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Les informations en provenance d’Europe et d’Asie, fragmentaires, parlaient surtout des crises immédiates, mais quelques histoires similaires avaient filtré. (« À noter, disait l’exemplaire d’Emil Hardy, que les réseaux d’information câblés, s’ils ne fonctionnent que par intermittence, diffusent des vidéos venues d’Inde montrant un phénomène similaire à plus large échelle. » Quoi que cela voulait dire.)

Diane s’est éveillée quelques instants pendant que je me trouvais à ses côtés.

« Tyler », a-t-elle dit.

Je lui ai pris la main. Celle-ci était sèche et d’une chaleur bizarre.

« Je suis désolée, a-t-elle ajouté.

— Tu n’as pas à être désolée de quoi que ce soit.

— Je suis désolée que tu sois obligé de me voir dans cet état.

— Tu commences à aller mieux. Cela va peut-être prendre du temps, mais tu t’en sortiras. »

Elle avait la voix aussi douce que le bruit d’une feuille en train de tomber. Elle a inspecté la pièce du regard et l’a reconnue. Ses yeux se sont écarquillés. « Je suis là !

— Tu es là.

— Redis mon nom.

— Diane, ai-je obéi. Diane. Diane. »

Diane était gravement malade, mais c’était Jason qui mourait. Il me l’a dit quand je suis retourné le voir.

Il n’avait rien mangé de la journée, d’après Carol. Il avait bu de l’eau glacée à la paille mais refusé tout autre liquide. Il n’arrivait presque plus à bouger. Lorsque je lui ai demandé de lever le bras, il a obtempéré, mais avec un effort si intense et une telle lenteur léthargique que je le lui ai fait baisser. Seule sa voix restait forte, mais il s’attendait à ce que cela ne dure pas non plus. « Si cela se passe comme hier soir, je serai incohérent jusqu’à l’aube. Demain, qui sait ? Je veux parler tant que je le peux encore.

— Y a-t-il une raison que ton état empire la nuit ?

— Une raison toute simple, je pense. On en reparlera. Je veux d’abord que tu fasses quelque chose pour moi. J’avais posé ma valise sur la commode. Elle y est toujours ?

— Toujours.

— Ouvre-la. J’y ai mis un enregistreur audio. Sors-le-moi. »

J’ai trouvé un rectangle d’acier brossé de la taille d’un paquet de cartes à côté d’une pile d’enveloppes en papier manille adressées à des personnes dont le nom ne m’a rien dit. « Ça ? » ai-je demandé avant de me maudire : il ne voyait pas, bien entendu.

« Si la marque est Sony, alors c’est ça. Il devrait y avoir des mémoires vierges dessous.

— Ouaip, trouvé.

— Bon, on va discuter. Jusqu’à ce qu’il fasse noir, et peut-être même un peu après. Et je veux que tu laisses cet enregistreur en marche. Quoi qu’il arrive. Change la mémoire quand il y en a besoin, ou la pile quand elle donne des signes de faiblesse. Fais ça pour moi, d’accord ?

— Tant que Diane n’a pas besoin de soins urgents. Tu veux commencer quand ? »

Il a tourné la tête. Ses pupilles tachetées de losanges ont scintillé dans l’étrange lumière.

« Tout de suite ne serait pas trop tôt », a-t-il répondu.

Ars moriendi

Les Martiens, m’a dit Jason, n’étaient pas, comme Wun nous avait conduits à le croire (ou laissés croire), un peuple simple, pacifique et pastoral.

Ils n’avaient certes rien de particulièrement belliqueux, les Cinq Républiques ayant réglé leurs différends politiques depuis presque un millénaire, et ils étaient « pastoraux » dans le sens qu’ils consacraient l’essentiel de leurs ressources à l’agriculture. Mais on ne pouvait les dire « simples » dans aucun des sens de ce terme. Ils étaient passés maîtres dans l’art de la biologie synthétique. Leur civilisation se basait dessus. Nous leur avions construit une planète habitable à l’aide d’outils biotechnologiques, et toutes les générations martiennes sans exception comprenaient la fonction et les usages potentiels de l’ADN.

Une partie de leur technologie à grande échelle restait grossière – l’engin spatial de Wun, par exemple, était presque primitif, simple boulet de canon newtonien –, à cause de leurs ressources naturelles extrêmement limitées. Mars, monde sans pétrole ni charbon, devait entretenir un écosystème fragile manquant d’oxygène et d’azote. Une base industrielle luxuriante et gaspilleuse comme celle de la Terre n’aurait jamais pu exister sur la planète de Wun. Sur Mars, on consacrait l’essentiel des efforts humains à la production d’une quantité de nourriture suffisante pour une population contrôlée de manière très stricte. À l’inverse des industries de transformation, la biotechnologie remplissait admirablement cette fonction.

« Wun t’a raconté cela ? ai-je demandé tandis que l’après-midi touchait à sa fin sans que la pluie n’ait cessé.

— Il me l’a avoué en confidence, oui, même si la plus grande partie de ce qu’il m’a dit était déjà sous-entendue dans les archives. »

La lumière rouille entrant par la fenêtre se reflétait dans les yeux modifiés et aveugles de Jason.

« Mais il a peut-être menti.

— Je ne pense pas qu’il ait jamais menti, Tyler. Il était juste un peu avare avec la vérité. »

Les réplicateurs microscopiques apportés sur Terre par Wun se plaçaient à la pointe de la biologie synthétique. S’ils pouvaient accomplir sans problème tout ce que Wun avait promis, ils étaient plus sophistiqués que ce qu’il avait bien voulu admettre.

Parmi leurs fonctions méconnues figurait une deuxième voie de communication auxiliaire, cachée, servant à communiquer entre eux et avec leur point d’origine. Wun n’avait pas indiqué s’il s’agissait de radio à faisceau étroit ou de quelque chose de plus exotique (Jase penchait pour cette deuxième hypothèse). Quoi qu’il en soit, cela nécessitait un récepteur bien plus avancé que tout ce que nous pourrions construire sur Terre. Cela nécessitait, selon Wun, un récepteur biologique. Un système nerveux humain modifié.

« Tu t’es porté volontaire pour ça ?

— Je l’aurais fait. Si on me l’avait demandé. Mais si Wun s’est confié à moi, c’est uniquement parce qu’il craignait pour sa vie depuis son arrivée sur Terre. Il ne se faisait aucune illusion sur la vénalité humaine ou la politique du coup de force. Il avait besoin de quelqu’un de confiance pour garder sa pharmacopée, au cas où il lui arrive quelque chose. Quelqu’un qui en comprendrait le but. Il n’a jamais proposé que je devienne récepteur. La modification ne fonctionne que sur un Quatrième Âge… tu te souviens ? Je t’ai dit que le traitement de longévité était une plateforme. Permettant de faire tourner d’autres applications. C’en est une.

— Tu t’es fait ça exprès ?

— Je me suis injecté la substance après la mort de Wun. Cela n’a rien eu de traumatisant, ni d’ailleurs d’effet immédiat. N’oublie pas, Tyler, qu’il n’y avait aucun moyen pour les communications des réplicateurs de pénétrer une membrane Spin fonctionnant à plein régime. Ce que je me suis attribué était une capacité latente.

— Pourquoi le faire, alors ?

— Je ne voulais pas mourir sans savoir. Nous avons tous supposé que si le Spin s’arrêtait, nous mourrions en quelques heures ou quelques jours. Le seul avantage de la modification de Wun était que durant ces dernières heures ou ces derniers jours, aussi longtemps que je durerais, je me retrouverais en contact avec une base de données presque aussi vaste que la galaxie elle-même. Je saurais, à peu près aussi bien qu’il est possible à quiconque sur Terre de le savoir, qui étaient les Hypothétiques et pourquoi ils nous avaient fait cela. »