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J’ai dégagé une partie du sofa, je me suis assis et j’ai attendu qu’il développe.

« J’ai eu quelques petites crises ces deux dernières semaines. Rien d’inhabituel, des fourmillements le matin. Rien que je ne puisse contourner. Mais ça ne passe pas. En fait, ça empire. Je pense qu’on pourrait avoir besoin d’ajuster le traitement. »

Peut-être. Mais je n’appréciais vraiment pas ce que ce traitement lui avait fait. À l’époque, Jase avalait chaque jour une poignée de pilules : des stimulateurs de myéline pour ralentir la perte du tissu nerveux, des amplificateurs neurologiques pour aider le cerveau à recâbler les parties endommagées, et d’autres médicaments pour traiter les effets secondaires de ceux-ci. Pouvait-on augmenter le dosage ? Possible. Sauf que nous approchions déjà dangereusement du seuil de toxicité. Jase avait perdu du poids, et peut-être plus important encore, un certain équilibre émotionnel. Il parlait plus vite et souriait moins qu’auparavant. Lui qui jusque-là avait semblé à l’aise dans son corps se déplaçait désormais comme une marionnette : lorsqu’il a tendu le bras pour prendre une tasse, sa main a dépassé la cible et a dû rebrousser un peu chemin pour une seconde interception.

« De toute manière, ai-je rappelé, il faut demander l’avis du Dr Malmstein.

— Il m’est absolument impossible de m’absenter assez longtemps pour le voir. Les choses ont changé, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. On ne peut pas le consulter par téléphone ?

— Peut-être. Je demanderai.

— Entre-temps, tu peux me rendre un autre service ?

— Lequel, Jase ?

— Expliquer mon problème à Wun. Lui dénicher un ou deux manuels sur le sujet.

— Des manuels médicaux ? Pourquoi, il est médecin ?

— Pas vraiment, mais il a apporté beaucoup d’informations. Les sciences biologiques martiennes ont une avance considérable sur les nôtres. » (Il a dit cela avec un sourire grimaçant que j’ai été incapable d’interpréter.) « Il pense pouvoir éventuellement m’aider.

— Tu plaisantes ?

— Pas du tout. Arrête de prendre cet air scandalisé. Tu lui parleras ? »

Un homme d’une autre planète. Un homme avec cent mille ans d’histoire martienne derrière lui. « Euh, ouais, ai-je dit. Ce sera un honneur pour moi de lui parler, mais…

— Je vais arranger cela, alors.

— Mais s’il possède bel et bien des connaissances médicales capables de guérir la SEP, il faut qu’il entre en contact avec de meilleurs médecins que moi.

— Wun a apporté tout un lot d’encyclopédies. Il y a déjà des gens en train de parcourir les archives martiennes – du moins en partie – à la recherche d’informations utiles, dans le domaine médical et dans d’autres. C’est juste un point de détail.

— Cela me surprend qu’il ait le temps de s’occuper d’un point de détail.

— Il s’ennuie davantage que tu pourrais le penser. Et il manque d’amis. J’ai pensé qu’il pourrait apprécier de passer un peu de temps avec quelqu’un qui ne le prend ni pour un sauveur, ni pour une menace. Mais à court terme, j’aimerais quand même que tu parles à Malmstein.

— Bien entendu.

— Et appelle-le de chez toi, d’accord ? Je n’ai plus confiance dans les téléphones d’ici. »

Il a souri comme s’il avait dit quelque chose d’amusant.

Cet été-là, il m’est arrivé d’aller me promener sur la plage publique, de l’autre côté de la route passant devant chez moi.

On ne pouvait vraiment parler de plage, d’ailleurs : une langue de terre non exploitée la protégeait de l’érosion et la rendait inutilisable aux surfeurs. Par les après-midi de chaleur, les vieux motels examinaient le sable de leurs yeux vitreux et quelques touristes trempaient sans enthousiasme leurs pieds dans les vagues.

Je suis allé réinstaller sur une passerelle en bois brûlant suspendue au-dessus de touffes d’herbe, de laquelle j’ai regardé les nuages s’épaissir à l’est sur l’horizon en réfléchissant à ce qu’avait dit Molly : je feignais d’être cool sur le Spin (et les Lawton), je simulais une sérénité que je ne pouvais ressentir.

Je ne voulais pas me montrer injuste avec Molly. Peut-être était-ce de cette manière que je lui apparaissais.

« Spin » était un nom idiot mais inévitable pour ce qu’avait subi la Terre. Je veux dire, il était physiquement inexact – rien ne tournait vraiment plus fort ou plus vite qu’avant – mais métaphoriquement adapté. En réalité, la Terre était plus statique que jamais. Mais avait-on l’impression qu’elle tournait comme prise dans un tourbillon incontrôlable ? Dans tous les sens importants du terme, oui. Il fallait s’accrocher à quelque chose ou glisser dans l’oubli.

Alors peut-être bien que je m’accrochais aux Lawton, pas seulement à Jason et Diane mais à tout leur monde, à la Grande Maison et la Petite, aux loyautés d’une enfance passée. Peut-être n’existait-il rien d’autre auquel je puisse m’agripper. Et peut-être n’y avait-il pas forcément de mal à cela. Si Molly avait raison, il nous avait fallu, à tous, nous agripper à quelque chose ou nous retrouver perdus. Diane s’était agrippée à la foi, Jason à la science.

Et moi à Diane et Jason.

J’ai quitté la plage lorsque les nuages se sont approchés, l’un de ces inévitables grains des après-midi de fin août, le ciel à l’est agité d’éclairs, la pluie commençant à fouetter les tristes balcons pastel des motels. Je suis arrivé chez moi trempé. Mes habits mettraient des heures à sécher dans l’atmosphère humide. À la tombée de la nuit, la tempête s’était éloignée, laissant toutefois dans son sillage une tranquillité lourde et fétide.

Molly est venue après le dîner et nous avons téléchargé un film récent, une de ces comédies de mœurs victorienne qu’elle affectionnait. Elle est ensuite allée nous préparer un verre dans la cuisine pendant que j’appelais David Malmstein sur le téléphone de la chambre d’amis. Malmstein m’a dit qu’il aimerait voir Jase « dès qu’il pourrait se libérer » mais ne voyait a priori aucun problème pour augmenter le traitement de quelques crans, du moment que Jase et moi nous efforcions de repérer toute réaction intempestive.

En sortant de la chambre après avoir raccroché, j’ai trouvé Molly dans le couloir, un verre dans chaque main et le visage perplexe. « Où étais-tu passé ?

— Je donnais juste un coup de fil.

— Important ?

— Non.

— Tu vérifiais l’état d’un patient ?

— Quelque chose dans le genre », ai-je répondu.

Au cours des jours qui ont suivi, Jase m’a organisé une rencontre avec Wun Ngo Wen dans les quartiers de ce dernier à Périhélie.

L’ambassadeur martien habitait une pièce qu’à l’aide de catalogues, il avait ornée à son goût de meubles en osier bas et légers. Un tapis à longs poils recouvrait le linoléum. Un bureau simple en pin brut, assorti à plusieurs bibliothèques, accueillait un ordinateur. Apparemment, les Martiens décoraient leurs logements comme des étudiants venant de se marier.

J’ai fourni à Wun la documentation technique demandée : deux livres sur l’étiologie et le traitement de la sclérose en plaques, plus une série de tirés à part du Journal of American Medical Association sur la SEPA. La SEPA, dans l’état actuel de la réflexion, n’était en réalité pas du tout une SEP, mais une maladie complètement différente, un trouble génétique qui avait les mêmes symptômes que la SEP et provoquait la même dégradation des gaines de myéline entourant les fibres nerveuses. La SEPA s’en différenciait par sa gravité, sa progression rapide et sa résistance aux thérapies habituelles. Wun a dit qu’il connaissait mal cette maladie mais qu’il chercherait des informations dans ses archives.