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Après Blythe, après la désagréable épreuve des boutiques obscures et des bagarres à main nue autour des stations-service assiégées, la route s’est dégagée sous les étoiles étincelantes dans le ciel devenu plus sombre. Je pensais à cela lorsque le téléphone a trillé.

À fouiller dans ma poche tout en pressant la pédale de freins, j’ai failli sortir de la route, et le véhicule utilitaire qui me suivait m’a dépassé en klaxonnant.

« Tyler, a dit Simon.

— Donne-moi un numéro où te rappeler avant de raccrocher ou qu’on soit coupés, lui ai-je intimé sans lui laisser le temps de poursuivre. Afin que je puisse te joindre.

— Je ne suis pas censé faire ça. Je…

— Tu appelles d’un téléphone personnel ou de celui de la maison ?

— Plus ou moins personnel, un portable, on s’en sert juste localement. Je l’ai en ce moment, mais des fois c’est Aaron, alors…

— Je n’appellerai qu’en cas de nécessité.

— Eh bien. J’imagine que cela n’a pas vraiment d’importance. » Il m’a communiqué le numéro. « Mais tu as vu le ciel, Tyler ? Je suppose, vu que tu ne dormais pas. C’est la dernière nuit du monde, non ? »

J’ai pensé : Pourquoi me poses-tu la question à moi ? Simon vivait dans les derniers jours depuis maintenant trois décennies. Il aurait dû pouvoir répondre lui-même. « Parle-moi de Diane, ai-je dit.

— Je m’excuse pour cet appel-là. À cause, eh bien, de ce qu’il se passe.

— Comment va-t-elle ?

— C’est ce que je te dis. Cela n’a pas d’importance.

— Elle est morte ? »

Un long silence. Il a ensuite repris la parole d’un ton blessé. « Non. Non, elle n’est pas morte. Là n’est pas le propos.

— Elle flotte dans les airs en attendant l’Extase ?

— Tu n’es pas obligé d’insulter ma foi », a répondu Simon. (Et je n’ai pu m’empêcher de remarquer qu’il avait dit ma foi et non notre foi.)

« Parce que sinon, elle a peut-être encore besoin de soins médicaux. Est-elle toujours malade, Simon ?

— Oui, mais…

— Malade comment ? Quels symptômes ?

— Plus qu’une heure avant le lever du soleil, Tyler. Tu comprends sûrement ce que cela signifie.

— Je ne suis pas sûr du tout de ce que cela signifie. Et je suis sur la route. Je peux arriver au ranch avant l’aube.

— Oh… non, ça n’ira pas… non, je…

— Pourquoi pas ? Si c’est la fin du monde, pourquoi ne devrais-je pas être là ?

— Tu ne comprends pas. Ce n’est pas seulement la fin du monde. C’est aussi la naissance d’un nouveau.

— À quel point est-elle malade au juste ? Je peux lui parler ? »

La voix de Simon s’est mise à trembler. Un homme au bord du gouffre. Nous nous trouvions tous au bord du gouffre. « Elle peut juste chuchoter. Elle a du mal à respirer. Elle est faible. Elle a perdu beaucoup de poids.

— Depuis combien de temps est-elle dans cet état ?

— Je ne sais pas. Je veux dire, c’est arrivé petit à petit…

— Quand sa maladie est-elle devenue évidente ?

— Il y a des semaines. Ou peut-être… à y repenser… eh bien… des mois.

— A-t-elle reçu le moindre soin médical ? » Un silence. « Simon ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Cela ne semblait pas nécessaire.

— Cela ne semblait pas nécessaire ?

— Le pasteur Dan ne l’a pas autorisé. »

As-tu envoyé le pasteur Dan se faire foutre ? ai-je pensé. « J’espère qu’il a changé d’avis.

— Non…

— Parce que sinon, je vais avoir besoin de ton aide pour accéder à Diane.

— Ne fais pas ça, Tyler. Ce ne serait bon pour personne. »

Je cherchais déjà la sortie d’autoroute, dont je ne me rappelais que vaguement mais que j’avais indiquée sur la carte. Quitter l’autoroute pour rouler en direction d’une ciénaga complètement à sec sur une route sans nom du désert.

« Elle m’a demandé ? »

Un silence.

« Simon, elle m’a demandé ?

— Oui.

— Dis-lui que j’arrive au plus vite.

— Non, Tyler… Tyler, on est dans une situation difficile, au ranch, en ce moment. Tu ne peux pas débarquer comme ça. »

Des ennuis ? « Je croyais qu’un nouveau monde était en train de naître.

— De naître dans le sang », a répondu Simon.

Le matin et le soir

Je suis arrivé par la petite crête surplombant le ranch Condon, au sommet de laquelle je me suis garé hors de vue. Lorsque j’ai éteint les phares, j’ai vu à l’est dans le ciel la lueur annonciatrice de l’aube, les nouvelles étoiles noyées par un accroissement de luminosité qui n’augurait rien de bon.

C’est à ce moment-là que je me suis mis à trembler.

Sans pouvoir m’en empêcher. J’ai ouvert la portière, suis tombé hors de l’automobile et me suis relevé à force de volonté. La terre s’élevait hors de l’obscurité comme un continent perdu, collines brunes, pâturages négligés redevenus désertiques, longue pente douce jusqu’à la ferme. Mesquites et ocotillos tremblaient dans le vent. Je tremblais aussi. De peur : non du malaise intellectuel transi que nous éprouvions tous depuis le début du Spin mais d’une panique viscérale, d’une peur semblable à une maladie musculaire ou intestinale. Fin de séjour dans le quartier des condamnés à mort. Jour de remise des diplômes. Tombereau et potence en approche par l’est.

Je me suis demandé si Diane avait aussi peur que moi. Je me suis demandé si je pourrais la réconforter. S’il restait un tant soit peu de consolation en moi.

Il y a eu une nouvelle bourrasque, qui a balayé de sable et de poussière la route sur la crête desséchée. Peut-être le vent était-il le premier annonciateur du soleil boursouflé, un vent venu de la partie brûlante du monde.

Je me suis accroupi à un endroit où j’espérais qu’on ne pourrait pas me voir et j’ai réussi, malgré mes tremblements, à composer le numéro de Simon sur le clavier du téléphone.

« Tu ne devrais pas faire ce que tu es en train de faire, a-t-il dit.

— J’interromps l’Extase ?

— Je ne peux pas parler.

— Où est-elle, Simon ? Dans quelle partie de la maison ?

— Mais toi, es-tu ?

— Juste en haut de la colline. » Le ciel désormais plus lumineux s’éclaircissait seconde après seconde, contusion pourpre à l’est sur l’horizon. Je voyais très bien la ferme. Elle n’avait guère changé depuis ma visite, quelques années plus tôt. La grange à l’écart semblait un peu rafraîchie, comme si on l’avait réparée et blanchie à la chaux.

Beaucoup plus dérangeant, on avait creusé, parallèlement à la grange, une tranchée désormais recouverte d’un monticule de terre.

Peut-être une canalisation d’égout d’installation récente. Ou une fosse septique. Ou une fosse commune.

« Je viens la voir, ai-je affirmé.

— Ce n’est tout simplement pas possible.

— Je suppose qu’elle se trouve à l’intérieur. Dans une des chambres du dernier étage. Correct ?

— Même si tu la vois…