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Le mien.

Cher Tyler,

Je sais t’avoir importuné plus que de raison par le passé. J’ai peur d’être sur le point de recommencer, et cette fois pour des enjeux considérablement plus importants. Je t’explique. Et désolé si cela semble abrupt, mais je suis pressé, pour des raisons qui te seront bientôt évidentes.

Les récents épisodes de ce que les médias appellent « le scintillement » ont sonné l’alerte dans l’entourage de Lomax. D’autres événements aussi, dont on a beaucoup moins parlé. Je ne te donnerai qu’un exemple : depuis la mort de Wun Ngo Wen, des échantillons de tissus prélevés sur ses organes sont à l’étude au Centre des maladies animales de Plum Island, dans ces mêmes installations où on l’a placé en quarantaine à son arrivée sur Terre. La biotechnologie martienne est subtile, mais la médecine légale moderne est têtue. Il est récemment devenu évident que la physiologie de Wun, en particulier son système nerveux, avait été modifiée de manière bien plus radicale que la procédure « Quatrième Age » résumée dans ses archives. Pour cette raison comme pour d’autres, Lomax et ses hommes ont commencé à flairer du louche. Ils ont sorti E.D. de sa retraite forcée et accordent désormais crédit à ses soupçons sur les motifs de Wun. E.D. y a vu le moyen de récupérer Périhélie (et de restaurer sa réputation), aussi s’est-il empressé de capitaliser sur la paranoïa de la Maison-Blanche.

Comment les autorités ont-elles choisi de procéder ? Brutalement. Lomax (ou ses conseillers) ont décidé d’effectuer une descente dans les installations actuelles de Périhélie pour s’emparer de tout ce qu’il restait des possessions et documents de Wun, ainsi que de tous nos dossiers et notes de travail.

E.D. n’a pas encore fait le lien entre ma guérison de la SEPA et les médicaments de Wun, ou alors il l’a gardé pour lui. C’est du moins ce que je préfère croire. Parce que si je tombe entre les mains des services de sécurité, ils vont procéder aussitôt à une analyse sanguine et ne tarderont pas ensuite à me transformer en sujet d’expérience scientifique captif sans doute dans la cellule que Wun occupait à Plum Island. Et je ne crois pas que ce soit vraiment la volonté d’E.D. Il a beau m’en vouloir d’avoir « volé Périhélie » ou collaboré avec Wun Ngo Wen, il reste mon père.

Mais ne t’inquiète pas. Même si E.D. a effectué un retour en force auprès de Lomax à la Maison-Blanche, je ne manque pas de ressources. Je les ai cultivées. Il ne s’agit généralement pas de puissants, même si certains le sont à leur manière, mais de personnes raisonnables et brillantes qui ont choisi de considérer la destinée humaine à plus long terme, des personnes qui m’ont prévenu à l’avance de la descente à Périhélie. Je me suis échappé. Me voilà un fugitif.

Toi, Tyler, tu n’es que soupçonné de complicité, encore que cela puisse revenir au même.

Je suis désolé. Tu te retrouves dans cette position en partie à cause de moi, je le sais bien. Un jour, je m’excuserai en personne. Pour le moment, je ne peux te proposer qu’un conseil.

Les archives numériques que je t’ai remises à ton départ de Périhélie sont, bien entendu, des rédactions très secrètes issues des archives de Wun Ngo Wen. Tu les as peut-être brûlées ou jetées dans l’océan Pacifique, je n’en sais rien. Peu importe. Concevoir des vaisseaux spatiaux pendant des années m’a appris la nécessité de la redondance. J’ai divisé la sagesse de contrebande de Wun entre des douzaines de personnes dans ce pays et à l’étranger. Cela n’a pas encore été publié sur Internet – personne n’est à ce point irresponsable –, mais c’est quelque part. Il s’agit sans nul doute d’un acte profondément antipatriotique et certainement criminel. Si on me capture, on m’accusera de trahison. D’ici là, j’en profite au maximum.

Mais je ne crois pas que des connaissances de ce genre (dont les protocoles pour les modifications humaines capables de guérir les maladies graves, entre autres, et je parle en connaissance de cause) doivent être conservées pour procurer un avantage à la nation, même si les dévoiler soulève d’autres problèmes.

Lomax et le Congrès à sa botte ne sont manifestement pas d’accord. Je disperse donc les derniers fragments des archives et je décampe. J’entre dans la clandestinité. Tu devrais peut-être m’imiter. En fait, tu y seras peut-être obligé. Tôt ou tard, les autorités fédérales vont s’intéresser de très près à chacun de mes proches qui travaillaient à Périhélie à l’époque.

À moins au contraire que tu ne préfères passer au bureau du FBI le plus proche et leur remettre le contenu de cette enveloppe. Si tu penses que c’est la meilleure réaction possible, obéis à ta conscience, je ne te le reprocherais pas, même si je ne te garantis pas le résultat. Mon expérience de l’administration Lomax m’incite à penser qu’en fait, la vérité ne te libérera pas.

En tout cas, je regrette de t’avoir placé dans cette position difficile. Ce n’est pas juste. C’est trop demander à un ami, et j’ai toujours été fier de t’avoir pour ami.

Peut-être E.D. a-t-il raison sur un point. Notre génération s’est battue pendant trente ans pour récupérer ce que le Spin nous a volé par cette nuit d’octobre. Mais c’est impossible. Il n’y a rien à quoi on puisse s’accrocher dans cet univers en évolution, et rien à gagner d’essayer. Si j’ai appris quelque chose de ma « Quatrièmeté », c’est cela. Nous sommes aussi éphémères que des gouttes de pluie. Nous tombons tous, et nous atterrissons tous quelque part.

Tombe de la manière que tu veux, Tyler. Utilise les documents ci-joints si tu en as besoin. Ils ont coûté cher, mais ils sont fiables à 100 %. (C’est agréable d’avoir des amis haut placés !)

Les « documents ci-joints » consistaient, pour l’essentiel, en un jeu d’identités de secours : passeports, cartes d’identité, permis de conduire, certificats de naissance, numéros de sécurité sociale et même diplômes de médecin, portant tous ma description et un nom qui n’était pas le mien.

Le rétablissement de Diane se poursuivait. Son pouls s’est raffermi et ses poumons se sont dégagés, mais elle restait fébrile. Le médicament martien agissait comme il le devait : il reconstruisait Diane depuis l’intérieur, procédant à de subtiles modifications et révisions de son ADN.

Au fur et à mesure que sa santé s’améliorait, elle commençait à poser des questions prudentes, sur le Soleil, sur le pasteur Dan, sur notre voyage de l’Arizona à la Grande Maison. Sa fièvre intermittente l’empêchait parfois de retenir les réponses que je lui donnais. Elle m’a demandé à plusieurs reprises ce qu’était devenu Simon. Si elle semblait lucide, je lui racontais le veau rouge et le retour des étoiles, sinon je lui répondais que Simon n’était « pas là » et que je m’occuperais d’elle encore un peu. Aucune de ces réponses – la véridique et la moitié vraie – ne paraissait la satisfaire.

Certains jours, elle restait avachie, calée face à la fenêtre, à regarder le soleil parcourir les vallons formés par les draps et les couvertures. D’autres, elle ne cessait de s’agiter fiévreusement. Un après-midi, elle a réclamé du papier et un stylo… mais lorsque je les lui ai donnés, elle n’a écrit qu’une phrase, Ne suis-je pas le gardien de mon frère, qu’elle a réécrite encore et encore jusqu’à en avoir des crampes aux doigts.