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— Heureux homme.

— Oui, vraiment. Tu ne peux pas t’en apercevoir, mais il est très paisible. Il a trouvé une espèce de sérénité au Tabernacle du Jourdain. Il peut regarder le Spin en face le sourire aux lèvres, parce qu’il se sait sauvé.

— Et toi ? Tu n’es pas sauvée ? »

Elle a laissé un long silence parcourir la ligne téléphonique entre nous. « J’aimerais que ce soit une question simple. J’aimerais vraiment. Je n’arrête pas de me dire que ce n’est peut-être pas à cause de ma foi. Peut-être Simon a-t-il assez de foi pour nous deux. Peut-être sa foi est-elle assez puissante pour m’englober un moment. Il s’est montré très patient avec moi, en fait. On ne se dispute jamais, sauf au sujet des enfants. Simon aimerait en avoir. L’Église l’encourage. Et je le comprends, mais avec nos problèmes d’argent et… tu sais… le monde tel qu’il est…

— Ce n’est pas une décision qu’on prend sous la pression.

— Je ne veux pas sous-entendre qu’il fait pression sur moi. Il me dit : “Remets-t’en à Dieu”. Remets-t’en à Dieu et tout se passera bien.

— Mais tu es trop intelligente pour y croire.

— Vraiment ? Oh, Tyler, j’espère que non. J’espère que ce n’est pas vrai. »

Molly, d’un autre côté, n’avait aucun usage de ce qu’elle appelait « toutes ces conneries de religion ». Chacune pour soi, voilà en quoi consistait sa philosophie. Surtout, disait-elle, si le monde tombait en ruine et si aucun de nous n’allait dépasser le demi-siècle. « Je n’ai pas l’intention de passer ce temps-là à genoux. »

Elle était coriace de nature. Ses parents, producteurs laitiers, avaient passé dix ans à se battre en justice contre l’exploitation d’extraction de pétrole établie sur les sables bitumineux en bordure de leur propriété, qu’elle intoxiquait petit à petit. Ils avaient fini par céder cette dernière en contrepartie d’un règlement à l’amiable assez généreux pour leur assurer une retraite confortable ainsi qu’une éducation décente à leur fille. Mais c’était le genre d’expérience, disait Molly, qui filerait des durillons au cul d’un ange.

L’évolution du paysage social la surprenait rarement. Un soir, nous regardions à la télévision un sujet sur les émeutes à Stockholm. Une foule de pêcheurs de cabillaud et de religieux radicaux lançaient des briques dans les vitrines et incendiaient des automobiles ; des hélicoptères de police aspergeaient les émeutiers de gel trébuchant jusqu’à ce que la majeure partie de Gamla Stan ressemble un peu à ce qu’aurait pu expectorer un Godzilla tuberculeux. J’ai émis, sur le mauvais comportement des gens en proie à la peur, un commentaire stupide qui a provoqué la réaction suivante de la part de Molly : « Allons, Tyler, tu ne vas pas me faire croire que tu ressens de la sympathie pour ces enfoirés ?

— Je n’ai pas dit cela, Molly.

— Le Spin leur donnerait le droit de mettre à sac leur Parlement juste parce qu’ils ont peur ?

— Ce n’est pas une excuse. Mais une raison. Ils n’ont pas d’avenir. Ils se croient condamnés par le destin.

— Condamnés à mourir. Eh bien, bienvenue dans la condition humaine. Ils vont mourir, tu vas mourir, je vais mourir… cela a-t-il jamais été autrement ?

— Nous sommes tous mortels, mais nous avions la consolation de savoir que l’humanité nous survivrait.

— Sauf que les espèces peuvent mourir aussi. Le seul changement, c’est que soudain, cela ne se passera pas dans un lointain avenir. Il est possible que nous mourions tous ensemble et d’une manière spectaculaire dans quelques années… mais ce n’est même qu’une possibilité. Les Hypothétiques pourraient nous garder plus longtemps dans les environs. Pour je ne sais quelle raison insaisissable.

— Tu n’en as pas peur ?

— Bien sûr que si ! Tout cela m’effraie. Ce n’est pas une raison pour aller tuer des gens. » Elle a esquissé un geste en direction du téléviseur. Quelqu’un avait lancé une grenade dans le Riksdag. « C’est tellement, tellement stupide. Cela n’avance à rien. C’est un déchaînement hormonal. C’est simiesque.

— Tu ne peux pas prétendre ne pas en être affectée. »

Elle a ri, ce qui m’a surpris. « Non… ça, c’est ton style, pas le mien.

— Vraiment ? »

Elle a baissé la tête avant de la relever en me regardant presque d’un air de défi. « La manière dont tu prétends être cool en ce qui concerne le Spin.

Comme celle dont tu es cool en ce qui concerne les Lawton. Ils se servent de toi, ils t’ignorent, et tu souris comme s’il n’y avait rien de plus normal. » Elle m’a observé, guettant ma réaction. J’étais trop têtu pour lui en faire grâce d’une. « Je pense juste qu’il y a de meilleurs moyens de vivre en attendant la fin du monde. »

Mais elle n’a pas voulu me dire en quoi consistaient ces moyens.

Toutes les personnes embauchées à Périhélie avaient signé un engagement de confidentialité et les autorités avaient procédé sur leur compte à un contrôle d’antécédents ainsi qu’à une enquête de sécurité. Nous nous montrions discrets et respections la nécessaire interdiction de parler à l’extérieur de sujets importants. Les fuites pouvaient effrayer les comités parlementaires, embarrasser des alliés puissants, détourner le financement.

Mais un Martien vivait désormais sur le campus – on avait converti l’essentiel de l’aile nord en quartiers temporaires pour Wun Ngo Wen et le personnel chargé de s’occuper de lui –, ce qui constituait un secret difficile à garder.

Il ne pouvait de toute manière plus être gardé très longtemps. À l’arrivée en Floride de Wun, une bonne partie de l’élite de Washington et plusieurs chefs d’État étrangers connaissaient déjà son existence. Le ministère des Affaires étrangères lui avait accordé le statut légal idoine et prévoyait de le présenter sur la scène internationale au moment opportun. On avait commencé à le préparer pour l’inévitable frénésie médiatique.

Son arrivée aurait pu et peut-être dû être gérée différemment. On aurait pu le faire passer par les Nations unies et rendre aussitôt sa présence publique.

L’administration Garland se ferait rappeler à l’ordre pour l’avoir caché. Le parti conservateur chrétien laissait déjà entendre que « le gouvernement en sait davantage qu’il ne le dit sur les résultats du projet de terraformation » en espérant attirer le président ou son successeur potentiel, Lomax, sur le terrain de la critique. Des critiques, il y en aurait forcément, mais Wun avait exprimé son souhait de ne pas devenir un sujet électoral. Il voulait rendre sa présence publique mais disait attendre pour cela le scrutin présidentiel de novembre.

Sauf que l’existence de Wun Ngo Wen n’était que le plus insignifiant des secrets entourant son arrivée. Il y en avait d’autres. Qui nous ont fait passer un été étrange, à Périhélie.

En août, Jason m’a appelé dans l’aile nord. Je l’ai retrouvé dans son bureau – son véritable bureau, pas la suite meublée avec goût dans laquelle il accueillait presse et visiteurs officiels : un cube sans fenêtre doté d’une table de travail et d’un sofa. Perché sur sa chaise entre deux piles de journaux scientifiques, vêtu d’un Levi’s et d’un sweat-shirt crasseux, il avait l’air d’avoir poussé dans ce désordre comme un légume hydroponique. Il suait. Ce qui n’était jamais bon signe chez lui.

« Je recommence à perdre mes jambes », m’a-t-il annoncé.