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La radio a ensuite listé les dépôts de nourriture locaux désignés et les hôpitaux encore ouverts (avec le temps d’attente estimé pour le triage), puis conseillé ses auditeurs sur la manière d’effectuer les premiers soins à domicile. Elle a enchaîné avec un avis de la météorologie nationale déconseillant toute exposition prolongée au soleil. Sa lumière ne semblait pas instantanément mortelle, mais un niveau excessif d’ultraviolets pouvait provoquer « des problèmes à long terme », comme elle a dit, ce qui m’a paru aussi triste que drôle.

J’ai capté d’autres émissions de radio ici ou là, mais le soleil les a toutes noyées de bruit dès son lever.

L’aube, nuageuse, m’a permis de ne pas conduire directement dans l’éclat du soleil, mais même ce lever voilé était d’une étrangeté intimidante. Toute la moitié orientale du ciel s’est transformée en bouillon de lumière rouge, aussi envoûtant à sa manière que les braises d’un feu de camp à l’agonie. De temps en temps, les nuages s’entrouvraient pour laisser des doigts de lumière ambre venir sonder la terre. Mais à midi, la couverture nuageuse s’était épaissie et la pluie s’est mise à tomber moins d’une heure plus tard : une pluie brûlante, sans vie, qui a recouvert l’autoroute et reflété les couleurs malsaines du ciel.

Ce matin-là, j’avais vidé le dernier jerrycan d’essence dans le réservoir, et quelque part entre Cairo et Lexington, l’aiguille de la jauge a commencé à donner d’inquiétants signes de faiblesse. J’ai réveillé Simon à qui j’ai expliqué le problème en précisant que je m’arrêterai à la prochaine station-service… puis à la suivante, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on en trouve une qui nous vende de l’essence.

La première station était une petite franchise familiale de quatre pompes située à cinq cents mètres de l’autoroute. La partie supérette n’était pas éclairée et les pompes sans doute mortes, mais je m’y suis quand même arrêté, je suis descendu de voiture et j’ai décroché un pistolet.

Un homme coiffé d’une casquette Bengals et tenant un fusil de chasse au creux du coude est arrivé de derrière le bâtiment. « Marche pas », a-t-il annoncé.

J’ai raccroché le pistolet. « Plus d’électricité ?

— Exact.

— Pas de générateur de secours ? »

Il a haussé les épaules et s’est approché. Simon a commencé à descendre de voiture, mais je lui ai fait signe de rester à l’intérieur. L’homme en casquette Bengals – la trentaine et quinze kilos de trop – a regardé le goutte-à-goutte accroché au siège arrière avant de jeter un coup d’œil à ma plaque d’immatriculation. C’était une plaque californienne, ce qui n’a sans doute pas ajouté à mon crédit, mais l’autocollant « Urgence médicale » était tout à fait visible. « Vous êtes docteur ?

— Tyler Dupree. Généraliste.

— Excusez-moi de ne pas vous serrer la main. C’est votre femme, à l’arrière ? »

J’ai répondu oui, c’était plus simple qu’une explication. Simon m’a jeté un coup d’œil, mais ne m’a pas contredit.

« Vous avez des papiers prouvant que vous êtes médecin ? Parce que sans vouloir vous offenser, il y a eu pas mal de voitures volées ces deux derniers jours. »

J’ai sorti mon portefeuille que j’ai jeté à ses pieds. Il l’a ramassé et ouvert sur ma carte d’identité. Il a ensuite sorti des lunettes de sa poche de poitrine avant de regarder à nouveau. Il a fini par me rendre le portefeuille et me tendre la main. « J’espère que vous ne m’en voulez pas, Dr Dupree. Je m’appelle Chuck Bernelli. Si c’est juste d’essence dont vous avez besoin, je vais rebrancher les pompes. S’il vous faut autre chose, ça ne me prendra qu’une minute pour ouvrir le magasin.

— J’ai besoin d’essence. Des vivres, ce serait bien, mais je n’ai pas beaucoup de liquide sur moi.

— Au diable le liquide. Nous sommes fermés pour les criminels et les ivrognes, et la route n’en manque pas en ce moment, mais ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour l’armée et la police des autoroutes. Et les médecins. Du moins tant qu’il nous reste de l’essence. J’espère que votre femme n’est pas trop gravement atteinte.

— Ça ira si je peux arriver à destination.

— L’hôpital Lexington V.A. ? Ou le Samaritan ?

— Un peu plus loin que ça. Elle a besoin de soins spéciaux. »

Il a jeté un nouveau coup d’œil à la voiture. Simon avait baissé les vitres pour laisser entrer de l’air frais. La pluie s’écrasait sur le véhicule poussiéreux et l’asphalte aux flaques huileuses. Voyant Diane se retourner et tousser dans son sommeil, Bernelli a froncé les sourcils.

« Bon, je vais rebrancher les pompes. Vous n’avez pas de temps à perdre. »

Nous sommes repartis avec un peu d’épicerie qu’il avait réunie pour nous : quelques conserves de soupe, une boîte de biscuits salés, un ouvre-boîtes sous son blister en plastique. Mais il n’a pas voulu approcher de la voiture.

La toux déchirante et intermittente constitue un des symptômes habituels du SDCV. La bactérie se montre presque rusée dans sa manière de préserver ses victimes, d’éviter de les plonger dans une pneumonie catastrophique, même si c’est par ce moyen qu’elle finit par les tuer… ou par une grosse insuffisance cardiaque. J’avais pris une bonbonne d’oxygène, un robinet de purge et un masque chez le grossiste de la banlieue de Phœnix, et quand Diane a commencé à trop tousser pour arriver à respirer – au bord de la panique, elle se noyait dans ses expectorations et roulait des yeux – j’ai dégagé du mieux que je pouvais ses voies respiratoires avant de lui maintenir le masque à oxygène sur le nez et la bouche pendant que Simon conduisait.

Elle a fini par se calmer et retrouver des couleurs, ce qui lui a permis de se rendormir. Je suis resté avec elle pendant qu’elle se reposait, sa tête fiévreuse nichée sur mon épaule. La pluie, désormais déluge incessant, nous ralentissait. De grandes gerbes d’eau jaillissaient dans notre sillage à chaque creux de la route. Le soir venu, la lumière s’est réduite à des charbons ardents sur l’horizon.

Il n’y avait d’autre bruit que le martèlement de la pluie sur le toit, et je me suis contenté de l’écouter jusqu’à ce que Simon s’éclaircisse la gorge pour demander : « Tu es athée, Tyler ?

— Pardon ?

— Je ne veux pas me montrer grossier, mais je me demandais si tu te considérais comme athée ? »

Je ne savais pas trop de quelle manière répondre. Simon avait été utile – indispensable – pour nous conduire aussi loin. Mais il avait aussi attelé son wagon intellectuel à une équipe de dispensationnalistes extrémistes pour qui la fin du monde ne posait d’autre problème que de défier leurs espoirs très précis. Je ne voulais pas l’offenser : j’avais encore besoin de lui… Diane avait encore besoin de lui.

« Quelle importance, la manière dont je me considère ? ai-je donc répondu.

— Simple curiosité.

— Eh bien… je ne sais pas. J’imagine que c’est ma réponse. Je n’affirme pas savoir si Dieu existe ou pourquoi Il a remonté le ressort de l’univers pour le faire tournoyer de cette manière. Désolé, Simon. Je n’ai rien de mieux à te proposer sur le plan théologique. »