un tiers de Titanide. Dès qu’on reste ici assez longtemps, on commence à jouer aux billes. »

Elle vint vers lui et l’embrassa sur la joue. « Je n’arrive pas à croire qu’on ait fait tout ça et que tu ne t’en souviennes pas d’une miette. Disons que ça blesse mon orgueil professionnel. » Un moment, il crut qu’elle allait se mettre à pleurer, sans parvenir à comprendre pourquoi.

« Il y a une fille qui fait le voyage avec toi.

— Robin ?

— C’est ça, oui. Dis-lui bonjour de ma part, et qu’elle soit prudente. Et bonne chance. Souhaite-lui bonne chance de ma part. Tu feras ça ?

— Si tu me redis ton nom.

— Trini. Dis-lui qu’elle fasse gaffe à la mère Plauget. Elle est dangereuse. Et que quand elle reviendra, elle sera toujours ici la bienvenue.

— Je lui dirai. »

15. La Chatte Enchantée

Titanville s’abritait sous un arbre massif formé par la réunion en un seul organisme d’un grand nombre d’arbres plus petits. Même si les Titanides n’avaient aucun penchant pour l’urbanisme, leurs simples préférences imposaient une certaine structure à leur agglomération. Elles aimaient vivre à moins de cinq cents mètres de la lumière si bien que leur habitat tendait à former un anneau sous la périphérie de l’arbre. Certaines des maisons étaient posées à peu près au niveau du sol. D’autres étaient perchées sur les branches horizontales gigantesques, soutenues par des troncs secondaires aussi gros que des séquoias.

Disséminés dans l’anneau résidentiel mais en majeure partie vers l’intérieur se trouvaient les ateliers, les forges, les fabriques et les distilleries. Plus à l’extérieur, vers le soleil – et parfois même en plein air – on découvrait les bazars, les échoppes et les marchés. Dans toute la cité on pouvait trouver équipements et édifices publics : casernes de pompiers, bibliothèques, entrepôts, citernes. L’eau courante était fournie par des puits et par la collecte de l’eau de pluie, mais l’eau des puits était de goût amer et d’aspect laiteux.

Robin venait de passer pas mal de temps dans la couronne extérieure, employant le médaillon fourni par Cirocco pour se procurer les équipements nécessaires au voyage. Elle avait trouvé les artisans titanides aussi polis que dévoués. On l’orientait invariablement vers les marchandises de la plus haute qualité là où des produits plus ordinaires auraient tout aussi bien fait l’affaire. C’est ainsi qu’elle se retrouvait en possession d’une gourde en cuivre qui, par ses incrustations et ses gravures élaborées, n’aurait pas dépareillé la table d’un banquet à la cour du tsar. La poignée de son couteau était taillée à la forme de sa main. Elle était décorée d’un rubis de la taille d’une loupe. On avait cousu son sac de couchage dans un tissu si richement brodé qu’elle ne pouvait se résoudre à le poser sur le sol.

Cornemuse, la Titanide dont elle avait fait connaissance sous la tente de Cirocco, lui avait servi de guide en chantant les traductions aux marchands qui n’entendaient pas l’anglais.

« Ne vous tracassez pas, lui avait-il dit. Vous remarquerez que personne non plus ne paie avec de l’argent, ici. On ne l’utilise pas.

— Quel est donc votre système, alors ?

— Gaby appelle cela du communisme non coercitif. Elle dit que ça ne marcherait pas avec des humains. Ils sont trop égoïstes et cupides. Pardonnez-moi, mais ce sont ses propres termes.

— Ce n’est pas grave. Elle a sans doute raison.

— Je ne saurais dire. Il est exact que nous n’avons pas ces problèmes liés au pouvoir que les humains semblent avoir. Nous n’avons pas de chef et nous ne nous battons pas entre nous. Notre économie est fondée sur l’accord et la confiance mutuels. Tout le monde travaille, à la fois pour son commerce et pour les projets de la communauté. On fonde peu à peu sa réputation – ou peut-être pourriez-vous appeler cela de la richesse, ou du crédit – avec ses réussites, avec l’âge ou avec le besoin. Personne ne manque du nécessaire ; la plupart ont même un peu de superflu.

— Je n’appelle pas cela de la richesse, remarqua Robin. Au Covent non plus, nous n’utilisons pas la monnaie.

— Oh ? Et quel est donc votre système, alors ? »

Robin essaya d’y penser aussi objectivement que possible ; elle se rappela le travail communautaire obligatoire épaulé par un système de punitions jusques et y compris la mort.

« Appelez ça du communisme coercitif. Avec pas mal de trafic en douce. »

* * *

La Gata Encantada était située près du tronc d’un grand arbre. Robin s’y était déjà rendue une fois mais l’obscurité était perpétuelle à Titanville et les cartes routières inexistantes. Il n’y avait pas de routes. Il fallait une lanterne et beaucoup de chance pour trouver quoi que ce soit.