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Ma foi… Rincevent hésita. Oui, se dit-il, euh…

Sa compagnie est plutôt agréable, hein ? Jolie voix ?

Ma foi, évidemment…

Tu aimerais en voir davantage ?

Ma foi… Rincevent s’aperçut avec surprise que, oui, il aimerait. Non pas qu’il fût complètement néophyte question femmes, mais leur compagnie semblait toujours source d’ennuis et, bien sûr, affectait la force magique, c’était notoire, même s’il lui fallait bien reconnaître que sa force magique à lui, en gros celle d’un marteau en caoutchouc, restait plutôt douteuse.

Alors, tu n’as rien à perdre, hein ? insinua sa libido d’un ton de pensée mielleux.

Ce fut à ce moment que Rincevent se rendit compte qu’un détail important manquait. Il lui fallut un certain temps pour trouver lequel.

Personne n’avait cherché à lui vendre quoi que ce soit depuis plusieurs minutes. Dans la ville d’Al Khali, ça voulait sans doute dire qu’on était mort.

Conina, le Bagage et lui se trouvaient seuls dans une longue ruelle louche. Il entendait l’animation de la ville à quelque distance, mais dans les parages immédiats rien d’autre qu’un silence aux aguets.

« Ils se sont sauvés, dit Conina.

— On va se faire attaquer ?

— Possible. Trois hommes nous suivent sur les toits. »

Quasiment à l’instant où Rincevent plissait les yeux et levait la tête, trois hommes en robes noires flottantes se laissèrent tomber souplement dans la ruelle juste devant eux. Lorsqu’il regarda à la ronde, deux autres apparurent au détour d’un angle. Tous les cinq brandissaient de longues épées recourbées et, malgré le tissu qui leur masquait le bas de la figure, il était presque certain qu’ils souriaient méchamment.

Rincevent cogna sèchement sur le couvercle du Bagage.

« Tue », suggéra-t-il. Le Bagage resta immobile un moment, puis alla tranquillement se placer auprès de Conina. Il avait un air légèrement avantageux et, s’aperçut Rincevent avec une horreur jalouse, plutôt embarrassé.

« Dis donc, toi… grogna-t-il en lui flanquant un coup de pied, espèce de sac à main. »

Il se glissa plus près de la fille qui ne bougeait pas, un sourire songeur aux lèvres.

« Et maintenant ? demanda-t-il. Vous allez leur crêper le chignon vite fait ? »

Les hommes s’approchaient tout doucement. Il nota qu’ils ne s’intéressaient qu’à Conina.

« Je ne suis pas armée, dit-elle.

— Qu’est-ce qui est arrivé à votre peigne légendaire ?

— Oublié sur le bateau.

— Vous n’avez rien ? »

Conina se déplaça légèrement afin de garder le plus d’hommes possibles dans son champ de vision.

« J’ai deux pinces à cheveux, dit-elle du coin de la bouche.

— C’est bien, ça ?

— Sais pas. Jamais essayé.

— C’est vous qui nous avez fourrés là-dedans.

— Du calme. Je crois qu’ils veulent seulement nous faire prisonniers.

— Oh, c’est facile pour vous de dire ça. Ce n’est pas vous la promotion de la semaine. »

Le Bagage claqua du couvercle une ou deux fois, un peu incertain sur la conduite à tenir. L’un des hommes tendit prudemment son épée et poussa Rincevent dans le creux des reins.

« Ils veulent nous emmener quelque part, vous voyez ? » fit Conina. Elle serra les dents. « Oh, non, marmonna-t-elle.

— Quoi encore ?

— Je ne peux pas.

— Quoi donc ? »

Conina se prit la tête dans les mains. « Je ne peux pas les laisser s’emparer de moi sans me battre ! Je sens mille ancêtres barbares m’accuser de trahison ! souffla-t-elle très vite.

— À d’autres.

— Non, vraiment. Ça ne prendra même pas une minute. »

Il y eut un mouvement soudain à peine visible et l’homme le plus proche s’écroula en un petit tas gargouillant. Les coudes de Conina partirent en arrière dans l’estomac de ceux dans son dos. Sa main gauche fusa au ras de l’oreille de Rincevent dans un bruit de soie déchirée pour assommer l’homme derrière lui. Le cinquième prit ses jambes à son cou, mais un tackle à la volée le fit tomber, et il se cogna durement la tête contre le mur.

Conina se dégagea d’une roulade et s’assit, hors d’haleine, les yeux brillants.

« C’est triste à dire, mais je me sens mieux, fit-elle. C’est affreux de savoir que j’ai trahi une belle tradition de la coiffure, bien sûr. Oh.

— Oui, dit Rincevent sombrement. Je me demandais si vous les aviez remarqués. »

Les yeux de Conina balayèrent le rang des archers soudain apparus le long du mur d’en face. Ils avaient l’air impassible, imperturbable de ceux qu’on a payés pour effectuer un boulot et que ça ne dérange pas d’avoir à trucider des gens dans l’affaire.

« L’heure des épingles à cheveux est venue », dit Rincevent.

Conina ne bougea pas.

« Mon père disait toujours qu’il était inutile de lancer une attaque frontale sur un ennemi puissamment équipé d’armes de jet meurtrières », répondit-elle.

Rincevent, qui connaissait le vocabulaire usuel de Cohen, lui adressa un regard incrédule.

« Enfin, ce qu’il disait réellement, ajouta-t-elle, c’était : évite toujours les concours de bottage de cul avec un porc-épic. »

* * *

Duzinc n’avait pas le courage d’affronter le petit déjeuner.

Il se demanda s’il devait parler à Cardant, mais il sentait avec un froid dans le dos que le vieux mage n’écouterait pas et qu’il refuserait de le croire, de toutes façons. D’ailleurs, il n’était pas vraiment sûr d’y croire lui-même…

Si, il était sûr. Il aurait beau faire, il ne l’oublierait jamais.

L’un des problèmes que posait la vie à l’Université ces temps-ci, c’était que le bâtiment où l’on se couchait risquait de ne pas être le même au réveil. Les pièces avaient pour manie de changer de forme et de place, conséquence de toute la magie qui circulait au hasard. Elle s’accumulait dans les tapis, chargeait les mages de tant d’énergie que donner une poignée de main devenait le meilleur moyen de métamorphoser n’importe qui en n’importe quoi. La charge de magie, de fait, dépassait la capacité des lieux. Faute d’y remédier rapidement, même les gens du commun allaient bientôt pouvoir s’en servir, une pensée qui lui glaçait les sangs, mais comme la tête de Duzinc était déjà tellement pleine de ces idées-là qu’on l’aurait prise pour un bac à glaçons, pas la peine de perdre son temps à s’inquiéter.

La banale géographie domestique n’était cependant pas le seul souci. La véritable pression qu’exerçait la marée thaumaturgique agissait même sur les aliments. Ce qui était une fourchettée de pilaf de poisson dans l’assiette pouvait parfaitement se révéler autre chose une fois dans la bouche. Quand on avait de la chance, c’était non comestible. Quand on n’en avait pas, c’était comestible, mais sans doute quelque chose dont la simple idée d’en manger ou, pire, d’en avoir déjà avalé la moitié, soulevait le cœur.

Duzinc découvrit Thune dans ce qui avait été, tard la veille au soir, un placard à balais. C’était beaucoup plus grand à présent. C’est uniquement parce que Duzinc n’avait jamais entendu parler de hangars d’avions qu’il ne sut pas à quoi le comparer, même si, soyons justes, on rencontre rarement de hangars d’avions avec des sols en marbre et des statues à profusion. Deux balais et un petit seau cabossé dans un angle avaient l’air parfaitement déplacés, mais pas autant que les tables en miettes de feue la Grande Salle qui, suite au déferlement de magie qui régnait désormais sur l’Université, avait rétréci jusqu’à la dimension approximative de ce que Duzinc, s’il en avait eu connaissance, aurait appelé une petite cabine téléphonique.