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— Rassieds-toi, Jase. Laisse-moi t’examiner. » J’avais apporté ma trousse. J’ai relevé sa manche et installé un tensiomètre sur son bras maigre. Sous la peau, je sentais le muscle se contracter, à peine contrôlé.

Il avait une pression sanguine élevée et le pouls trop rapide. « Tu as pris tes anticonvulsifs ?

— Oui, je les ai pris, ces anticonvulsifs de merde, évidemment.

— À l’heure prévue ? Sans dépasser la dose prescrite ? Parce que si tu en prends trop, Jase, tu te fais plus de mal que de bien. »

Il a soupiré d’un air impatient. Puis il a agi d’une manière surprenante. Il a tendu la main derrière ma tête et m’a douloureusement attrapé par les cheveux, avant de tirer vers le bas jusqu’à ce que mon visage se retrouve près du sien. Les mots se sont échappés de sa bouche comme une rivière déchaînée.

« Ne me fais pas la leçon, Tyler. Ne le fais pas, parce que je ne peux pas me le permettre en ce moment. Tu as peut-être des problèmes avec mon traitement. Je suis désolé, mais ce n’est pas le moment de me ressortir tes foutus principes. L’enjeu est trop grand. E.D. arrive à Périhélie demain matin. E.D. pense avoir un atout à jouer. E.D. préférerait nous faire fermer plutôt que me laisser m’emparer de sa saloperie de trône. Je ne peux pas permettre que cela se produise. Et regarde-moi : j’ai l’air en état de commettre un parricide ? » Il a resserré sa prise à m’en faire mal – il avait toujours assez de force pour cela – avant de me lâcher et de me repousser de l’autre main. « Alors RÉPARE-MOI ! C’est à ça que tu sers, non ? »

J’ai tiré une chaise sur laquelle je me suis assis sans un mot jusqu’à ce que Jason retombe sur le canapé, épuisé par son accès de colère. Il m’a regardé sortir une seringue de ma sacoche et la remplir à un petit flacon brun.

« Qu’est-ce que c’est ?

— Un soulagement temporaire. » Il s’agissait en réalité d’un inoffensif mélange de vitamines B associé à un tranquillisant léger. Jason l’a regardé d’un air soupçonneux mais m’a laissé le lui injecter dans le bras. Une minuscule perle de sang est apparue lorsque j’ai retiré l’aiguille.

« Tu sais déjà ce que j’ai à te dire, lui ai-je lancé. Il n’y a pas de remède à ce problème.

— Pas de remède terrestre.

— Que veux-tu dire par là ?

— Tu le sais très bien. »

Il parlait du traitement de longévité de Wun Ngo Wen.

La reconstruction, nous avait appris celui-ci, était aussi le remède à une longue liste de maladies génétiques incapacitantes. Il purgerait l’ADN de Jason de la SEPA, inhibant les mauvaises protéines qui érodaient son système nerveux. « Mais cela prendrait des semaines, ai-je objecté. De toute manière, je ne peux pas accepter qu’on fasse de toi le cobaye d’une procédure non testée.

— Comment ça, non testée ? Les Martiens s’en servent depuis des siècles, et ils sont aussi humains que nous. De toute manière, Tyler, je suis désolé, mais tes scrupules professionnels ne m’intéressent pas vraiment. Ils ne font tout simplement pas partie de l’équation.

— Et pourtant si. Pour autant que je sois concerné.

— La question est donc : jusqu’à quel point es-tu concerné ? Si tu ne veux pas en faire partie, retire-toi.

— Le risque…

— C’est moi qui le cours, pas toi. » Il a fermé les yeux. « Ne prends pas cela pour de l’arrogance ou de la vanité, mais que je meure ou que je vive, voire que je puisse marcher droit ou prononcer mes p-putains de consonnes, cela fait une grosse différence. Pour le monde entier. Parce que je suis dans une position d’une importance unique. Et pas par hasard. Pas grâce à mon intelligence ou à ma vertu. J’ai été désigné. À la base, Tyler, je suis un artefact, un objet construit, conçu par E.D. Lawton de la même manière que ton père et lui concevaient des plans de sustentation. Je fais le travail pour lequel il m’a construit : je gère Périhélie, je gère la réaction humaine au Spin.

— Le président ne serait peut-être pas d’accord. Sans parler du Congrès. Ni des Nations unies, d’ailleurs.

— Je t’en prie. Je ne suis pas en plein délire. Justement. Gérer Périhélie signifie jouer la comédie aux parties intéressées. Toutes autant qu’elles sont. E.D. le sait très bien : il se montre d’un cynisme sans pareil sur le sujet. Il a transformé Périhélie en bonne aubaine pour l’industrie aérospatiale, et il y est arrivé en se liant d’amitié ou en nouant des alliances politiques avec des gens haut placés. En amadouant, suppliant, faisant pression, finançant des campagnes. Il avait une vision, il avait des relations et il se trouvait au bon endroit au bon moment : il a pu proposer le programme aérostats et sauver du Spin l’industrie des télécommunications, ce qui l’a propulsé dans l’entourage de personnes puissantes… et il sait exploiter une opportunité. Sans E.D., il n’y aurait pas d’humains sur Mars. Sans E.D. Lawton, Wun Ngo Wen n’existerait pas. Reconnais cela à ce vieux con. C’est un grand homme.

— Mais ?

— Mais c’est un homme de son époque. Pré-Spin. Aux motivations archaïques. Le flambeau a changé de main. Ou il va changer de main, si j’y arrive.

— Je ne sais pas ce que tu veux dire par là, Jase.

— E.D. pense toujours pouvoir retirer un avantage personnel de tout cela. Il en veut à Wun Ngo Wen et il déteste l’idée d’ensemencer la galaxie de réplicateurs, pas parce qu’il trouve ça trop ambitieux, mais parce que c’est mauvais pour les affaires. Le projet Mars a injecté des milliards de dollars dans l’aérospatiale. Il a rendu E.D. plus riche et plus puissant qu’il avait jamais rêvé d’être. Cela l’a fait connaître de tous. Et E.D. pense toujours que cela a de l’importance. Il pense que cela a autant d’importance qu’avant le Spin, quand on pouvait faire de la politique comme on joue, prendre des risques pour remporter la mise. Mais la proposition de Wun ne paye pas de cette manière. Lancer des réplicateurs est un investissement dérisoire, comparé à la terraformation de Mars. Il suffit de deux Delta 7 et d’un moteur ionique bon marché. D’un lance-pierres et d’une éprouvette, en fait.

— Pourquoi est-ce mauvais pour E.D. ?

— Cela n’aide guère à protéger une industrie en train de s’effondrer. Cela mine ses soutiens financiers. Pire, cela le sort du feu des projecteurs. Tout le monde va se tourner d’un coup vers Wun Ngo Wen… nous ne sommes qu’à deux semaines d’une tempête médiatique sans précédent… et Wun m’a choisi pour vendre son projet. La dernière chose que souhaite E.D., c’est qu’un fils ingrat et un Martien ridé démantèlent l’œuvre de sa vie et lancent une armada moins coûteuse à produire qu’un simple avion de ligne.

— Qu’est-ce qu’il préférerait ?

— Il a mis au point un programme à grande échelle. Il l’a appelé “surveillance intégrale du système”. La recherche d’indices récents d’une activité des Hypothétiques. Avec des appareils surveillant toutes les planètes de Pluton à Mercure, des postes d’écoute sophistiqués dans l’espace interplanétaire, des missions de reconnaissance des artefacts Spin aux pôles terrestres et martiens.

— C’est une mauvaise idée ?

— Cela pourrait nous fournir quelques informations sans intérêt. Augmenter un peu le volume de nos données et canaliser de l’argent dans l’industrie. C’est conçu dans ce but. Mais E.D. ne comprend pas, sa génération ne comprend pas du tout…