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Le lendemain, Carol m’a accordé du temps pour débarrasser les affaires de ma mère, ce qu’elle a appelé « prendre mes dispositions ». « La Petite Maison ne va pas s’envoler, a-t-elle dit. Prends un mois. Un an. » Je pouvais attendre pour « prendre mes dispositions » d’avoir le temps et de m’en sentir le courage.

Le courage ne serait pas pour tout de suite, loin de là, mais je l’ai remerciée pour sa patience et j’ai passé la journée à faire mes bagages afin de rentrer en Floride en avion. Je ne pouvais me débarrasser du sentiment que je devais emporter quelque chose ayant appartenu à ma mère, qu’elle aurait voulu que je garde un souvenir pour ma propre boîte à chaussures. Mais qu’emporter ? Une de ses figurines Hummel auxquelles elle tenait tant et qui m’avaient toujours paru aussi kitsch que coûteuses ? Le papillon au point de croix accroché au mur du salon, la reproduction des Nénuphars dans son cadre à monter soi-même ?

Diane est arrivée à la porte pendant que je réfléchissais. « L’offre tient toujours ? Pour le voyage en Floride ? Tu parlais sérieusement ?

— Bien entendu.

— Parce que j’en ai discuté avec Simon. L’idée ne le ravit pas, mais il pense pouvoir se débrouiller tout seul encore quelques jours. »

Rudement aimable de sa part, ai-je pensé.

« Et donc, a-t-elle dit, à moins que… je veux dire, je sais que tu avais bu…

— Ne sois pas ridicule. Je vais appeler la compagnie aérienne. »

J’ai réservé une place pour Diane dans le premier vol Washington/Orlando du lendemain.

Puis j’ai bouclé mes bagages. Parmi les affaires de ma mère, j’ai fini par opter pour les serre-livres ébréchés en jade.

J’ai regardé dans toute la maison, j’ai même vérifié sous les lits, mais la boîte SOUVENIRS (ÉCOLE) manquante semblait avoir disparu à tout jamais.

Clichés de l’écopoïèse

Jason a suggéré que nous prenions des chambres à Cocoa Beach et y attendions son arrivée le lendemain. Il effectuait une dernière série de rencontres avec les médias à Périhélie mais avait libéré son agenda pour les lancements, auxquels il voulait assister sans qu’une équipe de CNN le harcèle de questions stupides.

« Super, a dit Diane lorsque je lui ai transmis cette information. Je vais pouvoir toutes les poser moi-même. »

J’avais réussi à calmer ses angoisses quant à la santé de Jason : non, il n’était pas mourant, et tout problème médical temporaire ne regardait que lui. Elle a accepté cela, du moins en apparence, mais elle tenait toujours à voir son frère, ne serait-ce que pour se rassurer, comme si le décès de ma mère avait ébranlé sa foi dans les étoiles fixes de l’univers Lawton.

J’ai donc utilisé mes papiers d’identité Périhélie et mon lien avec Jase pour nous louer deux suites voisines dans un Holiday Inn avec vue sur Canaveral. Peu après la conception du projet Mars – une fois les objections de l’Agence de protection de l’environnement notées et ignorées –, on avait construit une douzaine de plates-formes de lancement en eau peu profonde au large de l’île Merritt. C’était ces structures-là que l’on voyait le mieux de l’hôtel. Le reste de la vue consistait en parkings, en plages et en eau bleue.

Nous nous trouvions sur le balcon de la suite de Diane. Nous étions venus en voiture d’Orlando, Diane avait pris une douche et changé de vêtements, et nous nous apprêtions à descendre affronter le restaurant de l’hôtel. La moitié des autres balcons présents dans notre champ de vision se hérissaient d’objectifs et de caméras : le Holiday Inn était l’hôtel affecté aux médias. (Simon pouvait se méfier de la presse séculaire, Diane s’y retrouvait soudain plongée jusqu’au cou.) On ne voyait pas le coucher du soleil, mais sa lumière se reflétait au loin sur les portiques et les fusées, les rendant plus éthérés que réels, escadron de robots géants en marche vers une bataille se déroulant dans une fosse sous-marine au milieu de l’Atlantique. Diane s’est éloignée de la balustrade comme si le spectacle l’effrayait. « Pourquoi y en a-t-il autant ?

— Écopoïèse à la chevrotine. »

Elle a ri de manière un peu réprobatrice. « C’est une des expressions de Jason ? »

Non, du moins pas vraiment. Le terme « écopoïèse » avait été formé par un dénommé Robert Haynes en 1990, à une époque où la terraformation, alias écogenèse, restait une science purement spéculative. Techniquement, il désignait la création d’une biosphère anaérobie autorégulée là où il n’en existait aucune, mais dans son usage moderne, le mot désignait n’importe quelle modification purement biologique de Mars. Verdir Mars faisait intervenir deux genres d’ingénierie planétaire : une terraformation sommaire, afin d’élever la température de surface et la pression atmosphérique à un niveau acceptable pour le développement de la vie, et une écopoïèse : l’utilisation de vie microbienne et végétale pour conditionner le sol et oxygéner l’air.

Le Spin avait déjà accompli le plus difficile à notre place. Toutes les planètes du système solaire, à l’exception de la Terre, avaient vu leur température augmenter de manière significative suite à l’expansion du Soleil. Il ne restait plus à effectuer que la tâche plus subtile de l’écopoïèse. Mais cela pouvait passer par de nombreux chemins, de nombreux organismes candidats, de la bactérie vivant dans les rochers jusqu’aux mousses alpines.

« À la chevrotine parce que vous les envoyez toutes, a présumé Diane.

— Toutes et autant que possible, car on n’a aucune garantie qu’un des organismes s’adaptera et survivra. Mais il n’est pas impossible que cela se produise.

— Il y en aura peut-être même plus d’un.

— Tant mieux. On cherche à obtenir une écologie, pas une monoculture. » En fait, les lancements seraient échelonnés avec précision. La première vague ne transporterait que des organismes anaérobies et photoautotrophiques, formes de vie simples qui n’avaient pas besoin d’oxygène et tiraient leur énergie de la lumière solaire. S’ils se développaient et mouraient en nombre suffisant, ils créeraient une couche de biomasse pour nourrir des écosystèmes plus complexes. La vague suivante, un an plus tard, introduirait des organismes oxygénateurs, et les derniers lancements inhabités emporteraient des plantes primitives chargées de fixer le sol et de réguler les cycles pluie/évaporation.

« Toute cette histoire semble tellement improbable.

— On vit une époque improbable. De toute manière, on n’est pas sûrs que cela va fonctionner.

— Et alors, si cela ne fonctionne pas ? »

J’ai haussé les épaules. « Qu’aurons-nous perdu ?

— Beaucoup d’argent. Beaucoup d’efforts.

— Je ne leur imagine pas meilleur usage. Oui, c’est un pari, et non, ce n’est pas garanti, mais les gains potentiels valent le coût. Et tout le monde en a bénéficié, du moins jusqu’à maintenant. Au point de vue moral du pays et promotion de la coopération internationale.

— Mais vous aurez induit en erreur beaucoup de gens ordinaires. Vous les aurez convaincus que le Spin est gérable, qu’on peut y trouver une solution technologique.

— On leur aura donné de l’espoir, tu veux dire.

— Le mauvais genre d’espoir. Et si vous échouez, vous ne leur en laissez pas le moindre.

— Qu’aurais-tu voulu qu’on fasse, Diane ? Qu’on batte en retraite sur nos tapis de prière ?

— Cela ne serait pas revenu à admettre la défaite, loin de là… la prière, je veux dire. Et si vous réussissez, l’étape suivante consiste à envoyer des gens ?

— Oui. Si nous verdissons la planète, nous y envoyons des gens. » Projet bien plus difficile et bien plus complexe sur le plan éthique. Nous expédierions des volontaires par équipes de dix. Ils auraient à subir un trajet d’une longueur imprévisible dans des quartiers ridiculement exigus en se nourrissant de rations limitées. Ils auraient à supporter, après des mois d’apesanteur, un freinage atmosphérique à un delta-V quasi mortel suivi d’une descente périlleuse vers la surface de la planète. Si tout se passait bien, et si leur maigre matériel de survie effectuait sa descente parallèle pour se poser non loin d’eux, il leur faudrait apprendre à survivre dans un environnement mal adapté à l’habitat humain. Le but de leur mission n’était pas de revenir sur Terre mais de vivre assez longtemps pour se reproduire en nombre suffisant et transmettre à leur progéniture un mode d’existence viable.