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— Ce n’est pas la fin du monde. Pas encore, du moins.

— Ah bon ?

— Non.

— Simon.

— Oui ?

— Il va être tellement déçu.

— Tu souffres du SDCV, Diane. C’est presque à coup sûr ce qu’avait la famille McIsaac. Ils ont eu la sagesse de se faire soigner. C’est une maladie curable. » Je n’ai pas ajouté jusqu’à un certain point ou tant que la maladie n’a pas atteint son stade terminal. « Mais il faut qu’on te sorte d’ici.

— Tu m’as manqué.

— Toi aussi. Tu comprends ce que je dis ?

— Oui.

— Tu es prête à partir ?

— Si le moment vient…

— Il est tout proche. Repose-toi, en attendant. Mais il faudra peut-être se dépêcher. Tu comprends, Diane ?

— Simon, a-t-elle dit d’une voix éteinte. Il sera si déçu.

— Tu te reposes, et je…»

Mais je n’ai pas eu le temps de terminer.

Une clé a cliqueté dans la serrure. J’ai refermé le téléphone que j’ai fourré dans ma poche. La porte s’est ouverte sur Aaron Sorley, un fusil à la main, essoufflé comme s’il avait monté les escaliers en courant. Sa silhouette se découpait sur la vague lumière du couloir.

J’ai reculé jusqu’à avoir les épaules plaquées au mur.

« Votre plaque d’immatriculation dit que vous êtes médecin, a-t-il lancé. C’est vrai ? »

J’ai hoché la tête.

« Alors suivez-moi. »

Sorley m’a fait descendre les escaliers puis sortir par la porte de derrière et gagner la grange.

Plus marquée et plus petite que dans mon souvenir, la lune, teintée d’ambre par la lumière du soleil gibbeux, s’était élevée à l’est au-dessus de l’horizon. L’air nocturne m’enivrait presque de sa fraîcheur. Je l’ai inspiré à fond. Le soulagement a duré jusqu’à ce que Sorley ouvre tout grand la porte de la grange, permettant à une grossière puanteur animale d’en jaillir : une odeur d’abattoir mêlant sang et excréments.

« Entrez », a dit Sorley en me poussant de sa main libre.

La lumière provenait d’une grosse ampoule aux halogénures suspendue par son fil au-dessus d’une stalle ouverte. Un groupe électrogène cliquetait dans une enceinte quelque part à l’arrière, évoquant un motocycliste emballant au loin le moteur de sa machine.

Debout à l’extrémité ouverte de l’enclos, Dan Condon plongeait les mains dans un seau d’eau fumante. Il a levé les yeux à notre entrée. Il a froncé les sourcils, son visage était d’une géographie austère sous l’unique source de lumière, mais m’a paru moins intimidant que dans mon souvenir. Il semblait même diminué, décharné, voire malade, dans les prémices du SDCV. « Referme cette porte », a-t-il ordonné.

Aaron a repoussé le battant. À quelques pas de Condon, Simon me décochait des regards nerveux.

« Approchez, a dit Condon. Nous avons besoin de votre aide. Et peut-être de vos compétences médicales. »

Dans l’enclos, sur une litière de paille crasseuse, une maigre génisse essayait de vêler.

Elle était allongée, sa croupe osseuse sortant de la stalle, avec la queue attachée au cou par un bout de ficelle afin de ne pas gêner. Son sac amniotique saillait de sa vulve, et des mucosités ensanglantées tachaient la paille entourant l’animal.

« Je ne suis pas vétérinaire, ai-je lancé.

— Je sais », a répliqué Condon, une hystérie réprimée dans le regard, celui d’un homme qui a organisé une fête mais la voit lui échapper, les invités perdant la tête, les voisins se plaignant, les bouteilles d’alcool volant par les fenêtres comme des obus de mortiers. « Mais nous avons besoin de deux autres mains. »

Tout ce que je savais sur le bétail et le vêlage, je le tenais des histoires que m’avait racontées Molly Seagram sur la vie dans la ferme de ses parents. Aucune de ces histoires n’avait été spécialement agréable. Au moins Condon s’était-il équipé de ce que je me souvenais être les ustensiles de base : de l’eau chaude, du désinfectant, des chaînes obstétriques et un grand flacon d’huile minérale, déjà taché d’empreintes de main sanglantes.

« C’est un croisement d’angeln, de rouge danoise et de rouge bélarusse, pour ne parler que de sa lignée récente, m’a informé Condon. Mais les croisements augmentent les risques de dystocie. C’est ce que disait frère Geller. Le mot “dystocie” signifie “accouchement difficile”. Les hybrides ont souvent du mal à vêler. Elle est en travail depuis presque quatre heures. Il faut extraire le fœtus. »

Cordon a prononcé tout cela d’une voix monotone et distante, comme quelqu’un donnant un cours à une classe d’imbéciles. Mon identité ou la manière dont j’étais arrivé là semblait n’avoir aucune importance, seule comptait ma disponibilité, la possibilité pour moi de l’aider.

« Il me faut de l’eau, ai-je dit.

— Il y a un seau pour se nettoyer.

— Je ne parlais pas de cela. Je n’ai rien eu à boire depuis hier soir. »

Condon a marqué un temps d’arrêt comme pour traiter l’information. Il a ensuite hoché la tête. « Simon. Occupe-t’en. »

Simon semblait le garçon de course du trio. Il a baissé la tête en disant : « Je vais aller te chercher à boire, Tyler, pas de problème » avant, sans cesser un instant de fuir mon regard, de sortir par la porte que Sorley venait de lui rouvrir.

Condon s’est retourné vers l’enclos à bétail dans lequel haletait la génisse épuisée, les flancs ornés de mouches très occupées. Deux d’entre elles se sont retrouvées sur les épaules de Condon sans qu’il s’en aperçoive. Il a inondé ses mains d’huile minérale et s’est accroupi pour élargir la vulve de la génisse, le visage tordu en un mélange d’enthousiasme et de dégoût. Mais à peine avait-il commencé que le veau s’est présenté dans un autre flot de sang et de fluides, la tête émergeant à peine malgré les contractions désespérées de la génisse. Le veau était trop gros. Molly m’avait parlé de ce problème… moins gênant qu’une présentation par le siège ou un blocage au flanc, mais difficile à gérer.

Cela n’arrangeait rien que la génisse soit manifestement malade, bavant un mucus verdâtre et peinant à respirer même lorsque les contractions se calmaient. Je me suis demandé si je devais en toucher un mot à Condon ou pas. Son veau divin était tout aussi manifestement contaminé.

Mais le pasteur Dan n’en savait rien ou ne s’en souciait pas. Condon était tout ce qu’il restait de l’aile dispensationnaliste du Tabernacle du Jourdain, une Église à lui tout seul, réduite à deux paroissiens, Sorley et Simon, et je ne pouvais qu’imaginer à quel point sa foi avait dû être solide pour le soutenir jusqu’à la fin du monde. Il a dit de cette même voix d’hystérie refrénée : « Le veau, le veau est rouge… Aaron, regarde le veau. »

Le fusil à la main, Aaron Sorley s’est éloigné de la porte pour venir regarder dans l’enclos. Le veau était en effet rouge. Couvert de sang. Et atone.

« Il respire ? a demandé Sorley.

— Il le fera », a affirmé Condon. Il semblait absorbé, comme s’il savourait l’instant, ce moment qu’il prenait sincèrement pour le pivot grâce auquel le monde accéderait à l’éternité. « Mettez les chaînes autour des paturons, vite. »

Sorley m’a jeté un regard qui valait aussi avertissement – ne vous avisez pas de dire un putain de mot – et nous avons suivi les instructions, nous activant au point d’avoir du sang jusqu’aux coudes. La mise bas d’un veau trop gros est à la fois brutale et absurde, mélange de biologie et de force brute. Elle nécessite au moins deux hommes d’une force raisonnable pour tirer sur les chaînes obstétriques. Ces tractions devaient être synchronisées avec les contractions de la mère si on ne voulait pas risquer de l’éviscérer.