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Le policier a émis un grognement outragé. Le plancher a bougé à nouveau.

Des bruits de pas, un instant de silence, une porte claquée, puis la voiture du policier (j’imagine) naissant à une vie vengeresse et une furieuse grêle de gravier projetée par des pneus.

Ina a soulevé le couvercle de mon sarcophage.

Je me suis redressé dans la puanteur de ma sueur. « Que s’est-il passé ?

— C’était Aji. Du village. Un cousin à moi. Il a forcé le barrage pour distraire la police. » Elle était pâle mais soulagée. « J’ai peur qu’il conduise comme un ivrogne.

— Il a fait ça pour que la police nous lâche la grappe ?

— Quelle expression pittoresque. Oui. Nous roulons en convoi, vous vous souvenez ? Il y a d’autres voitures, des téléphones portables, il a su ce qui nous arrivait. Il risque une amende ou une réprimande, rien de plus grave. »

J’ai inspiré l’air, que j’ai trouvé doux et frais. J’ai regardé Eng. Il m’a adressé un sourire un peu tremblant.

« Vous serez gentille de me présenter à Aji à notre arrivée à Padang, ai-je dit. Je veux le remercier d’avoir fait semblant d’être ivre. »

Ina a roulé des yeux. « Hélas, Aji ne faisait pas semblant. C’est un ivrogne. Une offense aux yeux du prophète. »

Dehors, Nijon nous a regardés, puis, avec un clin d’œil, a refermé les portières.

« Eh bien, on a eu chaud », a dit Ina. Elle a posé la main sur mon bras.

Je me suis excusé de lui avoir laissé prendre le risque.

« Sottises. Nous sommes amis, maintenant. Et ce n’est pas un si grand risque. Les policiers peuvent être difficiles, mais au moins ce sont des gens d’ici et ils sont obligés de suivre certaines règles… pas comme les types de Jakarta, le Nouveau Reformasi ou je ne sais quoi, ceux qui ont incendié ma clinique. Et je suppose que vous prendriez vous-même des risques pour nous. Vous le feriez, Pak Tyler ?

— Oui, je le ferais. »

Sa main tremblait. Elle m’a regardé dans les yeux. « Mon Dieu, je crois que c’est vrai. »

Non, nous n’avions pas un seul instant conquis la mort, nous avions juste conçu des sursis (la pilule, la poudre, l’angioplastie, le Quatrième Âge), promulgué notre conviction que prolonger la vie, même un tout petit peu, pourrait produire le plaisir ou la sagesse que nous voulions ou dont nous avions manqué durant celle-ci. Personne ne rentrait chez soi, après un triple pontage ou un traitement de longévité, en espérant vivre pour l’éternité. Lazare lui-même est sorti de la tombe en sachant qu’il mourrait à nouveau.

Mais il en est sorti. Il est sorti avec reconnaissance. J’étais reconnaissant.

Les endroits froids de l’univers

Un vendredi soir, en arrivant chez moi après une réunion tardive à Périhélie, j’ai ouvert la porte et découvert Molly en train de pianoter sur le clavier de mon terminal PC.

Celui-ci était installé dans le coin sud-ouest du salon, contre une fenêtre, dos à la porte. Molly s’est à demi retournée, l’air surpris. Au même moment, d’un geste rapide, elle a cliqué sur l’icône fermant le programme en cours d’utilisation.

« Molly ? »

Cela ne m’étonnait pas de la trouver chez moi. Nous passions la plupart des week-ends ensemble et je lui avais donné un double des clés. Mais elle n’avait jamais manifesté le moindre intérêt pour mon PC.

« Tu n’as pas appelé », a-t-elle dit.

Je sortais d’une réunion avec les représentants de la compagnie assurant la couverture médicale des employés de Périhélie. On m’avait prévenu qu’elle risquerait de durer deux heures mais comme elle s’était limitée à vingt minutes de mise à jour de la politique de facturation, j’ai pensé ensuite qu’il serait plus rapide de rentrer tout simplement chez moi et que j’y arriverais peut-être même avant Molly si jamais elle s’arrêtait acheter du vin. Tel a été sur moi l’effet du long regard franc de Molly que je me suis senti obligé de lui expliquer tout cela avant de lui demander ce qu’elle trafiquait dans mes fichiers.

Elle a ri alors que je traversais la pièce, un de ces rires d’excuse embarrassés : Tu vois dans quelle situation bizarre tu me surprends ? Sa main droite s’est déplacée sur le touchpad du PC. Molly s’est retournée vers le moniteur. Sur l’écran, le curseur a plongé vers l’icône d’extinction.

« Attends, ai-je dit.

— Pourquoi, tu en as besoin ? »

Le curseur a mis le cap sur sa cible. J’ai posé ma main sur celle de Molly. « En fait, j’aimerais savoir ce que tu faisais. »

Elle était tendue. Une veine puisait sur la peau rose juste devant son oreille. « Je prenais mes aises. Mmh, peut-être un peu trop ? Je ne pensais pas que cela te gênerait.

— Que quoi me gênerait, Molly ?

— Que j’utilise ton terminal.

— Que tu l’utilises pour quoi ?

— Pour rien, en fait. Je regardais juste. »

Mais ce ne pouvait être la machine qui excitait sa curiosité. Le terminal, âgé de cinq ans, était presque une antiquité. Molly utilisait du matériel plus sophistiqué à la clinique. Et j’avais reconnu le programme fermé avec une telle hâte à mon arrivée : mon gestionnaire personnel, dont je me servais pour payer mes factures, équilibrer mes comptes et mémoriser mes contacts.

« On aurait dit une feuille de calcul, ai-je dit.

— Je me suis promenée là-dedans. Ton bureau m’a perturbée. Tu vois ce que je veux dire. Les gens n’organisent pas tous leurs affaires de la même manière. Désolée, Tyler. Je me suis comportée de manière arrogante, j’imagine. » Elle a dégagé sa main de sous la mienne et a cliqué sur l’icône d’extinction. Le bureau s’est minimisé et j’ai entendu le ventilateur du processeur s’arrêter. Molly s’est levée en ajustant son chemisier. Elle arrangeait toujours un peu son apparence en se levant. Elle remettait les choses en ordre. « Et si j’allais préparer le dîner ? » Elle m’a tourné le dos et s’est dirigée vers la cuisine.

Je l’ai regardée disparaître derrière les portes battantes. J’ai compté jusqu’à dix avant de la suivre.

Elle décrochait des casseroles du râtelier mural. Elle m’a jeté un coup d’œil avant de détourner le regard.

« Molly, ai-je dit. S’il y a quelque chose que tu veux savoir, il suffit de demander.

— Ah. Il suffit juste de demander ? D’accord.

— Molly…»

Elle a posé une casserole sur la cuisinière avec un soin exagéré, comme si elle craignait de la casser. « Tu as besoin que je m’excuse une nouvelle fois ? D’accord, Tyler. Je suis désolée d’avoir joué avec ton terminal sans ta permission.

— Je ne t’accuse de rien, Molly.

— Alors pourquoi est-ce qu’on en parle ? Je veux dire, pourquoi est-ce qu’on a l’air partis pour en parler toute la soirée ? » Ses yeux se sont humidifiés. Ses lentilles émeraude ont pris une teinte plus sombre. « Bon, j’étais un peu curieuse de toi.

— De mes factures d’eau et d’électricité ?

— De toi. » Elle a tiré une chaise de cuisine, dont le pied s’est accroché dans celui de la table. Elle l’a dégagée d’une secousse et s’est assise, les bras croisés. « Oui, peut-être même des choses sans intérêt. Voire surtout de celles-là. » Elle a fermé les yeux et secoué la tête. « Quand je dis ça, j’ai l’air d’une groupie harcelant son idole. Mais oui, tes factures d’eau et d’électricité, la marque de ton dentifrice, ta pointure, oui.