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Les pessimistes remarquaient que les épisodes revenaient plus souvent et duraient plus longtemps.

En avril, nous avons eu un scintillement qui a duré trois jours et interféré avec la transmission des signaux aérostat. Il a provoqué une nouvelle vague (mais plus modeste) de suicides et tentatives de suicide, les gens paniquant moins à cause de ce qu’ils voyaient dans le ciel que de la panne de leurs téléphones et téléviseurs.

J’avais cessé de suivre les actualités de près, mais on ne pouvait ignorer certains événements : les revers militaires en Afrique du Nord et en Europe de l’Est, le renversement de culte au Zimbabwe, les suicides collectifs en Corée. Les apôtres de l’Islam apocalyptique avaient obtenu cette année-là d’excellents résultats électoraux en Algérie et en Égypte. Un culte philippin vénérant le souvenir de Wun Ngo Wen – transformé en saint pastoraliste, en Gandhi agraire – avait réussi à provoquer une grève générale à Manille.

J’ai aussi reçu quelques autres appels de Jason. Il m’a expédié un téléphone muni d’une espèce de pavé de cryptage intégré qui nous fournirait, affirmait-il, « une protection plutôt efficace contre les chasseurs de mots-clés ». J’ignorais ce qu’il entendait par là.

« Ça a l’air un peu parano, lui ai-je dit.

— Utilement parano, à mon avis. »

Peut-être, si nous voulions discuter de sujets touchant à la sécurité nationale. Ce qui n’était toutefois pas le cas, du moins au début. Jason m’interrogeait sur mon travail, ma vie, la musique que j’écoutais. Je comprenais qu’il essayait de susciter le genre de conversations que nous avions pu avoir vingt ou trente ans auparavant… avant Périhélie, voire avant le Spin. Il m’a raconté être allé rendre visite à sa mère. Carol passait toujours ses journées à boire. Rien n’avait changé. Carol avait insisté sur ce point. Le personnel de maison veillait à la propreté et à l’ordre des lieux. La Grande Maison ressemblait à une capsule témoin, m’a-t-il dit, comme si on l’avait fermée hermétiquement la nuit du Spin. Cela faisait un peu froid dans le dos.

Je lui ai demandé si Diane avait jamais appelé.

« Diane a cessé de parler à Carol avant que Wun se fasse tuer. Non, aucune nouvelle. »

Puis je l’ai interrogé sur le projet réplicateurs. Les journaux n’en avaient pas parlé depuis un certain temps.

« Ne cherche pas. Le JPL garde les résultats sous le coude. »

Il semblait malheureux. « C’est si mauvais ?

— Ce ne sont pas uniquement des mauvaises nouvelles. Du moins jusqu’à ces derniers temps. Les réplicateurs font tout ce que Wun espérait. C’est stupéfiant, Tyler. Absolument stupéfiant. J’aimerais pouvoir te montrer les cartes qu’on a générées. De grandes cartes logicielles de navigation. Presque deux cent mille étoiles, dans un halo spatial de plusieurs centaines d’années-lumière de diamètre. On en sait désormais davantage sur l’évolution stellaire et planétaire qu’un astronome de la génération d’E.D. n’aurait jamais pu l’imaginer.

— Mais rien sur le Spin ?

— Ce n’est pas ce que j’ai dit.

— Alors qu’avez-vous appris ?

— Déjà, que nous ne sommes pas seuls. Dans ce volume d’espace, nous avons trouvé trois planètes optiquement vierges d’une taille proche de celle de la Terre, dans des orbites qui sont ou ont été habitables selon les normes terriennes. La plus proche tourne autour d’Ursa Majoris 47. La plus lointaine…

— Je n’ai pas besoin des détails.

— Si l’on considère l’âge des étoiles en question, on peut vraisemblablement supposer que l’origine des Hypothétiques se situe quelque part dans la direction du centre galactique. On dispose aussi d’autres indicateurs. Les réplicateurs ont trouvé deux naines blanches – des étoiles mortes, en gros, mais qui ressemblaient au Soleil il y a quelques milliards d’années –, autour desquelles tournent des planètes rocheuses qui n’auraient jamais dû survivre à la dilatation du Soleil.

— Des survivants du Spin ?

— Possible.

— Ces planètes sont-elles vivantes, Jase ?

— On ne peut pas vraiment savoir. Mais elles n’ont pas de membranes Spin pour les protéger, et leur environnement stellaire actuel est indéniablement hostile, selon nos normes.

— Ce qui veut dire ?

— Je n’en sais rien. Personne ne le sait. On pensait pouvoir effectuer des comparaisons plus significatives au fur et à mesure que le réseau des réplicateurs s’étendrait. En fait, ce que nous avons créé avec les réplicateurs, c’est un réseau neuronal à une échelle inimaginable. Ils communiquent entre eux à la manière des neurones, mais à travers les siècles et les années-lumière. C’est d’une beauté absolue, renversante. Un réseau plus grand que tout ce que l’humanité a jamais construit. Rassemblant des données, les sélectionnant, les archivant, nous les renvoyant…

— Qu’est-ce qui a mal tourné, alors ? »

Il a eu l’air blessé par mes paroles. « L’âge, peut-être. Tout vieillit, même les codes génétiques extrêmement bien protégés. Peut-être qu’ils évoluent sans plus tenir compte de nos instructions. Ou alors…

— Ouais, mais qu’est-ce qu’il s’est passé, Jase ?

— Les données diminuent. Les réplicateurs les plus éloignés de la Terre nous transmettent des informations fragmentaires et contradictoires. Ce qui peut avoir de nombreuses significations. S’ils meurent, cela peut provenir d’une erreur de conception. Sauf que certains des nœuds-relais en place depuis longtemps commencent eux aussi à se taire.

— Quelque chose les prend pour cible ?

— C’est une conclusion trop hâtive. Voici une autre interprétation. En lançant ces trucs dans le nuage d’Oort, nous avons créé une écologie interstellaire simple : glace, poussière et vie artificielle. Mais si nous n’étions pas les premiers ? Si l’écologie interstellaire n’était pas simple ?

— Tu veux dire qu’il y aurait d’autres genres de réplicateurs là-bas ?

— Possible. Dans ce cas, ils rivaliseraient avec les nôtres pour accaparer les ressources. Peut-être même s’utiliseraient-ils les uns les autres comme ressources. Nous pensions expédier nos réplicateurs dans un vide stérile. Mais il existe peut-être des espèces rivales, voire prédatrices.

— Jason… tu penses que quelque chose les mange ?

— Peut-être. »

Le scintillement a réapparu en juin et a duré presque quarante-huit heures avant de se dissiper.

En août, cinquante-six heures de scintillement, avec des problèmes intermittents de communication.

Personne n’a été surpris lorsque cela a recommencé fin septembre. J’ai passé la plus grande partie du premier soir les stores baissés, ignorant le ciel pour regarder un film que j’avais téléchargé la semaine précédente. Un vieux film, antérieur au Spin. Je l’ai regardé non pour son intrigue mais pour les visages, ceux de l’époque, ceux de gens n’ayant pas passé leur vie à redouter l’avenir. De gens qui, de temps en temps, parlaient de la lune et des étoiles sans ironie ni nostalgie.

Puis le téléphone a sonné.

Pas mon téléphone personnel, ni celui à cryptage expédié par Jase. J’ai reconnu aussitôt la mélodie à trois tons que je n’avais pourtant pas entendue depuis des années. Elle était perceptible mais faible… faible parce que j’avais laissé l’appareil dans la poche d’une veste accrochée dans le placard de l’entrée.

Il y a eu deux sonneries avant que j’arrive à récupérer le combiné et à dire « Allô ? »

En m’attendant à un faux numéro. En voulant entendre la voix de Diane. En le voulant et en le craignant.