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— Vous ne sauriez pas où les trouver, par hasard ?

— Pas vraiment », reconnut le Sériph. Un jet de magie égaré métamorphosa le mur voisin en meringue à l’arsenic.

« Je crois qu’on aurait mieux fait de rester dans la fosse au serpent », conclut Rincevent qui leur tourna le dos.

Créosote lança un autre regard désolé à sa bouteille de vin vide.

« Je sais où trouver un tapis volant, dit-il.

— Non, fit Rincevent qui leva les mains comme pour se protéger. Pas question. Ne me…

— Il était à mon grand-père…

— Un vrai tapis volant ? demanda Nijel.

— Écoutez, s’empressa de protester Rincevent. J’ai déjà le vertige rien qu’en vous entendant parler de votre grand-père.

— Oh, parfaitement… – le Sériph lâcha un rot discret – … authentique. Très joli motif. » Il loucha de nouveau sur la bouteille et soupira. « Il était d’un beau bleu, ajouta-t-il.

— Et vous ne sauriez pas où il est, par hasard ? fit lentement Conina à la façon d’un chasseur qui s’approche tout doucement d’un animal sauvage susceptible de prendre peur à tout instant.

— Dans la salle du trésor. Je sais comment y aller, là-bas. Je suis extrêmement riche, vous savez. Enfin, à ce qu’on me dit. » Il baissa la voix, tenta de décocher un clin d’œil à Conina et finit par y arriver des deux yeux. « On s’assiérait sur le tapis, dit-il en se mettant à transpirer. Et vous me raconteriez une histoire…»

Rincevent essaya de crier à travers des dents serrées. Il commençait déjà à suer des chevilles.

« Je ne vais pas monter sur un tapis volant ! siffla-t-il. J’ai peur du sol !

— Vous voulez dire de l’altitude, le reprit Conina. Et arrêtez de faire l’idiot.

— Je sais ce que je dis ! C’est le sol qui tue ! »

* * *

La bataille d’Al Khali n’était qu’un nuage rappelant une tête de marteau ; dans ses profondeurs troubles on entendait des formes étranges et on voyait des bruits bizarres. De temps en temps un tir perdu fulgurait à travers la ville. Là où il retombait, les choses devenaient… différentes.

Par exemple, une grande partie du soaque s’était changée en une forêt impénétrable de champignons jaunes géants. Personne ne savait quel effet ils faisaient aux habitants, qui d’ailleurs ne s’étaient peut-être aperçus de rien.

Le temple d’Offler le Dieu Crocodile, patron de la cité, était désormais un machin en sucre franchement affreux bâti en cinq dimensions. Mais ça n’avait pas d’importance vu qu’un troupeau de fourmis géantes s’occupait de le dévorer.

D’un autre côté, il ne restait pas beaucoup de gens pour goûter pareille désapprobation des réaménagements municipaux effrénés, parce que pour la plupart d’entre eux c’était le sauve-qui-peut. Ils fuyaient par les champs fertiles en un flot continu. Certains avaient pris place à bord de bateaux, mais on avait abandonné ce moyen d’évasion lorsque la majeure partie de la zone portuaire s’était transformée en un marécage où, sans raison apparente, un couple de petits éléphants roses bâtissait son nid.

En contrebas de la panique des routes, le Bagage pataugeait lentement dans un fossé de drainage bordé de roseaux. À quelque distance devant lui, une marée de petits alligators, de rats et de chélydres jaillissait de l’eau pour gravir frénétiquement le talus, poussée par un instinct animal vague mais parfaitement justifié.

Le couvercle du Bagage exprimait une détermination farouche. Il ne demandait pas grand-chose au monde, en dehors de l’extinction totale de toute autre forme de vie, mais ce dont il avait maintenant absolument besoin, c’était son propriétaire.

* * *

On devinait sans peine que la pièce était une salle du trésor par son vide prodigieux. Les portes pendaient hors de leurs gonds. On avait forcé des niches munies de barreaux. Des tas de coffres défoncés gisaient ici et là ; à leur vue Rincevent ressentit une angoisse coupable et se demanda, l’espace de deux secondes, où était passé le Bagage.

Un silence respectueux se fit, comme toujours lorsque de grosses quantités d’argent viennent de s’envoler. Nijel circula au hasard et donna des petits coups sans grand espoir sur certains coffres, à la recherche de tiroirs secrets conformément aux consignes du chapitre onze.

Conina baissa la main et ramassa une piécette de cuivre.

« C’est affreux, dit enfin Rincevent. Une salle du trésor sans trésor dedans. »

Le Sériph, immobile, rayonnait.

« Pas d’inquiétude, dit-il.

— Mais on vous a volé tout votre argent ! fit Conina.

— Les serviteurs, j’imagine, dit Créosote. Très déloyal de leur part. »

Rincevent lui jeta un regard incrédule. « Ça ne vous ennuie pas ?

— Pas beaucoup. Je n’ai jamais rien dépensé, à vrai dire. Je me suis souvent demandé à quoi ça ressemblait d’être pauvre.

— Vous allez avoir une occasion en or de le découvrir.

— Faut-il que je suive un apprentissage ?

— Ça vient naturellement, dit Rincevent. On apprend sur le tas. » Il y eut une explosion au loin et une partie du plafond vira en confiture.

« Hem, excusez-moi, fit Nijel, le tapis…

— Oui, renchérit Conina, le tapis…»

Créosote leur adressa un sourire bienveillant, légèrement éméché. « Ah, oui. Le tapis. Appuyez sur le nez de la statue derrière vous, auroral joyau du désert aux fesses de pêche. »

Conina, toute rouge, commit ce sacrilège mineur sur une imposante statue d’Offler le Dieu Crocodile.

Rien ne se produisit. Les compartiments secrets refusèrent obstinément de s’ouvrir.

« Hum. Essayez donc la main gauche. »

Elle la tordit, pour voir. Créosote se gratta la tête.

« C’était peut-être la droite…

— Je tâcherais de m’en souvenir, à votre place, dit sèchement Conina lorsque la main droite ne donna rien non plus. Les quelques bouts qui restent, ça ne me dit rien de leur tirer dessus.

— C’est quoi, là ? demanda Rincevent.

— Vous allez drôlement en entendre parler si ce n’est pas la queue », fit Conina, et elle décocha un coup de pied à l’appendice.

On perçut un grincement métallique lointain, comme une casserole prise de douleurs. La statue frémit. Suivirent des bruits sourds quelque part dans le mur, et Offler le Dieu Crocodile pivota lourdement sur lui-même en raclant le sol. Un tunnel s’ouvrait derrière.

« Mon grand-père l’a fait creuser pour y cacher nos trésors les plus précieux, expliqua Créosote. Il était très… – il chercha un mot approprié – … ingénieux.

— Si vous croyez que je vais mettre les pieds là-dedans… commença Rincevent.

— Écartez-vous, fit Nijel avec hauteur. Je passe devant.

— Il peut y avoir des pièges…» dit Conina, méfiante. Elle jeta un regard au Sériph.

« Ah, sans doute, ô gazelle du Paradis. J’avais six ans la dernière fois que je suis venu. Il fallait éviter de marcher sur certaines dalles, il me semble.

— Ne vous inquiétez pas, dit Nijel qui fouilla des yeux la pénombre du tunnel. Ça m’étonnerait que je ne les repère pas, moi, les traquenards.

— Beaucoup d’expérience dans ce domaine, hein ? fit Rincevent avec aigreur.

— Ben, je connais le chapitre quatorze par cœur. Il a des illustrations », dit Nijel qui plongea dans l’obscurité.

Ils attendirent quelques minutes dans ce qui aurait été un silence horrifié sans les grognements assourdis ni les coups sourds qui sortaient de temps en temps du tunnel. Enfin, l’écho de la voix de Nijel leur parvint de loin.