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Ce n’était pas Carol, mais Diane. Diane en longue jupe bleu nuit et chemisier à col haut. Elle serrait ses mains sous sa poitrine. Elle a levé vers moi des yeux brillants. « Je suis tellement désolée. Je suis venue dès que j’ai su. »

Mais trop tard. L’hôpital avait appelé dix minutes plus tôt. Belinda Dupree était morte sans avoir repris connaissance.

Aux funérailles, E.D. a dit quelques mots gênés sans rien de significatif. J’ai parlé, Diane aussi, et Carol en avait l’intention mais pleurait trop ou avait trop bu pour cela.

Le panégyrique de Diane était le plus émouvant, rythmé et sincère, inventaire des gentillesses exportées par ma mère de l’autre côté de la pelouse comme autant de cadeaux d’une nation plus riche et plus aimable. Je lui en ai été reconnaissant. Tout le reste de la cérémonie m’a semblé mécanique, en comparaison : des visages plus ou moins familiers surgissaient de l’assemblée pour marmonner homélies ou demi-vérités, et je les remerciais en souriant, encore et encore, jusqu’au moment où il a fallu nous rendre sur la tombe.

Il y a eu une réception ce soir-là à la Grande Maison, une réception post-funéraire au cours de laquelle j’ai reçu les condoléances des associés d’E.D., que je ne connaissais pas mais dont certains avaient connu mon père, et du personnel de maison, au chagrin plus authentique et plus difficile à supporter.

Les extra glissaient parmi la foule munis de verres de vin sur des plateaux argentés. J’ai bu plus que de raison jusqu’à ce que Diane se glisse elle aussi au milieu des invités et me sorte d’une autre série de « vraiment toutes mes condoléances » pour me dire : « Tu as besoin de prendre l’air.

— Il fait froid, dehors.

— Si tu continues à boire, tu vas devenir hargneux. Tu n’en es déjà plus très loin. Allez, Ty, viens. Juste quelques minutes. »

Nous sommes sortis sur la pelouse. La pelouse brunie du milieu de l’hiver. La même sur laquelle nous avions assisté aux premiers instants du Spin, vingt ans plus tôt. Nous avons fait le tour de la Grande Maison, une petite promenade, en réalité, malgré la forte brise de mars et la neige poudreuse qui n’avait encore déserté aucun endroit abrité ou ombragé.

Nous avions déjà abordé tous les sujets évidents. Nous avions échangé nos impressions : ma carrière, le déménagement en Floride, mon boulot à Périhélie ; ses années avec Simon, son éloignement du NR vers une orthodoxie plus fade, accueillant l’Extase avec piété et abnégation. (« On ne mange pas de viande, avait-elle confié. On ne porte aucune fibre artificielle. ») Moi qui marchais à côté d’elle avec la tête qui tournait, je me suis demandé si elle me trouvait désormais grossier ou répugnant, si elle s’apercevait à mon haleine que j’avais mangé des biscuits apéritifs jambon-fromage et se rendait compte que je portais une veste en polycoton. Diane n’avait guère changé, même si elle était plus mince, peut-être trop, sa mâchoire se découpant de manière un peu abrupte devant l’étroit col haut.

J’étais assez sobre pour la remercier d’essayer de me faire dessaouler.

« J’avais besoin de m’échapper aussi, a-t-elle répondu. Tous ces invités d’E.D… Aucun n’a vraiment connu ta mère. Aucun. Ils sont là pour parler projets de loi de finances ou tonnages de charge utiles. Pour passer des marchés.

— C’est peut-être de cette manière qu’E.D. rend hommage à ma mère. En assaisonnant sa veillée funèbre de célébrités politiques.

— Voilà une généreuse interprétation.

— Il continue à te mettre en colère. » Si facilement, ai-je pensé.

« E.D. ? Bien entendu. Même s’il serait plus charitable de lui pardonner. Ce que tu sembles avoir fait.

— J’ai moins à lui pardonner, ai-je répondu. Ce n’est pas mon père. »

Je ne voulais rien dire de particulier par là. Mais j’avais encore parfaitement à l’esprit ce que Jason m’avait raconté quelques semaines plus tôt. Je me suis étranglé sur ma remarque, l’ai regrettée avant d’avoir fini de la prononcer et ai rougi tout de suite après. Diane m’a regardé longuement sans comprendre, puis ses yeux se sont si visiblement écarquillés que j’ai pu y déceler colère et embarras dans la faible lumière venant de la véranda.

« Tu as parlé à Jason, a-t-elle affirmé d’un ton froid.

— Je suis désolé…

— Ça se passe comment, au juste ? Lui et toi passez des soirées ensemble à vous moquer de moi ?

— Bien sûr que non. Il… tout ce que Jason m’a raconté, c’était à cause du médicament. »

Un autre faux pas tout aussi ridicule, sur lequel elle a bondi. « Quel médicament ?

— Je suis son médecin. Il m’arrive de lui rédiger des ordonnances. Quelle importance ?

— Quel médicament fait manquer à sa parole, Tyler ? Il avait promis de ne jamais te dire…» Elle est passée à une autre déduction. « Jason est malade ? C’est pour cela qu’il n’est pas venu à l’enterrement ?

— Il est occupé. Nous ne sommes plus qu’à quelques jours des premiers lancements.

— Mais tu le soignes pour quelque chose.

— L’éthique m’interdit de discuter de la santé de Jason », ai-je dit en sachant que cela ne pourrait qu’exacerber ses soupçons, que j’avais fondamentalement trahi le secret de Jason en le gardant.

« Cela lui ressemblerait tellement d’être malade sans en parler à aucun d’entre nous. Il est si, si hermétiquement fermé…

— Tu devrais peut-être prendre l’initiative. L’appeler de temps en temps.

— Tu crois que je ne le fais pas ? Il t’a dit ça aussi ? Je l’appelais toutes les semaines. Mais il faisait un numéro de séduction vide et refusait de dire quoi que ce soit de significatif. Comment vas-tu, moi ça va, quoi de neuf, rien. Il ne voulait pas de mes nouvelles, Tyler. Il est complètement dans le camp d’E.D. Je suis un embarras pour lui. » Elle a marqué un temps d’arrêt. « À moins que ça n’ait changé.

— Je ne sais pas ce qui a changé. Mais tu devrais peut-être le voir, lui parler en tête à tête.

— Et comment ? »

J’ai haussé les épaules. « Prends une autre semaine de congés. Rentre avec moi en Floride.

— Tu m’as dit qu’il était occupé.

— Une fois les lancements commencés, il n’y a plus qu’à attendre. Tu peux venir à Canaveral avec nous. Assister à un événement historique.

— Les lancements ne servent à rien », a-t-elle affirmé, mais j’ai eu l’impression que c’était quelque chose qu’on lui avait appris à dire. Elle a ajouté : « J’aimerais bien, mais je ne peux pas me le permettre. Avec Simon, on s’en sort. Mais on n’est pas riches. On n’est pas les Lawton.

— Je te paye l’avion.

— Tu es généreux quand tu as bu.

— Je parle sérieusement.

— Merci, mais non. Je ne pourrais pas.

— Penses-y.

— Reparle-m’en quand tu auras dessaoulé. » Et tandis que nous remontions les marches, dans la lumière jaune lui ombrant les yeux, elle a ajouté : « Quoi que j’aie pu croire un jour… quoi que j’aie pu raconter à Jason…

— Tu n’as pas besoin de le dire, Diane.

— Je sais qu’E.D. n’est pas ton père. »

Le plus intéressant dans ce démenti était la manière dont elle l’avait prononcé. D’un ton ferme, définitif. Comme si elle avait gagné en sagesse. Comme si elle avait découvert une vérité différente, une autre clef des mystères Lawton.

Diane est rentrée dans la Grande Maison. J’ai décidé ne plus pouvoir supporter d’expressions de compassion et regagné la demeure de ma mère, qui m’a semblé étouffante et surchauffée.