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— Nous toucher.

— Nous toucher. E.D. ne l’aurait jamais supporté. »

Elle a retiré sa main. « Nous aurions pu le lui cacher si nous avions voulu. Mais tu as raison, c’était E.D. le problème. Il abîmait tout. J’ai trouvé obscène, avilissante la manière dont il a fait vivre à ta mère une espèce d’existence de deuxième zone. Puis-je l’avouer ? J’ai vraiment détesté être sa fille. J’ai surtout détesté l’idée que si quoi que ce soit, tu sais, arrivait entre nous, cela pourrait être une façon pour toi de te venger d’E.D. Lawton. »

Elle s’est calée contre le dossier, un peu surprise d’elle-même, je pense.

« Cela n’aurait pas été le cas, bien entendu, ai-je dit prudemment.

— J’étais désorientée.

— D’où le NR ? Pour te venger d’E.D. ?

— Non, dit-elle sans cesser de sourire. Si j’aime Simon, ce n’est pas juste parce qu’il met mon père en colère. La vie n’est pas aussi simple, Ty.

— Je ne voulais pas sous-entendre…

— Mais tu vois comme c’est insidieux ? Certains soupçons te viennent en tête et y restent. Non, le NR n’a rien à voir avec mon père. Il a à voir avec la découverte de la divinité dans ce qui est arrivé à la Terre, et à l’expression de cette divinité dans la vie de tous les jours.

— Le Spin n’est peut-être pas aussi simple que cela non plus.

— Soit on nous assassine, soit on nous transforme, d’après Simon.

— Il m’a raconté que vous construisiez le paradis sur Terre.

— N’est-ce pas ce que les chrétiens sont censés faire ? Établir le Royaume des Cieux en l’exprimant dans leurs vies ?

— Ou en dansant.

— Là, tu parles comme Jason. Je ne peux de toute évidence défendre tous les aspects du mouvement. La semaine dernière, pendant un conclave à Philadelphie, nous avons fait la connaissance d’un couple, notre âge, amical, intelligent… “vivant dans l’esprit”, a dit Simon. On est allés dîner et on a parlé de la parousie. Puis ils nous ont invités dans leur chambre d’hôtel et voilà que tout d’un coup ils se mettent à sniffer de la coke et à passer des vidéos pornos. Toutes sortes de marginaux sont attirées par le NR. On ne refuse personne. Et pour la plupart, la théologie existe à peine, sinon comme image floue du Jardin d’Éden. Mais au meilleur de sa forme, le mouvement est tout ce qu’il affirme être : une véritable foi vivante.

— Foi en quoi, Diane ? En l’Ekstasis ? En la promiscuité ? »

J’ai regretté mes paroles aussitôt prononcées. Diane a semblé peinée. « L’Ekstasis n’a rien à voir avec la promiscuité. Pas quand elle réussit, en tout cas. Mais dans le corps de Dieu, aucun acte n’est interdit du moment qu’il n’est ni vengeance ni colère, du moment qu’il exprime l’amour divin en plus de l’amour humain. »

Le téléphone a sonné à ce moment-là. J’ai dû avoir l’air coupable. Diane a ri en voyant mon expression.

Les premiers mots de Jason quand j’ai décroché : « J’ai dit qu’on serait prévenus. Je suis désolé. Je me suis trompé.

— Pardon ?

— Tyler… Tu n’as pas vu le ciel ? »

Nous sommes donc montés à l’étage trouver une fenêtre donnant sur le crépuscule.

La chambre orientée à l’ouest était d’une taille généreuse, dotée de larges fenêtres et meublée d’une armoire en acajou ainsi que d’un lit à rambarde en cuivre. J’ai ouvert les rideaux. Diane a poussé une exclamation de surprise.

Il n’y avait pas de soleil couchant. Ou plutôt, il y en avait plusieurs.

À l’ouest, l’ensemble du ciel était illuminé. Au lieu de l’orbe unique du soleil, on voyait un arc de cercle à l’éclat rougeâtre parcourant au moins quinze degrés sur l’horizon et constitué de ce qui ressemblait à une exposition multiple d’au moins dix couchers de soleil tremblotants. La lumière fluctuait, brillait et s’atténuait comme un feu lointain.

Nous sommes restés un long moment bouche bée à observer le phénomène. Diane a fini par demander : « Qu’est-ce qui arrive, Tyler ? Qu’est-ce qu’il se passe ? »

Je lui ai fait part de ce que Jason m’avait raconté sur les missiles nucléaires chinois.

« Il savait que cela risquait d’arriver ? a-t-elle demandé avant de répondre à sa propre question. Bien sûr qu’il le savait. » La lumière étrange donnait une teinte rose à la chambre et tombait comme une fièvre sur ses joues. « Cela va nous tuer ?

— Jason ne le pense pas. Même si les gens vont avoir une frousse de tous les diables.

— Mais est-ce que c’est dangereux ? À cause des radiations ou je ne sais quoi ? »

J’en doutais. Mais ce n’était pas impossible. « Allumons la télé », ai-je proposé. Chaque chambre comportait un écran plasma encastré dans un panneau de noyer en face du lit. Je me disais que la moindre radiation un tant soit peu mortelle brouillerait aussi l’émission et la réception des programmes.

Mais le téléviseur fonctionnait assez pour que les chaînes d’information nous montrent des foules se rassemblant dans les villes européennes, où il faisait déjà noir… du moins aussi noir que serait la nuit. Aucune radiation mortelle, mais beaucoup de panique naissante. Diane est restée assise sans bouger au bord du lit, les mains croisées sur les genoux, l’air effrayée. Je me suis assis à côté d’elle. « Si ça devait nous tuer, nous serions déjà morts », lui ai-je dit.

Dehors, le crépuscule avançait en bégayant vers l’obscurité. La lueur diffuse s’est résolue en plusieurs soleils couchants distincts, chacun d’une pâleur spectrale, puis en une torsade de lumière solaire, comme un ressort lumineux qui a traversé le ciel d’un bout à l’autre avant de disparaître tout aussi soudainement.

Nous sommes restés assis hanche contre hanche tandis que le ciel s’obscurcissait.

Puis les étoiles sont apparues.

J’ai réussi à recontacter Jase avant que la bande passante soit saturée. Il m’a dit que Simon venait de payer le jeu de bougies pour sa voiture au moment de cette éruption dans le ciel. À l’extérieur de Stockbridge, les routes étaient déjà bondées et la radio signalait quelques pillages à Boston ainsi qu’une circulation bloquée sur tous les grands axes, aussi Jason s’était-il garé dans un parking près d’un motel dans lequel il avait loué deux chambres pour la nuit. Au matin, a-t-il dit, il lui faudrait sans doute repartir à Washington, mais il déposerait d’abord Simon à la maison.

Puis il a passé son portable à Simon et j’ai prêté le mien à Diane avant de quitter la chambre pour la laisser parler avec son fiancé. Le pavillon semblait étrangement grand et vide. Je suis passé d’une pièce à l’autre en allumant les lumières jusqu’à ce que Diane me rappelle.

« Un autre verre ? lui ai-je proposé.

— Oh que oui. »

Nous sommes sortis peu après minuit.

Diane faisait bonne contenance. Simon lui avait servi une espèce de discours d’encouragement Nouveau Royaume. Dans la théologie NR, il n’y avait ni Second Avènement au sens conventionnel, ni Extase ni Apocalypse : le Spin était tout cela à la fois, toutes les anciennes prophéties réalisées de manière indirecte. Et si Dieu, disait Simon, voulait se servir du ciel comme toile pour nous y peindre la géométrie du temps, Il le ferait, et il serait alors tout à fait approprié pour nous d’avoir peur ou de nous sentir intimidés. Il ne faudrait toutefois pas nous laisser submerger par ces sentiments, car le Spin était en fin de compte un acte de salut, le dernier et meilleur chapitre de l’histoire de l’humanité.

Ou quelque chose du même tonneau.

Nous sommes donc sortis observer le ciel parce que Diane pensait qu’il s’agissait là d’une action courageuse et spirituelle. Il n’y avait pas un nuage et l’air sentait le pin. Malgré la distance nous séparant de la route nationale, il nous arrivait d’entendre vaguement des klaxons et des sirènes.