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La logique voulait donc que les étoiles continuent à briller, mais sans qu’on les voie. Elles n’avaient pas cessé de briller, elles étaient juste masquées, éclipsées. Si le ciel se retrouvait soudain d’un noir d’ébène, il s’agissait d’un mystère, non d’une catastrophe.

Une partie du commentaire de Jason me trottait pourtant dans le crâne. Et si le Soleil avait bel et bien disparu ? Je me suis représenté de la neige tombant doucement dans des ténèbres perpétuelles, avec ensuite, ai-je deviné, l’air lui-même gelant en une neige différente, jusqu’à ce que toute la civilisation humaine se retrouve enfouie dans la matière que nous respirons. Et donc, il valait mieux, oh, bien mieux, supposer que les étoiles avaient été « éclipsées ». Mais par quoi ?

« Eh bien, de toute évidence, par quelque chose de gros. De rapide. Tu l’as vu se produire, Tyler. C’est arrivé d’un coup, ou est-ce que quelque chose a traversé le ciel ? »

Je lui ai répondu qu’on aurait dit que toutes les étoiles s’étaient mises d’un coup à briller plus fort avant de s’éteindre.

« Au diable ces putains d’étoiles stupides », s’est emportée Diane. (Cela m’a surpris : Diane n’avait pas l’habitude d’utiliser le mot « putain », même si Jase et moi en faisions un usage assez libre depuis que nous avions un âge à deux chiffres. Beaucoup de choses avaient changé durant l’été.)

Jason a senti l’angoisse dans la voix de sa sœur. « Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit à craindre », a-t-il dit, sans parvenir pour autant à cacher son malaise.

Diane s’est contentée d’une grimace. « J’ai froid », a-t-elle annoncé.

Nous avons donc décidé de rentrer dans la Grande Maison voir si CNN ou CNBC parlaient du phénomène. Le ciel était déconcertant avec cette obscurité totale, lourd mais sans poids au-dessus de nos têtes, plus noir que tous les ciels que j’avais jamais vus.

« Il faut le dire à E.D., a estimé Jason.

— Alors dis-lui », a répliqué Diane.

Jase et Diane appelaient leurs parents par leurs prénoms parce que Carol Lawton s’imaginait à la tête d’une maisonnée progressiste. La réalité était plus complexe. Carol se montrait indulgente avec les jumeaux mais ne semblait guère prendre part à leur vie, tandis qu’E.D. se livrait à la formation systématique d’un héritier. Cet héritier, bien entendu, était Jason. Celui-ci adorait son père. Diane, elle, le craignait.

Je n’étais pas assez bête pour me montrer dans la zone adulte au cours des reliquats alcoolisés d’une fête des Lawton, aussi Diane et moi avons-nous traîné dans la zone démilitarisée derrière une porte tandis que Jason allait retrouver son père dans une pièce adjacente. Nous n’avons pas entendu la conversation en détail, mais on ne pouvait se méprendre sur le ton de la voix d’E.D. : affligée, impatiente et irascible. Lorsque Jason est redescendu au sous-sol le visage rouge et les larmes aux yeux, j’ai dit au revoir et me suis dirigé vers la porte de derrière.

Diane m’a rattrapé dans le couloir. Elle a posé la main sur mon poignet comme pour s’accrocher à quelque chose. « Tyler. Il va se lever, n’est-ce pas ? Le soleil, je veux dire, demain matin. Je sais bien que c’est une question stupide. Mais le soleil va se lever, hein ? »

Elle semblait complètement dépassée. J’ai commencé à répondre de manière désinvolte – on va tous mourir s’il ne se lève pas – mais son angoisse a fait naître le doute en moi. Qu’avions-nous vu au juste, et qu’est-ce que cela signifiait ? Jason n’avait manifestement pas pu convaincre son père qu’un événement d’importance s’était produit dans le ciel nocturne, aussi nous effrayions-nous peut-être pour rien. Mais s’il s’agissait bel et bien de la fin du monde et que personne d’autre ne le sache ?

« Tout ira bien », ai-je affirmé.

Elle m’a regardé entre deux mèches de cheveux ternes. « Tu en es sûr ? »

J’ai essayé de sourire. « À 90 %.

— Mais tu vas rester debout jusqu’au matin, non ?

— Peut-être. Sans doute. » Je savais que je n’avais pas envie de dormir.

Elle a tendu le pouce et l’auriculaire. « Je peux t’appeler plus tard ?

— Bien sûr.

— Ça m’étonnerait que je dorme. Et… je sais bien que je vais avoir l’air idiote, mais au cas où je m’endorme, tu veux bien m’appeler dès que le soleil se lèvera ? »

J’ai répondu que je le ferais.

« Promis ?

— Promis. »

J’étais aux anges qu’elle me l’ait demandé.

Je vivais avec ma mère dans une jolie maison à bardeaux située à l’extrémité est de la propriété des Lawton. Une petite roseraie clôturée de rambardes en pin cernait le perron – les roses elles-mêmes avaient fleuri jusque bien avant dans l’automne mais s’étaient flétries dans la récente vague d’air froid. Par cette nuit sans lune, sans nuages et sans étoiles, la lumière du porche brillait telle une balise.

Je suis entré tout doucement. Ma mère s’était retirée depuis longtemps dans sa chambre. Le petit salon était en ordre, à part un verre à liqueur vide sur la table basse : ma mère ne buvait jamais, sauf un peu de whisky le week-end. Elle avait coutume de se reconnaître deux vices, dont un petit verre le vendredi soir. (Un jour, je lui avais demandé quel était l’autre. Elle m’avait longuement regardé avant de répondre : « Ton père. » Je n’avais pas insisté.)

Je me suis allongé avec un livre sur le canapé vide et j’ai lu jusqu’à ce que Diane appelle, moins d’une heure plus tard. Sa première parole a été : « T’as allumé la télé ?

— Je devrais ?

— Pas la peine. Il n’y a rien.

— Ben tu sais, il est quand même deux heures du matin.

— Non, je veux dire, il n’y a absolument rien. À part des publireportages sur le câble local, rien du tout. Qu’est-ce que cela veut dire, Tyler ? »

Cela signifiait que tous les satellites en orbite avaient disparu avec les étoiles. Qu’ils aient servi aux télécommunications, à l’armée, aux services météorologiques ou au système GPS, tous avaient cessé de fonctionner en un clin d’œil. Mais je n’en savais rien et ne pouvais donc pas l’expliquer à Diane. « Cela pourrait vouloir dire plein de trucs.

— Je trouve ça un peu effrayant.

— Il n’y a sans doute pas de quoi s’inquiéter.

— J’espère. Je suis contente que tu sois toujours debout. »

Elle a rappelé une heure après avec d’autres informations. Internet ne fonctionnait plus non plus. La télévision locale avait commencé à annoncer l’annulation des vols du matin au départ de l’aéroport Reagan et des aéroports régionaux, en conseillant aux gens d’appeler avant de s’y rendre.

« Mais il y a eu des avions à réaction toute la nuit. » J’avais vu leurs feux de position par la fenêtre de ma chambre, des fausses étoiles, en mouvement rapide. « Des militaires, j’imagine. Ça pourrait être un coup des terroristes.

— Jason est dans sa chambre avec une radio. Il capte des stations de Boston et de New York. D’après lui, on parle d’activités militaires et d’aéroports fermés, mais ni de terroristes… ni des étoiles.

— Des gens ont bien dû s’apercevoir de quelque chose.

— Dans ce cas, ils n’en parlent pas. On leur a peut-être interdit d’en parler. Ils n’ont pas parlé non plus du lever du soleil.

— Pourquoi en parleraient-ils ? Le soleil est censé se lever dans quoi, une heure ? Il est donc déjà en train de se lever sur l’océan. Loin sur l’Atlantique. Les navires en mer ont dû le voir. Et nous, nous le verrons sous peu.

— J’espère. » Elle semblait à la fois effrayée et embarrassée. « J’espère que tu as raison.