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Il a grimacé en entendant ce qu’il considérait, j’ai dû me le rappeler, comme un blasphème. « C’est tout ce que j’ai pu trouver. »

Et ni bols ni cuillères. Mais j’avais aussi faim que sommeil. J’ai dit à Simon qu’il fallait laisser le moteur refroidir, et nous en avons profité pour nous asseoir à l’ombre de la voiture aux vitres baissées, dans la brise mordante venue du désert, avec le soleil accroché dans le ciel comme en plein midi à la surface de Mercure. En guise de tasses, nous avons découpé des fonds de bouteilles de plastique vides dans lesquels nous avons mangé des Cheerios humidifiés à l’eau tiède. Cela avait l’air (et le goût) de gélatine.

J’ai donné à Simon les instructions pour l’étape suivante, lui ai rappelé de brancher la climatisation une fois en mouvement, et lui ai ordonné de me réveiller s’il voyait le moindre ennui devant nous sur la route.

Puis je me suis occupé de Diane. L’intraveineuse et les antibiotiques semblaient lui avoir redonné des forces, mais juste un peu. Elle a ouvert les yeux et prononcé mon nom après que je lui ai fait boire un peu d’eau. Elle a accepté quelques cuillerées de Cheerios mais a détourné la tête ensuite. Elle avait les joues creuses, le regard apathique et distrait.

« Tiens le coup, ai-je dit. Accroche-toi encore un peu, Diane. » J’ai ajusté son goutte-à-goutte. Je l’ai aidée à se redresser, les jambes hors de la voiture, pour expulser un peu d’urine brunâtre. Puis je l’ai essuyée et lui ai échangé sa culotte sale contre un slip en coton propre pris dans ma valise.

Lorsqu’elle a été réinstallée confortablement, j’ai fourré une couverture dans l’interstice séparant les sièges avant et arrière afin d’avoir un endroit où m’étendre sans la déranger. Simon n’avait sommeillé que brièvement pendant que je conduisais, il devait être aussi épuisé que moi… mais il n’avait pas pris de coup de crosse. L’endroit frappé par frère Aaron était enflé et j’entendais des bourdonnements dès que je posais les doigts à proximité.

Simon a observé tout cela à quelques mètres de distance avec une expression boudeuse, peut-être même jalouse. Lorsque je l’ai appelé, il a hésité et regardé le désert salant d’un air de regret, les yeux plongés au cœur de rien du tout.

Puis il est revenu à grandes foulées, s’est baissé et installé au volant.

Je me suis serré dans ma niche derrière les sièges avant. Diane semblait inconsciente mais avant de m’endormir, j’ai senti sa main presser la mienne.

Quand je me suis réveillé, il faisait nuit à nouveau et Simon s’était arrêté pour changer de place avec moi.

Je suis descendu de voiture pour m’étirer. J’avais toujours des élancements dans la tête et ma colonne vertébrale me donnait l’impression de s’être coincée dans une déformation gériatrique définitive, mais j’étais plus éveillé que Simon, qui s’est traîné à l’arrière où il s’est aussitôt endormi.

J’ignorais où nous étions, sinon en train de rouler vers l’est sur l’I-40, dans un paysage moins aride, des champs irrigués s’étendant de chaque côté de la route sous l’éclat cramoisi de la lune. Je me suis tout d’abord assuré que Diane était bien installée et respirait sans problème, puis j’ai laissé les portières avant et arrière ouvertes quelques minutes pour évacuer les mauvaises odeurs, la puanteur de maladie mêlée à un soupçon de sang et d’essence. Ensuite, je me suis mis au volant.

Les étoiles au-dessus de la route étaient d’une rareté désespérante et impossibles à identifier. J’ai pensé à Mars. Était-elle toujours entourée d’une membrane Spin ou avait-elle, comme la Terre, retrouvé sa liberté ? Mais je ne savais pas où regarder dans le ciel et même si j’avais su, je ne pense pas que cela m’aurait permis de répondre. En revanche j’ai vu – je n’ai pas pu m’en empêcher – l’énigmatique ligne argentée que Simon m’avait montrée en Arizona, celle que j’avais prise pour une traînée de condensation. On la voyait encore mieux, ce soir-là. De l’horizon à l’ouest, elle avait migré presque jusqu’au zénith, et la courbe peu accentuée était devenue un ovale, une lettre O aplatie.

Le ciel que je regardais était trois milliards d’années plus âgé que celui que j’avais vu pour la dernière fois sur la pelouse de la Grande Maison. J’ai pensé qu’il pouvait abriter toutes sortes de mystères.

Une fois en mouvement, j’ai essayé la radio de bord, restée complètement muette depuis la nuit précédente. Je n’ai rien capté de numérique, mais j’ai fini par trouver une station locale sur la bande FM – le genre de station de petite ville consacrée en général à la musique country et au christianisme, mais qui ne diffusait ce soir-là que des paroles. J’ai beaucoup appris avant que le signal finisse par se fondre dans le bruit.

J’ai appris, déjà, que nous avions bien fait d’éviter les grandes villes, devenues zones sinistrées… non à cause du pillage et de la violence (il y en avait eu étonnamment peu) mais de l’effondrement catastrophique des infrastructures. L’ascension du soleil rouge avait tellement ressemblé à la mort de la Terre, prédite depuis si longtemps, que beaucoup de gens étaient tout simplement restés chez eux pour mourir avec leur famille, si bien que les centres urbains se sont retrouvés avec des effectifs minimaux dans la police et les pompiers, et un manque cruel de personnel dans les hôpitaux. La minorité ayant cherché à mourir par l’intermédiaire d’armes à feu ou de doses excessives d’alcool, de cocaïne, d’OxyContin ou d’amphétamines, avait involontairement provoqué les problèmes les plus immédiats en laissant allumé leur four à gaz, en perdant conscience au volant ou en lâchant leur cigarette au moment de rendre l’âme. Lorsque la moquette commençait à fumer ou que les rideaux s’embrasaient, personne n’appelait les secours, et dans bien des cas, il n’y avait personne pour répondre à ces appels. Les incendies domestiques s’étaient rapidement étendus à tous les quartiers.

Quatre grandes volutes de fumée montaient au-dessus d’Oklahoma City, d’après le présentateur du journal, et les rapports téléphoniques affirmaient que la plus grande partie du sud de Chicago était déjà réduite en cendres. Chaque grande ville du pays – du moins celles dont on recevait des nouvelles – annonçait au moins un ou deux grands incendies hors de contrôle.

Mais la situation s’améliorait, au lieu de se détériorer. Dans la journée, il avait commencé à sembler possible que l’espèce humaine puisse survivre au moins encore quelques jours, si bien qu’un plus grand nombre de pompiers et autres employés des services essentiels avaient regagné leur poste. (L’inconvénient étant que les gens commençaient à s’inquiéter de leur réserve de provisions, d’où un accroissement des pillages d’épiceries.) On préconisait à toute personne non indispensable de ne pas encombrer les routes – ce message, déjà transmis avant l’aube sur le système de diffusion d’urgence et par chaque station radio ou chaîne de télé encore en fonctionnement, se voyait répété ce soir-là. Voilà pourquoi la circulation avait été plutôt clairsemée sur l’interstate. J’avais croisé quelques patrouilles militaires ou policières, mais sans qu’aucune ne nous porte le moindre intérêt, sans doute à cause de mes plaques d’immatriculation – comme la plupart des États, la Californie avait entrepris, après le premier scintillement, de fournir des autocollants de plaque « Urgence médicale » à tous les médecins.

Les actions de police restaient sporadiques. L’armée régulière n’avait pas vraiment souffert, malgré quelques désertions, mais les unités de réserve et celles de la garde nationale avaient perdu l’essentiel de leurs effectifs et ne pouvaient pas remplacer les autorités locales. Le courant électrique était tout aussi sporadique, la plupart des centrales manquant de personnel pour assurer un fonctionnement normal, et des pannes électriques commençaient à se répandre sur le réseau. La rumeur voulait que deux centrales nucléaires aient frôlé la fusion définitive, celles de San Onofre en Californie et de Pickering au Canada, mais ces incidents n’avaient pas été confirmés.