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« Désolé pour ce qu’il t’est arrivé, a-t-il dit. Mais je t’avais prévenu.

— Où es-tu ? Dans la grange ou la maison ? »

Un temps d’arrêt. « La maison.

— J’ai eu beau regarder toute la journée, je n’ai vu ni la femme de Condon, ni celle de Sorley, ni leurs enfants. Ni McIsaac et sa famille, d’ailleurs. Que leur est-il arrivé ?

— Ils sont partis.

— Tu en es sûr ?

— Si j’en suis sûr ? Évidemment ! Diane n’a pas été la seule malade. Juste la dernière. C’est la petite fille de Teddy McIsaac qui est tombée malade la première. Puis son fils, puis Teddy lui-même. Quand il s’est aperçu que ses gamins étaient… eh bien, tu sais, manifestement vraiment malades, et qu’ils ne guérissaient pas, il les a mis dans son camion et il est parti. La femme du pasteur Dan les a accompagnés.

— C’est arrivé quand ?

— Il y a deux mois. La femme et les enfants d’Aaron sont partis d’eux-mêmes peu après. Leur foi les avait abandonnés. Et ils avaient peur d’attraper quelque chose.

— Tu les as vus partir ? Tu en es certain ?

— Eh bien, oui, pourquoi tu me demandes ça ?

— Cette tranchée près de la grange, on dirait vraiment qu’il y a quelque chose d’enterré dessous.

— Oh, ça ! Eh bien, tu as raison, on a enterré quelque chose à cet endroit : le mauvais bétail.

— Pardon ?

— Il y a là-haut dans la Sierra Bonita un grand ranch appartenant à un certain Boswell Geller. Un ami du Tabernacle du Jourdain avant le remaniement. Un ami du pasteur Dan. Il élevait des génisses rouges, mais le ministère de l’Agriculture a ouvert une enquête en fin d’année dernière. Juste au moment où il progressait ! Boswell et le pasteur Dan voulaient élever à eux deux toutes les variétés de bétail rouge du monde, parce que cela représenterait la conversion des Gentils. C’est de cela que parle le chapitre 19 du livre des Nombres, d’après le pasteur Dan : une génisse d’un rouge sans défaut née à la fin des temps, d’élevages de tous les continents, partout où on a prêché l’Évangile. Le sacrifice est à la fois littéral et symbolique. Dans le sacrifice biblique, les cendres de la génisse ont le pouvoir de nettoyer une personne corrompue. Mais à la fin du monde, le soleil brûle la génisse et les cendres sont dispersées aux quatre points cardinaux, nettoyant la Terre entière, la nettoyant de la mort. C’est ce qu’il se passe en ce moment. Hébreux, chapitre 9 : “Car si du sang de boucs et de taureaux, et de la cendre de génisse, les sanctifient en leur procurant la pureté de la chair, combien davantage le sang du Christ purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes afin que nous servions le Dieu vivant ? ” Alors évidemment…

— Vous gardiez ce bétail ici ?

— Seulement quelques têtes. Cinq reproductrices sorties clandestinement avant que le ministère de l’Agriculture puisse les récupérer.

— C’est à ce moment-là que les gens ont commencé à tomber malades ?

— Pas seulement les gens. Le bétail aussi. Nous avons creusé cette tranchée près de la grange pour les enterrer, tous, sauf trois du cheptel d’origine.

— Faiblesse, démarche chancelante, perte de poids précédant la mort ?

— Oui, en gros… comment le sais-tu ?

— Ce sont les symptômes du SDCV. Les vaches étaient porteuses. Voilà ce qui ne va pas chez Diane. »

S’en est suivi un long silence. Puis Simon a dit : « Je ne peux pas poursuivre cette conversation avec toi.

— Je suis en haut dans la chambre du fond…

— Je sais où tu es.

— Alors viens ouvrir la porte.

— Je ne peux pas.

— Pourquoi ? On te surveille ?

— Je ne peux tout simplement pas te libérer. Je ne devrais même pas te parler. Je suis occupé, Tyler. Je prépare le dîner de Diane.

— Il lui reste assez de forces pour manger ?

— Un peu… si je l’aide.

— Laisse-moi sortir. Personne n’a besoin de le savoir.

— Impossible.

— Elle a besoin d’un médecin.

— Je ne pourrais pas te libérer même si je le voulais. C’est frère Aaron qui a les clefs. »

J’y ai réfléchi. Puis j’ai dit : « Alors pourquoi ne pas apporter son dîner à Diane et lui laisser le téléphone ? Le tien ? Tu as dit qu’elle voulait me parler, non ?

— Elle ne pense pas la moitié des choses qu’elle dit.

— Tu crois que c’était le cas ?

— Je ne peux pas te parler plus longtemps.

— Laisse-lui juste le téléphone, Simon. Simon ? »

Le silence.

Je suis allé à la fenêtre, où j’ai regardé et attendu.

J’ai vu le pasteur Dan aller de la grange à la maison avec deux seaux vides puis en repartir avec deux seaux pleins et fumants. Quelques minutes plus tard, Aaron Sorley est allé le rejoindre.

Ce qui ne laissait que Simon et Diane dans la maison. Peut-être lui donnait-il son dîner. La nourrissait-il.

Cela me démangeait d’utiliser le téléphone, mais j’avais résolu d’attendre, de laisser les choses se calmer, la chaleur se dissiper dans la nuit.

J’ai observé la grange. Une vive lumière se déversait par les interstices des parois, comme si quelqu’un avait installé une rangée de lumières industrielles. Condon avait effectué des allers-retours toute la journée. Il se passait quelque chose dans la grange. Simon n’avait pas dit quoi.

Une heure s’est écoulée à la faible luminosité de ma montre.

Puis j’ai entendu, vaguement, un bruit qui ressemblait à une porte en train de se fermer, suivi de pas dans l’escalier, et quelques secondes plus tard, j’ai vu Simon gagner la grange.

Il n’a pas levé la tête.

Et il n’est pas ressorti de la grange. Il s’y trouvait avec Sorley et Condon, et s’il avait gardé le téléphone, en étant assez idiot pour le régler sur une sonnerie audible, l’appeler pourrait le mettre en danger.

Encore que le bien-être de Simon ne m’importait pas vraiment.

En revanche, s’il avait laissé le téléphone à Diane, c’était le moment.

J’ai composé le numéro.

« Oui », a-t-elle dit – c’est bien Diane qui a répondu – puis, avec une modulation indiquant une question. « Oui ? »

Elle parlait d’une voix faible, essoufflée. Ses deux syllabes suffisaient pour avancer un diagnostic.

« Diane, c’est moi. Tyler. »

J’essayais de contrôler les battements furieux de mon cœur : on aurait dit qu’une porte venait d’être ouverte dans mon torse.

« Tyler, a-t-elle dit. Ty… Simon m’a dit que tu appellerais peut-être. »

J’ai dû tendre l’oreille pour comprendre ce qu’elle disait. Ses mots n’avaient pas de force, venaient de la gorge et de la langue, pas de la poitrine. Ce qui correspondait à l’étiologie du SDCV. La maladie affectait d’abord les poumons, puis le cœur, en une attaque coordonnée d’une efficacité quasi militaire. Le tissu pulmonaire lésé et œdémateux transmettait moins d’oxygène au cœur, celui-ci, privé d’oxygène, pompait le sang avec moins d’efficacité. Les bactéries du SDCV exploitaient ces deux faiblesses et s’enfonçaient plus profondément dans le corps à chacune des laborieuses respirations.

« Je ne suis pas loin, ai-je dit. Je suis vraiment tout près, Diane.

— Tout près. Je peux te voir ? »

J’ai voulu creuser un trou dans le mur. « Bientôt. Promis. Il faut qu’on te sorte de là. Qu’on te trouve de l’aide. Qu’on te retape. »

J’ai entendu plusieurs inhalations angoissées et me suis demandé si elle avait cessé de me prêter attention. Puis elle a dit : « J’ai cru voir le soleil…