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— Avec… oh, tu veux dire… ce dont nous avons parlé. » Elle balaya rapidement la pièce du regard, comme pour y surprendre d’éventuels espions. Elle eut un frémissement et fit mine de s’asseoir. Gaby l’y aida. Cirocco resserra les couvertures autour d’elle. Le feu ronflait et crépitait dans l’âtre en maintenant dans la chambre une température d’étuve de trente-cinq degrés mais Cirocco ne parvenait pas à se réchauffer.

« J’ai… j’y ai pensé », dit Cirocco et Gaby était sûre qu’elle mentait. Si elle avait pensé, c’était à se trouver à boire. Mais tant pis. Ses craintes s’exprimeraient librement maintenant, sans rien pour les censurer.

« J’avais pensé que peut-être… peut-être on devrait y réfléchir un peu plus. Je veux dire, ne nous précipitons surtout pas. C’est un grand pas à franchir. Je… bien sûr, je viens toujours avec toi, mais on ne devrait pas… franchement, on ne devrait pas aller jusqu’au bout, tu vois ? On devrait pas vraiment aller leur parler, à Rhéa, à Crios et…

— Vingt ans, on ne peut pas dire que ce soit de la précipitation, remarqua Gaby.

— Ben ouais, d’accord, mais ce que je dis…»

Elle hésita, à l’évidence incertaine de ce qu’elle voulait dire. « Si je pouvais avoir rien qu’un… euh, oh, non, je ne le dirai pas. Je ne demanderai rien. Je serai une gentille fille, d’accord ? » Elle eut un faible sourire, insinuant.

« Donc, tu laisses tomber ? »

Cirocco fronça les sourcils. « Je n’ai pas dit ça. Si ? Allons, Gaby, tu sais que c’est dangereux. Tu l’as dit toi-même. Ce qu’il faut c’est prendre du recul, ne pas foncer, et d’ici quelque temps… eh ben, on verra nettement ce que…» À nouveau, elle avait perdu le fil de ses pensées.

« O. K., dit Gaby en se levant. Je ne sais pas si nous aurons le temps mais je m’attendais à ce que tu me dises quelque chose de ce genre. Je ne suis pas sûre que Gene nous laisse le temps. Je crois qu’il manigançait quelque chose. Quoi, je l’ignore. Mais il faut s’y prendre maintenant, pas plus tard. Ce n’est qu’une simple étude de faisabilité, Rocky. Penses-y sous cet angle.

— Je ne sais pas si je peux… ben, le faire sans éveiller les soupçons.

— Bien sûr que tu peux.

— Non. Non, c’est trop téméraire. J’y ai réfléchi. Attends encore et je t’aiderai.

— Non. » Elle attendit que Cirocco l’ait comprise et vit l’esquisse de son sourire lentement s’effacer. « Il est peut-être déjà trop tard. Si tu ne le fais pas, je le ferai. Et je crois qu’il vaudrait mieux que j’annonce à ces deux pèlerins qu’ils se débrouilleront mieux sans nous. »

Cirocco commença à dire quelque chose mais Gaby n’avait pas envie de l’entendre. Elle quitta la pièce aussi vite qu’elle put.

* * *

L’Atelier de Musique avait été conçu et édifié en fonction des Titanides. Les plafonds étaient hauts et les portes larges. Les rares tapis ne se trouvaient qu’aux endroits où l’on avait disposé des sièges à taille humaine, une façon de rappeler aux Titanides de s’en écarter. La plus grande partie du plancher de bois brut était recouverte de sciure ou de paille. La grande table de la bibliothèque avait un côté humain, un côté titanide : une moitié avec des chaises, une moitié avec une litière de paille. La pièce avait de hautes fenêtres donnant vers l’est sur la Mer de Minuit et une cheminée de pierre, présentement éteinte. Gaby y avait réuni tout le monde, à cause de la vue. Tandis qu’elle leur expliquait ce qu’elle avait à leur dire, ils avaient sous les yeux le territoire qu’il leur restait à parcourir : peut-être ainsi pourraient-ils prendre une décision plus avisée.

« Je suppose qu’il n’est pas facile de vous annoncer ceci. Et c’est doublement difficile, compte tenu de ce que j’ai déjà pu dire à certains d’entre vous. Mais à partir de maintenant, je dois annuler toutes mes promesses concernant Cirocco. Elle est beaucoup plus mal que je ne le pensais. J’ignore encore si elle va venir avec moi mais, dans un cas comme dans l’autre, il est temps pour vous de revoir des décisions prises sur la base d’informations erronées. Je vous avais dit que Rocky s’en sortirait, qu’elle serait utile et… qu’elle serait une aide plutôt qu’un fardeau. Je ne peux plus soutenir cet avis. »

Elle scruta les six visages. À l’exception de Hautbois, elle savait déjà ce que dirait chacune des Titanides. Pour Chris et Robin, elle n’était pas sûre. Chris avait ses propres problèmes, peut-être temporaires ; quant à Robin, elle ne se serait pas risquée à deviner son comportement.

« Ça se ramène à ceci : je continue le périple. Rocky se joint à moi peut-être. Vous êtes tous les bienvenus si vous avez envie de venir. Si Rocky est là, il se peut qu’elle nous laisse tomber d’une façon plus ou moins grave. Et en l’occurrence, je veux dire autre chose que le simple fait de devoir s’occuper d’elle si elle trouve encore moyen de se saouler. Ce n’est pas là le problème. Que cela vous déplaise ou non, Chris et toi, Robin, vous pourriez l’un et l’autre nous mettre dans la même situation et c’est probablement ce qui arrivera. En un sens, Rocky ne se contrôle pas mieux que vous. Cela, je veux bien l’accepter. Je suppose que je suis incapable de vous dire pourquoi mais je le ferai, pour chacun de vous trois. Je m’occuperai de vous lorsqu’il le faudra, tout comme le feront les Titanides.

— À vrai dire, nous considérons ces maux au même titre que l’habitude humaine de s’endormir, sans plus, intervint Cornemuse, d’une voix hésitante. Pour nous, c’est la même chose. Quand vous dormez, nous devons vous veiller.

— Il n’a pas tort, dit Gaby. En tout cas, mes craintes concernant Rocky sont qu’elle nous lâche par dépression nerveuse. Je n’aurais jamais cru être obligée de le dire mais le fait est que je ne suis plus certaine qu’elle place la sécurité du groupe au-dessus de ses propres besoins personnels. J’ai l’impression de la connaître à peine. Mais je dois la considérer comme peu digne de confiance.

« Comme je l’ai dit, je continue quand même. Ce que je veux savoir, c’est quels sont vos plans. Cornemuse ?

— Je reste avec Cirocco. Si elle vient, parfait. »

Gaby opina. Elle leva un sourcil à l’adresse de Psaltérion qui se contenta d’esquisser un signe de tête. Elle savait qu’il viendrait avec elle.

« Valiha ?

— Je voudrais bien continuer. Mais seulement si Chris vient aussi.

— Bien. Hautbois ?

— Il faut que je termine le circuit : je n’ai jamais été arrière-mère et c’est ma meilleure chance.

— D’accord. Contente de t’avoir. Et toi, Chris ? »

Le simple fait de détacher son regard de la table semblait pour Chris un effort. Il s’était remis de sa dernière attaque depuis des heures mais comme d’habitude lorsque la crise n’avait pas été accompagnée d’amnésie, il était psychologiquement épuisé et n’avait pas plus d’amour-propre qu’un chien battu.

« Je crois que tu minimises le problème, marmonna-t-il. Le mien, je veux dire. Pourquoi devrais-je demander plus à Cirocco qu’à moi-même ? » Valiha voulut lui prendre la main mais il l’écarta d’une bourrade. « Je viendrai, si vous voulez de moi.

— Nous savions à quoi nous attendre, dit Gaby. Tu as ta place parmi nous. Robin ? »

Il y eut une longue pause. Gaby était inquiète tandis que Robin se décidait. Autant qu’elle sache, l’autre choix pour la jeune sorcière était d’effectuer l’ascension du rayon. Et Robin était bien capable d’en décider ainsi, tout en sachant qu’elle mourrait en route.

« Je viens, finit-elle par dire.

— Sûr ? Ne pourrais-tu pas te retirer avec les honneurs ?