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« Tyler », a-t-il dit, et quelque chose dans sa voix m’a poussé à me retourner. « Tyler. Écoute. Tu m’as demandé ce que j’avais sur le cœur. » Il a soupiré. « E.D. m’a dit quelque chose sur l’Événement d’Octobre. Cela n’a pas encore été rendu public. J’ai promis de ne pas en parler. Mais je vais manquer à cette promesse. Je vais la violer parce qu’il y a seulement trois personnes au monde que je considère comme ma famille. L’une d’elles est mon père, les deux autres sont Diane et toi. Alors est-ce qu’il te serait possible de m’accorder quelques petites minutes ? »

J’ai aperçu Diane en train de monter la pente tout en se débattant avec sa parka d’un blanc de neige, un bras dans une manche, l’autre encore dehors.

J’ai regardé le visage de Jason, son expression grave et triste dans la vague lumière de vacances venant d’en bas. Cela m’a fait peur, et malgré ce que je ressentais, j’ai accepté d’écouter ce qu’il avait à dire.

Il a chuchoté quelque chose à l’oreille de Diane lorsqu’elle est arrivée sur le belvédère. Elle l’a regardé les yeux écarquillés et s’est un peu écartée de nous. Puis Jason s’est mis à parler, doucement, avec méthode, d’une voix presque apaisante, à nous raconter un cauchemar comme s’il s’agissait d’une histoire pour s’endormir.

Bien entendu, c’est E.D. qui lui avait appris tout cela.

Les affaires d’E.D. avaient prospéré après l’Événement d’Octobre. Lawton Industries avait présenté une technologie de remplacement pratique et immédiatement disponible : des aérostats de haute altitude, des ballons sophistiqués conçus pour flotter indéfiniment dans la stratosphère. Cinq ans plus tard, les aérostats d’E.D. transportaient des appareils de télécommunications, relayant communications vocales et transmissions de données multipoint, assurant toutes les fonctions (à l’exception du GPS et de l’astronomie) qu’un satellite conventionnel aurait pu assurer. Le pouvoir et l’influence d’E.D. s’étaient accrus à toute vitesse. Ces derniers temps, il avait monté un groupe de pression dans le domaine de l’aérospatiale, la Fondation Périhélie, et officié comme consultant pour le gouvernement fédéral dans nombre de projets moins publics, en l’occurrence, le programme ARV (Automated Reentry Vehicle) de la NASA.

La NASA perfectionnait ses sondes ARV depuis maintenant deux ans. Les lancements initiaux devaient servir à étudier le bouclier d’Octobre. Pouvait-on le pénétrer, pouvait-on de l’extérieur récupérer des données utiles ?

La première tentative avait littéralement été un coup au hasard, un simple ARV monté sur une Lockheed Martin Atlas 2AS spécialement aménagée et lancée dans le noir absolu au-dessus de la base aérienne de Vandenberg. La mission avait semblé échouer presque aussitôt : conçu pour passer une semaine en orbite, le satellite était retombé dans l’Atlantique au large des Bermudes quelques instants après son lancement. Comme si, a dit Jason, il s’était heurté à la frontière de l’Événement et y avait rebondi.

Mais il n’avait pas rebondi. « En récupérant le satellite, on s’est aperçus qu’il contenait une semaine de données.

— Comment est-ce possible ?

— La question n’est pas de savoir ce qui est possible mais ce qu’il s’est passé. Et il s’est passé que l’appareil, après sept jours en orbite, est retombé le soir de son lancement. On en est certains parce que cela s’est reproduit à chaque lancement, et il y en a eu beaucoup.

— Mais pourquoi ? De quoi s’agit-il, Jason ? De voyage dans le temps ?

— Non… pas tout à fait.

— Pas tout à fait ?

— Laisse-le donc parler », a dit Diane à voix basse.

On disposait de toutes sortes d’indices sur ce qu’il se produisait en réalité, nous a appris Jason. Vues du sol, les fusées semblaient accélérer en arrivant sur la barrière puis disparaître, comme attirées à l’intérieur. Mais les données récupérées ensuite sur les appareils ne montraient rien de tel. Impossible de concilier les deux jeux d’observations. Vus du ciel, les satellites accéléraient en approchant de la barrière, y pénétraient et retombaient presque aussitôt sur Terre, les satellites eux-mêmes signalaient s’être installés sans problème en orbite et y avoir passé le temps imparti pour revenir d’eux-mêmes des semaines ou des mois plus tard. (Comme le cosmonaute russe, ai-je pensé, cosmonaute dont l’histoire, jamais ni confirmée ni démentie officiellement, était devenue une espèce de légende urbaine.) Si l’on supposait corrects les deux jeux de données, il n’y avait qu’une seule explication :

Le temps ne s’écoulait pas à la même vitesse de l’autre côté de la barrière.

Ou, pour inverser l’équation, le temps sur Terre passait plus lentement que dans le reste de l’univers.

« Vous comprenez ce que cela signifie ? s’est enquis Jason. Avant, on aurait dit qu’une cage électromagnétique régulait l’énergie parvenant à la surface de la Terre. Et c’est le cas. Mais en fait, ce n’est qu’un effet secondaire, un détail d’une image plus vaste.

— Un effet secondaire de quoi ?

— De ce qu’ils appellent un gradient temporel. Vous en saisissez la signification ? Pour chaque seconde qui passe sur Terre, il s’écoule beaucoup plus de temps à l’extérieur de la barrière.

— Ça n’a aucun sens, ai-je dit aussitôt. Quel genre de physique ça impliquerait, bordel ?

— Des gens bien plus expérimentés que moi se battent avec cette question. Mais la notion de gradient temporel permet d’expliquer pas mal de points. S’il y a une différence temporelle entre l’univers et nous, les radiations ambiantes atteignant la surface de la Terre à un moment donné, la lumière du soleil, les rayons X, les radiations cosmiques, sont accélérées en proportion. Et une année de soleil condensée en dix secondes nous tuerait sur le coup. La barrière électromagnétique entourant la Terre ne nous cache pas, elle nous protège. Elle filtre toute cette radiation concentrée, et décalée vers le bleu, j’imagine.

— Le faux soleil, a compris Diane.

— Exact. Ils nous ont donné un faux soleil parce que le vrai serait mortel pour nous. Juste ce qu’il faut de lumière solaire, et répartie comme il convient, pour imiter les saisons, faire pousser les plantes et fonctionner la météo. Les marées, notre trajectoire autour du soleil, masse, inertie, gravitation, tout cela est manipulé, pas seulement pour nous ralentir mais pour nous garder en vie en même temps.

— Géré, ai-je dit. Ce n’est pas un acte de la nature. C’est de l’ingénierie.

— Je crois qu’on est bien obligés de l’admettre, oui, a dit Jason.

— Quelqu’un nous fait cela, à nous.

— Les gens parlent d’une hypothétique intelligence gouvernante.

— Mais dans quel but, pour parvenir à quoi ?

— Je ne sais pas. Personne n’en sait rien. »

Diane a regardé son frère, dont la séparait un fossé d’air hivernal froid et immobile. Elle a serré sa parka sur ses épaules en frissonnant. Pas à cause de la température, juste parce qu’elle était arrivée à la question fondamentale : « Combien de temps, Jason ? Combien de temps passe dehors ? »

Dehors, derrière le ciel vide.

Jason a hésité, manifestement peu disposé à lui répondre.

« Beaucoup, a-t-il admis.

— Dis-nous, a insisté Diane d’une voix éteinte.

— Eh bien… Il y a toutes sortes de mesures. Mais au dernier lancement, ils ont fait rebondir un signal de calibration à la surface de la lune. La lune s’éloigne un peu plus de la Terre tous les ans, vous le saviez ? Très peu, mais c’est mesurable. En mesurant la distance, on obtient une espèce de calendrier grossier, de plus en plus précis au fur et à mesure que le temps passe. Si on ajoute cela aux autres données significatives, comme le mouvement des étoiles proches…