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— Une jolie maison et une boîte de pilules ? C’est ton prix ?

— Il n’y a que moi pour prendre soin de moi.

— Cela va te sembler minable, mais je pensais que nous pourrions prendre soin l’un de l’autre.

— Il aurait fallu te faire confiance. Et sans vouloir t’offenser… regarde-toi. Glissant dans la vie comme si tu attendais une réponse, ou un sauveur. Ou comme si tu restais tout le temps en attente.

— J’essaye de me montrer raisonnable, là, Molly.

— Oh, je n’en doute pas. Si se montrer raisonnable était un couteau, je serais en train de me vider de mon sang. Pauvre Tyler raisonnable. Mais j’avais compris cela aussi. C’est par vengeance, n’est-ce pas ? Toute cette sainteté que tu portes comme des vêtements. C’est ta manière de te venger du monde parce qu’il t’a déçu. Comme le monde ne t’a pas donné ce que tu voulais, tu ne lui donnes rien d’autre que compassion et aspirine.

— Molly…

— Et ne t’avise surtout pas de me dire que tu m’aimes, je sais que ce n’est pas vrai. Tu ne connais pas la différence entre être amoureux et se comporter comme si on était amoureux. C’est sympa de m’avoir choisie, mais cela aurait pu être n’importe qui, et crois-moi, Tyler, cela aurait été tout aussi décevant, d’une manière ou d’une autre. »

J’ai tourné les talons pour rentrer dans ma voiture, un peu tremblant, moins scandalisé par la trahison que par sa finalité, les intimités balayées comme des actions de faible valeur dans un crash boursier. Puis je me suis retourné vers elle : « Et toi, Molly ? Je sais que tu étais payée pour fournir des informations, mais tu as couché avec moi juste pour ça ?

— J’ai baisé avec toi parce que j’étais seule.

— Et maintenant ?

— Je n’ai jamais cessé d’être seule. »

Je suis parti.

Le tic-tac d’horloges coûteuses

Les élections approchaient à toute vitesse. Jason comptait s’en servir comme couverture.

« Répare-moi », avait-il dit. Et il ne cessait de répéter qu’il existait un moyen. Une thérapie non conventionnelle. Et non approuvée par l’administration fédérale… mais disposant d’un long passé bien documenté. Il m’avait bien fait comprendre qu’il comptait en profiter, avec ou sans ma coopération.

Et comme Molly l’avait dépouillé de presque tout ce qui comptait à ses yeux – en me laissant dans les décombres –, j’ai accepté d’aider Jase. (En pensant avec ironie à ce qu’E.D. m’avait dit bien des années plus tôt : Je compte sur toi pour veiller sur lui. Pour faire preuve de discernement. En faisais-je preuve ?)

Quelques jours avant les élections, Wun Ngo Wen nous a dit tout ce qu’il fallait savoir sur la procédure et les risques afférents.

S’entretenir avec Wun n’était pas simple. Moins à cause du réseau de sécurité qui l’entourait, même si c’était un obstacle assez difficile à négocier, qu’à cause de la foule d’analystes et de spécialistes s’alimentant à ses archives comme des oiseaux-mouches à du nectar. Autorisés par le FBI comme par la Sécurité intérieure, ces éminents spécialistes, qui avaient juré de garder le secret, du moins un certain temps, étaient fascinés par les vastes banques de données de sagesse martienne apportées sur Terre par Wun. Lesdites données numériques correspondaient à plus de cinq cent mille pages de connaissances astronomiques, biologiques, mathématiques, médicales, historiques et technologiques pour l’essentiel bien plus avancées que les nôtres. Récupérer le contenu intégral de la bibliothèque d’Alexandrie par l’intermédiaire d’une machine à voyager dans le temps n’aurait guère provoqué plus grande fringale érudite.

On avait mis ces gens sous pression pour qu’ils terminent leur travail avant l’annonce officielle de la présence de Wun. Le gouvernement fédéral voulait au moins un index grossier des archives (rédigées pour la plupart en un anglais approximatif, même si certaines l’étaient en caractères scientifiques martiens) avant que les gouvernements étrangers commencent à exiger un accès équivalent. Le ministère des Affaires étrangères avait prévu d’en produire et d’en distribuer des copies « propres », dans lesquelles certaines technologies potentiellement précieuses ou dangereuses auraient été soit expurgées, soit « présentées de manière sommaire », les originaux restant classés top secret.

D’où ces tribus entières de savants se battant et conservant jalousement leur accès à Wun, qui pouvait interpréter les textes martiens ou en expliquer les lacunes. Il m’est arrivé à plusieurs occasions que des hommes et des femmes désespérément polis du « groupe de physique des hautes énergies » ou du « groupe de biologie moléculaire » me chassent des appartements de Wun en exigeant le quart d’heure qu’ils avaient négocié. Wun me présentait parfois à eux, mais ils ne semblaient jamais contents de me voir, et la chef d’équipe des sciences médicales s’est inquiétée au point de frôler la tachycardie quand Wun a annoncé m’avoir choisi comme médecin personnel.

Jase a tranquillisé les spécialistes en leur laissant entendre que je participais à un « processus de socialisation » visant à perfectionner les manières terriennes de Wun en dehors d’un contexte politique ou scientifique, et j’ai promis à cette chef d’équipe de ne fournir aucun traitement médical à Wun sans l’impliquer directement. La rumeur s’est propagée parmi les chercheurs que j’étais un opportuniste civil s’étant insinué à force de bonnes grâces dans l’entourage de Wun afin de décrocher un juteux contrat d’édition une fois sa présence rendue publique. Cette rumeur est née spontanément, mais comme elle servait nos propos, nous nous sommes gardés de la démentir.

Accéder aux médicaments s’est révélé plus facile que je ne m’y attendais. Wun était arrivé sur Terre avec une panoplie complète de médicaments martiens sans équivalent sur Terre et affirmait pouvoir en avoir besoin un jour ou l’autre pour se soigner. Cette pharmacopée lui avait été confisquée dans son vaisseau au moment de son atterrissage, avant de lui être restituée une fois son statut d’ambassadeur établi. (Le gouvernement en avait sans nul doute prélevé des échantillons, mais Wun doutait qu’une analyse grossière révèle à quoi pouvaient servir ces produits très élaborés.) Wun a tout simplement fourni quelques fioles de produit brut à Jase, qui a réussi à les sortir discrètement de Périhélie en tirant profit de sa position directoriale.

Wun m’a indiqué le dosage, le minutage, les contre-indications et les problèmes potentiels. La longue liste des dangers afférents m’a empli de désarroi. Même sur Mars, a précisé Wun, le taux de mortalité du passage au Quatrième Âge s’élevait à un non négligeable 0,1 %, et la SEPA compliquerait le cas de Jason.

Mais le pronostic était encore plus défavorable sans ce traitement. Que Jason suivrait avec ou sans mon approbation… d’une certaine manière, le médecin prescripteur était davantage Wun Ngo Wen que moi. Mon rôle se limitait à superviser la procédure et traiter les effets secondaires inattendus. Ce qui a apaisé ma conscience, même si on aurait eu du mal à faire valoir cet argument en cour de justice… Wun avait peut-être « prescrit » les médicaments, mais ce ne serait pas sa main qui les administrerait à Jason.