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— Ce n’est peut-être pas un prix. C’est peut-être une rançon. Payez et nous vous laissons tranquilles. »

Il a secoué la tête. « Il est trop tard pour qu’ils nous laissent tranquilles. On a besoin d’eux, maintenant. Et nous ne pouvons toujours pas exclure la possibilité qu’ils soient bienveillants, ou du moins inoffensifs. Je veux dire : suppose qu’ils ne soient pas arrivés au moment où ils sont arrivés. Qu’est-ce qui nous attendait ? Beaucoup pensent que nous vivions notre dernier siècle en tant que civilisation durable, peut-être même en tant qu’espèce. Le réchauffement climatique, la surpopulation, la mort des océans, la perte de terres arables, la prolifération des maladies, la menace des armes nucléaires ou biologiques…

— On se serait peut-être détruits nous-mêmes, mais au moins cela aurait été de notre faute.

— Ah, vraiment ? La faute de qui au juste ? La tienne ? La mienne ? Non, cela aurait été le résultat de plusieurs milliards d’êtres humains effectuant des choix relativement inoffensifs : avoir des enfants, aller au travail en voiture, ne pas perdre son emploi, résoudre en priorité les problèmes à court terme. Lorsqu’on parvient à un point où même les actes les plus triviaux sont punissables de la mort de l’espèce, alors de toute évidence, de toute évidence, on se trouve à un moment critique, un autre genre de point de non-retour.

— Mieux vaut se faire griller par le soleil ?

— Ce n’est pas encore arrivé. Et nous ne sommes pas la première étoile à mourir. La galaxie est jonchée de naines blanches qui ont pu abriter des planètes habitables. Tu ne te demandes jamais ce qui leur est arrivé ?

— Rarement », ai-je avoué.

En quelques pas sur le parquet nu, j’ai gagné l’étagère de livres et les photos de famille. E.D souriait à l’objectif… E.D. dont les sourires n’étaient jamais vraiment convaincants. Il ressemblait à Jason de manière saisissante. (Évidente, aurait pu dire Jase.) Machine similaire, esprit différent à l’intérieur.

« Comment la vie pourrait-elle survivre à une catastrophe stellaire ? Mais de toute évidence, cela dépend de ce qu’est la “vie”. Parlons-nous de vie organique, ou de tout autre type de boucle d’asservissement auto-catalytique généralisée ? Les Hypothétiques sont-ils organiques ? C’est une question intéressante en soi…

— Tu devrais vraiment essayer de dormir. » Il était minuit passé. Il prononçait des mots que je ne comprenais pas. J’ai pris la photo de Carol. La ressemblance paraissait plus subtile. Le photographe avait saisi Carol dans un de ses bons jours : elle avait les yeux ouverts, non bloqués en berne, et malgré son sourire réticent, rehaussement à peine perceptible de ses fines lèvres, le portrait m’a paru dans l’ensemble assez fidèle.

« Ils sont peut-être en train d’extraire des morceaux de Soleil », a dit Jason, toujours à propos des Hypothétiques. « Certaines de nos données sur les éruptions solaires le laissent penser. De toute évidence, ce qu’ils ont fait à la Terre requiert de grandes quantités d’énergie. Cela équivaut à refroidir une masse de la taille d’une planète à une température proche du zéro absolu. Et d’où provient donc toute cette énergie ? Très probablement du Soleil. Nous avons de plus observé, depuis le Spin, une réduction sensible du nombre de grandes éruptions solaires.

Quelque chose, une force ou un intermédiaire, capte peut-être les particules à haute énergie avant qu’elles atteignent l’héliosphère. Extraire des morceaux de Soleil, Tyler ! Voilà un acte d’hubris technologique presque aussi étonnant que le Spin lui-même. »

J’ai pris ensuite le cadre protégeant la photo de Diane. Le cliché, antérieur à son mariage avec Simon Townsend, avait capturé une certaine inquiétude caractéristique, comme si elle venait de plisser un peu les paupières de perplexité. Elle était belle sans essayer de l’être, mais pas vraiment à l’aise, pleine de grâce mais en même temps un peu en déséquilibre.

J’avais tant de souvenirs d’elle. Sauf qu’ils remontaient désormais à plusieurs années et disparaissaient dans le passé à une vitesse presque comparable à celle du Spin. En me voyant avec la photo de sa sœur à la main, Jason a gardé quelques instants un silence bienvenu. Puis il a dit : « Franchement, Tyler, cette fixation est indigne de toi.

— Ce n’est pas vraiment une fixation, Jase.

— Pourquoi ? Parce que tu en as fini avec elle ou parce que tu as peur d’elle ? Mais je pourrais lui poser la même question. Si elle appelle un jour. Simon la surveille de près. Je la soupçonne de regretter l’époque du NR, quand le mouvement regorgeait d’unitariens et de hippies évangéliques à poil. Le prix de la piété est plus élevé, de nos jours.

— Est-elle heureuse, au moins ?

— Diane vit au milieu de fanatiques. En est peut-être une elle-même. Le bonheur n’est pas une option.

— Tu la penses en danger ? »

Il a haussé les épaules. « Je pense qu’elle mène la vie qu’elle s’est choisie. Elle aurait pu faire d’autres choix. Elle aurait pu, par exemple, t’épouser toi, Ty, sans son fantasme ridicule…

— Quel fantasme ?

— Elle s’imaginait qu’E.D. était ton père. Qu’elle était ta sœur biologique. »

J’ai reculé si vite que j’ai fait tomber les photographies par terre.

« C’est ridicule.

— Bien entendu. Mais je ne crois pas qu’elle ait définitivement abandonné cette idée avant la fac.

— Comment a-t-elle seulement pu penser…

— C’était un fantasme, pas une théorie. Penses-y. Il n’y a jamais vraiment eu d’affection entre Diane et E.D. Elle se sentait ignorée par lui. Et en un sens, elle avait raison. E.D. n’a jamais voulu de fille, il voulait un héritier, masculin. Il fondait sur lui de grands espoirs, et il se trouve que je me suis montré à la hauteur. Diane ne représentait pour lui qu’une distraction. Il se reposait sur Carol pour l’élever, et Carol…» Il a haussé les épaules. « Carol n’en a pas été capable.

— Alors elle a inventé cette… histoire ?

— Elle y a pensé par déduction. Cela expliquait pourquoi E.D. vous gardait, ta mère et toi, dans la propriété. Cela expliquait le chagrin permanent de Carol. Et dans le fond, cela lui permettait de s’apprécier elle-même. Ta mère était plus gentille et plus attentive avec elle que Carol ne l’a jamais été. Cette idée d’appartenir à la famille Dupree plaisait à Diane. »

J’ai regardé Jason. Le visage pâle, les pupilles dilatées, il braquait son regard distant sur la fenêtre. Je me suis souvenu qu’il était mon patient, qu’il manifestait une réaction psychologique prévisible à un médicament puissant, que ce même homme avait, à peine quelques heures plus tôt, pleuré de sa propre incontinence. « Il faut vraiment que je parte, maintenant, Jason, ai-je dit.

— Pourquoi, tout cela est-il si choquant ? Tu ne pensais pas que grandir était douloureux ? » Tout à coup, avant que je puisse répondre, il a tourné la tête et croisé mon regard pour la première fois de la soirée. « Oh là là. Je commence à avoir l’impression que je me suis mal comporté.

— Le médicament…

— Que je me suis comporté comme un monstre. Tyler, je suis désolé.

— Tu te sentiras mieux après une nuit de sommeil. Mais tu ne devrais pas revenir à Périhélie avant deux jours.