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— Oh, c’est moi qui emploie les trafiquants. Je suis le vizir, après tout, dit Abrim. C’est ce qu’on attend plus ou moins de moi. »

Il considéra la fille d’un air songeur, puis fit un signe de tête à deux gardes. « Le Sériph actuel est plutôt littéraire dans sa manière de voir, dit-il. Moi, non. Emmenez-la quand même au sérail. » Il roula des yeux et poussa un soupir irrité. « Je suis sûr que l’unique sort qui l’attend, c’est l’ennui, et peut-être le mal de gorge. »

Il se tourna vers Rincevent. « Ne dites rien, fit-il. Ne bougez pas les mains. N’essayez pas de tours de magie. Des amulettes bizarres et puissantes me protègent.

— Hé là, une minute…» commença Rincevent, et Conina le coupa : « Ça va. Je me suis toujours demandé à quoi ressemblait un harem. »

La bouche de Rincevent continuait de s’ouvrir et de se refermer, mais aucun son n’en sortait. Enfin, il réussit à émettre un : « Non ? »

Elle remua un sourcil à son intention. Sans doute un signal. Le mage sentait qu’il aurait dû le comprendre, mais des passions étranges s’agitaient au fond de lui. Sans le rendre brave pour autant, elles le mettaient en colère. Accéléré, le dialogue sous son crâne donnait à peu près ceci :

Beurk.

Qui c’est ?

Ta conscience. Je me sens mal. Regarde, ils l’embarquent au harem.

Mieux vaut elle plutôt que moi, se dit Rincevent, mais sans grande conviction.

Fais quelque chose !

Il y a trop de gardes ! Ils vont me tuer !

Ils vont te tuer, et après ? Ce n’est pas la fin du monde.

Pour moi, si, songea Rincevent, lugubre.

Mais pense comme tu seras bien dans ta prochaine vie…

Écoute, la ferme, je veux bien ? J’en ai assez de moi.

Abrim s’approcha du mage et le regarda curieusement.

« À qui parlez-vous ? demanda-t-il.

— Je vous préviens, fit Rincevent entre ses dents serrées, j’ai une boîte magique à pattes qui n’a aucune pitié avec les agresseurs, un seul mot de moi et…

— Vous m’impressionnez, dit Abrim. Est-elle invisible ? »

Rincevent risqua un œil derrière lui.

« J’étais sûr de l’avoir avec moi quand je suis entré », dit-il avant de s’affaisser.

Il serait faux de prétendre que le Bagage n’était visible nulle part. Il était visible quelque part, mais nulle part près de Rincevent.

Abrim fit lentement le tour de la table où reposait le chapeau en se tortillant la moustache.

« Une fois encore, fit-il, je vous le demande : ce chapeau a un pouvoir, je le sens, et il faut me dire lequel.

— Pourquoi vous ne le lui demandez pas directement ? fit Rincevent.

— Il refuse de me répondre.

— D’ailleurs, pourquoi vous voulez le savoir ? »

Abrim éclata de rire. Un rire désagréable aux oreilles.

On aurait dit qu’on lui avait expliqué comment s’y prendre, sans doute lentement et souvent, mais qu’il n’avait jamais entendu personne rire.

« Vous êtes mage, dit-il. La magie, c’est une affaire de pouvoir. Je m’y suis moi-même intéressé. J’ai le talent, vous savez. » Le vizir se redressa avec raideur. « Oh, oui. Mais ils n’ont pas voulu m’admettre à votre Université. Ils ont dit que j’étais mentalement instable, le croyez-vous ?

— Non », répondit Rincevent, sincère. Il avait toujours trouvé que la plupart des mages de l’Invisible n’avaient pas inventé la brique tiède. Abrim était sans doute de la bonne étoffe pour faire un mage.

Le dignitaire le gratifia d’un sourire encourageant.

Rincevent jeta un regard en coin au chapeau. Le couvre-chef resta silencieux. Il regarda à nouveau le vizir. Si le rire d’Abrim était bizarre, auprès du sourire il devenait aussi normal qu’un chant d’oiseau. On aurait dit qu’il l’avait appris à partir de diagrammes.

« Vous auriez beau monter sur vos grands chevaux que je ne pourrais pas vous aider, dit-il.

— Ah, repartit le vizir. Un défi. » Il fit signe au garde le plus proche.

« Avons-nous de grands chevaux à l’écurie ?

— Oui, et plutôt mauvais, maître.

— Excitez-en quatre et conduisez-les dans la cour côté sens direct. Et… oh, amenez plusieurs longueurs de chaînes.

— Tout de suite, maître.

— Hum. Écoutez, fit Rincevent.

— Oui ? fit Abrim.

— Ben, vu comme ça…

— Vous avez une remarque à faire ?

— C’est le chapeau de l’Archichancelier, si vous voulez savoir, dit Rincevent. Le symbole de la magie.

— Puissant ? »

Rincevent frissonna. « Très, fit-il.

— Pourquoi l’appelle-t-on le chapeau de l’Archichancelier ?

— L’Archichancelier est le mage le plus élevé dans la hiérarchie, vous voyez. Le chef. Mais, écoutez…»

Abrim se saisit du chapeau, le tourna et le retourna dans ses mains.

« C’est, comme qui dirait, le symbole de la charge ?

— Absolument, mais écoutez, si vous le mettez, j’aime mieux vous prévenir…»

La ferme.

Abrim fit un bond en arrière. Le chapeau tomba par terre.

Le mage ne sait rien. Renvoyez-le. Et négocions.

Tête baissée, le vizir fixait les octarines scintillantes autour du chapeau. « Moi, négocier ? Avec un article vestimentaire ? »

J’ai beaucoup à offrir, une fois sur la bonne tête.

Rincevent était épouvanté. On a déjà signalé qu’il avait un instinct du danger qu’on prête souvent à certains petits rongeurs, lequel instinct cognait à coups redoublés à l’intérieur de son crâne pour filer se cacher quelque part.

« N’écoutez pas ! » s’écria-t-il.

Coiffez-moi, fit mielleusement le chapeau d’une voix ancestrale donnant l’impression qu’il parlait la bouche pleine de feutre.

Si véritablement il existait une école pour vizirs, Abrim en était sorti major de sa promotion.

« Discutons d’abord », décida-t-il. Il eut un signe de tête à l’intention des gardes et désigna Rincevent.

« Emmenez-le et jetez-le dans la cuve aux araignées, ordonna-t-il.

— Non, pas les araignées, surtout pas ça ! » geignit Rincevent.

Le capitaine des gardes fit un pas en avant et se frappa respectueusement le front du poing.

« Plus d’araignées, maître, dit-il.

— Oh. » Le vizir eut l’air momentanément pris au dépourvu. « Dans ce cas, enfermez-le dans la cage du tigre. »

Le garde hésita, s’efforça d’ignorer le déchaînement soudain de gémissements auprès de lui. « Le tigre est malade, maître. Tourné dans sa cage toute la nuit.

— Alors balancez-moi ce pleutre pleurnichard dans le puits du feu éternel ! »

Deux gardes échangèrent un regard par-dessus la tête de Rincevent tombé à genoux.

« Ah. Faut nous prévenir un peu à l’avance, maître…

— … pour le remettre en route, quoi. »

Le poing du vizir s’abattit violemment sur la table. La figure du capitaine des gardes s’éclaira horriblement.

« Il y a la fosse aux serpents, maître », dit-il. Les autres gardes approuvèrent du chef. Il y avait toujours la fosse aux serpents.

Quatre têtes se tournèrent vers Rincevent qui se releva et s’épousseta le sable des genoux.

« Vous en pensez quoi, des serpents ? demanda l’un des gardes.

— Les serpents ? Je ne les aime pas beaucoup, ces bêtes-là…

— La fosse aux serpents, fit Abrim.

— C’est ça. La fosse aux serpents, abondèrent les gardes.