Выбрать главу

Nous avons reculé à une confortable longueur de bras l’un de l’autre. « Tyler, Tyler, s’est-elle exclamée comme si je m’étais transformé en quelque chose de remarquable. Tu as bonne mine après toutes ces années.

— Huit, ai-je stupidement précisé. Huit années.

— Ouaouh, tant que ça ? »

Je les ai aidés à rentrer leurs bagages, les ai installés dans le salon et me suis précipité dans la cuisine retrouver Jason, toujours au téléphone. À mon entrée, il tournait le dos à la porte.

« Non, a-t-il dit d’une voix tendue. Non… pas même le ministère des Affaires étrangères ? »

Je me suis figé sur place. Le ministère des Affaires étrangères. Ça alors.

« Je peux revenir en deux heures si… oh. Je vois. Non, pas de problème. Mais tenez-moi au courant. OK. Merci. »

Il a rempoché son téléphone et m’a aperçu.

« Tu parlais à E.D. ? ai-je demandé.

— À son assistant, en fait.

— Tout va bien ?

— Allons, Ty, tu ne voudrais quand même pas que je te mette au courant de tous les secrets ? » Il s’est efforcé de sourire, sans trop de succès. « J’aurais préféré que tu n’entendes rien.

— Tout ce que j’ai entendu, c’est que tu proposais de rentrer à Washington en me laissant ici avec Simon et Diane.

— Eh bien… j’y serai peut-être obligé. Les Chinois se montrent réticents.

— Qu’est-ce que tu veux dire par réticents ?

— Ils refusent d’abandonner définitivement le lancement qu’ils ont prévu. Ils veulent se garder cette possibilité. »

C’est d’une attaque nucléaire sur les artefacts Spin dont il parlait. « J’imagine que quelqu’un essaye de les convaincre ?

— Les manœuvres diplomatiques sont en cours. Mais on ne peut pas vraiment dire qu’elles soient un succès. Les négociations semblent dans l’impasse.

— Et donc… Merde, Jase ! Qu’est-ce que cela représente au juste, leur truc ?

— L’explosion de deux armes à fusion à haut rendement tout près de dispositifs inconnus associés au Spin. Quant aux conséquences… eh bien, la question ne manque pas d’intérêt. Mais cela n’est pas encore arrivé. Et n’arrivera sans doute pas.

— Tu parles du jour du Jugement dernier, ou peut-être de la fin du Spin…

— Baisse la voix. N’oublie pas que nous avons des invités. Et tu dramatises. Le projet des Chinois est imprudent et sans doute vain, mais même s’ils le mettent à exécution, il n’aura vraisemblablement rien de suicidaire. Les Hypothétiques, quels qu’ils soient, doivent savoir se défendre sans nous détruire dans l’opération. Et les artefacts polaires ne sont pas forcément à l’origine du Spin. Il peut s’agir de plates-formes d’observation passive, de dispositifs de communication, voire de leurres.

— Si les Chinois lancent leur attaque, ai-je demandé, combien de temps à l’avance serons-nous prévenus ?

— Tout dépend de ce que tu appelles “nous”. A priori, le grand public n’en saura rien avant que ce soit terminé. »

J’ai commencé à comprendre à ce moment-là que Jason n’était pas simplement l’apprenti de son père, qu’il avait déjà entrepris de se créer lui-même des relations en haut lieu. Plus tard, j’allais en apprendre bien davantage sur la Fondation Périhélie et sur le travail que Jason y effectuait. Mais pour l’instant, cela faisait toujours partie de la vie secrète de Jason. Il en avait déjà une dans notre enfance : loin de la Grande Maison, c’était un prodige des mathématiques qui se promenait dans une école d’élite privée comme un champion de golf sur un parcours de minigolf ; à la maison, c’était juste Jase, et nous avions pris soin que cela ne change pas.

Cela n’avait d’ailleurs toujours pas changé. Mais Jason projetait désormais une ombre plus importante. Il ne passait plus ses journées à impressionner les professeurs de calcul de Rice, mais à se positionner de manière à influencer le cours de l’histoire.

Il a ajouté : « Si cela arrive, oui, je serai prévenu. Nous le serons. Mais je ne veux pas que Diane s’inquiète à ce sujet. Ni Simon, bien entendu.

— Super. Je vais juste me sortir ça de la tête. La fin du monde.

— Pas du tout. Il ne s’est encore rien passé. Calme-toi, Tyler. Sers à boire, ça t’occupera. »

Il avait beau affecter la nonchalance, sa main tremblait lorsqu’il a sorti quatre grands verres du placard de la cuisine.

J’aurais pu partir. J’aurais pu franchir la porte, monter dans ma Hyundai et rouler un bon moment avant de manquer à quelqu’un. J’ai pensé à Diane et Simon dans le salon, avec leur christianisme hippie, et à Jase qui recevait dans la cuisine des nouvelles du jour du Jugement dernier sur son téléphone portable : voulais-je vraiment passer ma dernière nuit sur Terre avec ces gens-là ?

Tout en me demandant en même temps : mais avec qui d’autre ? Avec qui d’autre ?

« On s’est rencontrés à Atlanta, a raconté Diane. L’État de Géorgie organisait un séminaire sur la spiritualité alternative. Simon était venu assister à la conférence de C.R. Ratel. Je l’ai en quelque sorte découvert à la cafétéria du campus. Il était seul à une table en train de lire Second Avènement, et comme je n’avais personne avec qui manger, j’ai posé mon plateau et on s’est mis à discuter. »

Diane et Simon partageaient un canapé en peluche jaune près de la fenêtre et sentant la poussière. Diane s’adossait à l’accoudoir et Simon, l’air attentif, se tenait assis bien droit. Son sourire avait commencé à m’inquiéter. Il ne disparaissait jamais.

Nous avons siroté nos boissons tandis que les rideaux flottaient dans la brise et qu’un taon bourdonnait contre la moustiquaire. Difficile d’entretenir la conversation quand nous étions censés éviter tant de sujets. Je me suis efforcé de dupliquer le sourire de Simon. « Tu es étudiant, donc ?

— J’étais, a-t-il répondu.

— Tu fais quoi, ces derniers temps ?

— Je voyage. En général.

— Simon peut se permettre de voyager, a précisé Jase. C’est un héritier.

— Pas d’impolitesses, l’a averti Diane d’un ton forcé signifiant qu’elle ne plaisantait pas. Pour une fois, Jase, tu veux bien ? »

Mais Simon a haussé les épaules. « Non, il a raison. J’ai de l’argent de côté. Diane et moi profitons de l’occasion pour voir un peu de pays.

— Simon, a ajouté Jason, est le petit-fils d’Augustus Townsend, le roi du cure-pipe géorgien. »

Diane a roulé des yeux. Toujours imperturbable, Simon – qui commençait presque à avoir l’air d’un saint – a dit : « C’était à l’époque. On n’est même plus censés appeler ça des cure-pipes. Ce sont des “tiges chenilles”. » Il a ri. « Et me voilà héritier d’une fortune de tiges chenilles. » Il s’agissait en réalité d’une fortune de cadeaux et babioles, comme Diane nous l’a expliqué plus tard. Augustus Townsend s’était lancé dans les cure-pipes mais gagnait davantage d’argent en distribuant jouets en fer-blanc, bracelets porte-bonheur et peignes en plastique aux bazars et supérettes dans tout le sud du pays. Dans les années 1940, la famille avait eu beaucoup d’influence dans les hautes sphères d’Atlanta.

Jason a continué : « Simon n’a quant à lui pas de profession à proprement parler. C’est un esprit libre.